Un soir en rentrant chez moi
Un soir, en rentrant chez moi, j’ai constaté que ma clé ne rentrait plus dans la serrure.
C’est idiot, la première idée qui m’est venue est la scène des « Bronzés font du ski ». Voilà que je me plantais d’appartement comme Jugnot de bagnole dans le film. Sauf que je n’avais pas envie d’uriner, moi. Et que la serrure n’était en rien gelée, puisque c’était la canicule de juillet.
Je reculai de trois pas, le rire stoppé. Ce n’était plus drôle.
Je scrutai le numéro de l’appartement. Le 32 dansait devant mes yeux, c’était un bon début. L’étage, le troisième était le bon. Jusqu’à présent, je cochais toutes les cases. Il semblait bien que j'étais sur le palier de mon home, loué à prix excessif dans le losange d’or d’une bourgade limitrophe de la Suisse.
Et ma clé ne rentrait toujours pas dans la fichue serrure.
J’essayai alors celle du haut. Les tournées au bar avaient été nombreuses et peut-être que j’avais la tête retournée. Faut dire que Justine partait vivre aux USA, un an. 365 jours sans voir ma collègue préférée. Je n’allais pas louper son pot de départ.
J’essayai celle d’en bas. Peut-être que la serrure était grippée. Il faudrait que j’huile tout ça à l’huile d’olive, ça fonctionne mieux que les produits chimiques de Castorama.
Je n’avais plus de serrure à essayer. La clé stupide attendait dans mes doigts gourds que mon esprit se mette en route et propose une solution. Le serrurier bien sûr. J’allais appeler un serrurier.
Ma main fouilla alors la poche droite de ma veste, celle que je prenais par habitude, par précaution, au cas où un vent frais se lèverait au milieu de la nuit étouffante. Au lieu de mon smartphone, je ressortis un paquet de clopes. Je ne fumais pas avant que cette serrure se refuse à ma clé !
Je regardai de plus près ma veste qui avait changé de couleur. Je l’avais négligemment jetée sur l’épaule. J’étais sûr qu’elle était noire. Elle se trouvait avoir viré au rouge carmin.
Étrange, me dis-je.
Brusquement dégrisé, je tentai l’autre poche, la gauche, celle du trousseau de clés. Puis, je regardai enfin ce trousseau de clés. Un médaillon y pendouillait avec un signe capricorne gravé dessus.
Mon signe astrologique avait-il lui aussi changé ? Je m’assis, par réflexe, sur les talons juste avant de tomber. À qui étaient cette veste et ce trousseau de clés ? Qui avait les miennes ?
Dans un éclair, je revis Justine m’envelopper de son parfum Dior en me disant au revoir. Nous avions machinalement pris le premier tissu qui eut pu ressembler à une veste avant de nous quitter, de sortir du pub, nous éloigner, le regard appuyé, plus qu’il ne l’aurait dû. 365 jours. 365 nuits.
Rembobinant le fil de la soirée à son sourire de l’arrivée, je revis une veste carmin qui illuminait ses joues.
Était-ce possible ? Nous aurions échangé nos vestes ?
Mes jambes retrouvèrent l’élan. Je bondis dans l’escalier dévalant les marches.
Reprendre la rue en sens inverse, retrouver le pub, l’entrée, attendre. Cinq minutes suffirent. Je la vis arriver en courant, les joues rouges, le souffle court, une veste noire à la main.
On m’a répété qu’il n’y a pas de hasard.
Ce soir, il n’y a pas de hasard.
L’aube est encore lointaine.
Nous passerons la nuit ensemble.
C’est certain.
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