Clémence

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Je checkais mon billet d’embarquement. L’hôtesse m’accueillit avec un sourire nullement destiné à ma simple personne, mais plutôt à mon titre de touriste en vadrouille qui lui permettrait d’obtenir un salaire mensuel.
L’avion roula au sol, cahota et s’éleva. Je m’endormis. Derrière mes paupières closes, émergèrent de l’ombre des souvenirs adolescents, une succession de flashs, plutôt de scènes banales et intenses du goût du bonheur.
C’étaient mes pieds nus sur le chemin sableux, sur les rochers dorés escarpés, les embruns dans ses cheveux et le sel de l’eau sur les lèvres, les siennes, que j’embrassais certainement pour l’éternité ce premier été de voyage avec ma copine de cette époque bénie.
J’allais à présent seul et trente plus tard, retrouver tout à fait par hasard, je m’en convainquais, les lieux qui m’avaient permis de comprendre la subjectivité du temps. Clémence ne serait pas à mes côtés et d’ailleurs, elle avait quitté ma proximité dès la rentrée à l’Université.
Mon voisin de siège toussotant, je m’extirpai de la torpeur de cet été-là. Chanceux que j’étais en réservant mes places 6 mois à l’avance, j’étais assis côté hublot. J’aperçus dans une vue d’ensemble privilégiée les lumineuses éclaboussures blanches des flots de la grande bleue. Proche des côtes espagnoles, bien au sud de la Costa Brava et du territoire de Dali, les ailes rouge et blanche de l’avion Swissair, se rapprocheraient du sol ibérique d’ici quinze minutes, annonça l’hôtesse bronzée et manucurée.
Dans cet espace court, j’hypnotisais mon regard sur les flots, ils baigneraient ma langueur existentielle. Je jouissais pour l’instant de les observer des hauteurs. Le son de l’avion vrombissait ronflant annonçant l’imminent atterrissage. J’allais sortir m’extirper de l’odeur de transpiration de mon voisin. J’allais rouler mes épaules, ma nuque et mon mal être dans la profondeur de la matrice qui relie les continents. En face, toute proche l’Algérie. Oserai-je y aller avant la mort de cette incarnation ? Je m’en rapprochais. De l’Algérie, pas de ma fin, du moins je croisais tous mes doigts pour cela.
J’allais, sorti de l’aéroport, commander à une terrasse un « Trinaranjus », retrouver dans ce jus acidulé la confiance de mes 19 ans. La terre alors tournait pour me porter. J’allais en explorer ces recoins comme autant d’espaces de jeux pour éblouir mes sens.
Dès le premier café ombragé, je commanderai une assiette de tapas salés, revivre en bouche les éclats de rire de Clémence.
Dans la queue pressée serrée pour passer la douane, ma main accrocha une valise, elle était semblable à la mienne. Une étiquette accrochée, un nom Clémence Chérin, une adresse 19 rue des Calanques, 31 000 Toulouse.
Des frissons, je n’osais lever les yeux. Une main s’approchait récupérer son bien.

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