Peuple des chevaux
Une demi-heure de route à peine, je gare la voiture sur le chemin poussiéreux troué de nids de poule.
Je grimpe sur la droite, passe la grande maison de pierre où Clochette la chienne Border Collie saute vers moi, pour m'accompagner à travers champs. Elle accueille tout le monde avec le même entrain et la même énergie.
En haut, il y a les étendues de prés. Des fils bleus tendus serrés les cartographient.
Je cherche la porte. En voilà un terme pour désigner la petite poignée orange à retirer en tirant sur l’anneau crocheté sur un piquet de bois branlant. Et la bobinette cherra.
Quelques mètres encore, je les entends au loin s’ébrouer et s’appeler en hennissant. Ils vivent ensemble toute l’année. Au début, je m’inquiétais pour eux, les nuits d’hiver, de gel, sous la lune glaciale, au bord du ruisseau enneigé.
Mais non, ils ne sont pas faits pour vivre en rayonnages de livres rangés dans une bibliothèque d’écurie sans leurs congénères et leur liberté d’aller.
Je me tiens en haut du plus haut champ pour avoir la meilleure vue qu’il soit sur la sortie du bois. J’attends patiemment. Je n’ose m’asseoir. Les herbes sont très hautes et me camoufleraient bien trop.
Je tends ma main droite vers Clochette. Elle lève son regard doux, babines étirées tel un sourire confiant. Seulement en cet endroit, j’ai le droit de croire que le temps n’existe pas.
La main gauche en visière pour protéger mes yeux des rayons glissant bas du soleil, je les aperçois alors. Un puis deux puis la vingtaine qui sortent du bois, prennent leur galop tranquillement et, naseaux frémissant, arrivent droit sur moi, venant me saluer. Un instant, je trépigne d’impatience et de délicieuse crainte qu’ils n'arrivent trop vite au grand galop et bousculent sur leur passage ma finalement si frêle personne humaine. Déjà ma main est posée sur les naseaux du premier cheval et comme à chaque fois, cette douceur dans l’inclinaison du cou et dans le regard doux des yeux frangés chavire mon âme.
J’ai quelques carottes, leur friandise préférée. Je m’étire contre le flanc d’un des leurs. Je viens vous saluer peuple des chevaux chaque fois que je ressens l’appel de fuir les villes et les contingences, les contraintes et les lourdeurs des humains qui courent détraqués vers quelque profit.
Respirant l’odeur des animaux, je hisse mes bras pour me soutenir sur le dos d’un. Je ne le monterai pas. Non, ça c’était avant. L’humain et son plaisir de domination. Rennes en bouche et contrôle des directions. Aujourd’hui, je savoure ces instants d’éternité à leur côté. Les carottes sont mangées. Ils avancent et descendent vers le ruisseau. Je les suis encore sur quelques mètres. Clochette, comment fais-tu pour courir ainsi entre les sabots et n’en faire trébucher aucun ?
Je n’irai pas jusqu’au bord de l’eau. Je les caresse et de la main les remercie de leur présence. Je passerai au retour des champs devant la porte de la petite chapelle des visiteurs.
La voûte annonce les premières étoiles. Je redescends calme et ressourcée.
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