Un peuple doux et pacifique

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Dicte-moi et je serai,

Cela fait tant de jours que l'on marche sous le soleil épuisant. Il faut partir avant son lever, éviter ses rayons les plus rudes. Marcher vers un point non inscrit sur une carte absente. Les bêtes connaissent la direction. Il suffit d'accorder sa respiration au temps long et rythmé des pas lourds et balancés des chameaux qui se suivent. On s'écartera légèrement ce soir de la trajectoire. Avant l'arrêt, de la nuit, on virera à droite, en contrebas. Le vent a soufflé. La dune est haute.

Les tentes se montent, les tissus se déroulent, les couleurs s'entremêlent, les ouvertures sont protégées par les laines drues, qui conserveront juste la fraîcheur de la bise à l'heure de la rosée.

Là, assis dans l'attente, l'immobilisme commence.

J'ai 5 cailloux blancs dans mes mains. Ils sont doux. Je les fais rouler dans la paume, les lance et les rattrape sur le plat du dos des mains. Je lance les cailloux et je lis leurs prophéties.

" Ils s'en allaient pieds nus. Tous se levaient dans un lent mouvement concerté et harmonieux tant il était orchestré, répété en leurs chairs, caravane de chameaux, petits ânes à leurs côtés.

L'eau bouillante du thé restant était bue. Aucune trace n'en resterait sur le sable et la dune. A la lune prochaine, une nouvelle colline serait façonnée. D'azur le ciel respirait.

Nous étions doux et pacifiques.

Le rire des enfants indiquait la direction. Leur peau était brune et leurs yeux du bleu du ciel. Les échos de leurs rires créaient les chemins entre les caravanes voisines. Aux haltes, les retrouvailles étaient fêtées et les batailles n'étaient que taquineries.

Un soir, les nuages noirs ont apporté les cavaliers de l'ombre, trop nombreux et armés. Ils ont sorti leurs glaives tranchants. Que voulaient-ils ? Personne ne l'a compris. Rien en contrepartie de la boucherie et des souffrances infligées. Les chiens n'ont pas protégé. Les gorges furent tranchées. Les sangs coulés formaient des tâches brunes dans le sable abreuvé.

Ils emportèrent la caravane de chameaux. Les rires se turent. la direction fut perdue et l'éclat du bleu dans les yeux des survivants se ternit."

En écoutant cela, les larmes coulèrent sur mes joues.

Le vent avait apporté de bien tristes histoires. Puissaient-elles être fausses.

Qui venait me les conter ?

Je rangeais mes cailloux dans leur petite bourse à cordelette. Plus le goût. Les bribes d'histoires ne racontaient pas si c'était le passé ou le futur. Et la peur s'instaura. Elle s'invita en moi aux heures de la nuit, aux reprises des marches de la caravane, aux heures du thé brûlant et versé. Devais-je prévenir le patriarche de ma caravane ? Que devais-je écouter, ma peur ou le terrible message à délivrer. Je choisissais de reporter à la lune prochaine, une encore.

Au deuxième caillou roulé dans les paumes de ma main, les voix s'élevèrent de nouveau.

"Les cheveux des femmes furent coupés, les chamelles emportées, les hommes emprisonnés par le peuple envahisseur. Ils brûlèrent les tentes, plantèrent leurs armes et firent clinquer leur monnaie d'échanges, larges pièces d'or ornées de formes géométriques. L'asservissement fut là, de règle.

Les yeux des enfants brunirent, gris de glace, ombre de boue. Cette période fut triste et le voile de l'asservissement, de la traitrise, de la cupidité, de la terreur cacha le halo de la lune et la lumière des étoiles. Nous étions oubliés du désert."

Les journées s'enchaînèrent. Elles apportaient chacune précisemment un fragment de prophétie ici et maintenant dans le grand désert blanc.

" Nous étions un peuple doux et pacifique. Les rires des enfants reliaient par leurs échos les caravanes passantes. Les hommes serraient leurs turbans bleus sur leur front.

Les enfants aux yeux bleus portaient en leur coeur les promesses des jours fastes.

Qui choisis-tu d'être cher enfant qui écoute ma fable ? Ecoute le premier enseignement sur lequel tu auras à méditer puis mettre à l'épreuve.

Voici ce qu'un soir il se passa dans les temps lointains chez les hommes bleus.

L'apocalypse s'abattit.

Elle était de colère chariant la noirceur des nuages, l'épaisseur des poussières de sable, noircissant les âmes et l'éclat des yeux des enfants. Ils devirent gris acier, gris vengeur et gris armure.

Si tu rencontres la colère, qui choisis-tu d'être face à elle ? Celui qui la contient, l'apaise ou le guerrier qui l'attise ?

Les animaux tombèrent malades et le peuple ne put s'abreuver au lait des chamelles, ne put transporter les laines drues aux marchés des oasis, ne put se protéger derrière les remparts de leurs cercles formés, le soir à la nuit tombée contre le froid et la solitude que siffle le désert. Les hommes sont devenus fous et partirent se perdre dans l'immensité dont on ne revient jamais.

Si tu rencontres la folie, qui choisis-tu d'être face à elle ? Le sage qui l'exhorte ou le guerrier qui la nourrit ?

Qui désires-tu être cher enfant qui tend l'âme à nos contes ?"

Pourquoi moi ? Pourquoi s'adresser à moi ? Suis-je donc le seul à vous entendre conter vos prophéties ?

"Tu es l'enfant qui aime les étoiles. Tu es l'enfant qui respecte le sable que tu foules. Tu es l'enfant qui hume l'air et remercie la vie d'être en vie."

Vint une nuit où la révélation du peuple bleu apparut toute entière baignée dans la lumière de la lune.

"Nous étions un peuple doux et pacifique, né des étoiles et façonné par les particules du vent. Nous avions fondé l'harmonie et la beauté du ciel avait la couleur des yeux de nos enfants. Du respect de la vie, de la symbiose avec le grand désert blanc, nous avions teinté nos joues. Cette époque qui fut notre a disparu et nos âmes errent dans nos contrées adorées.

Enfant de la nuit, ton âme nous a touchés. Des nôtres tu es devenu par la pureté des pas sur le sable et de ton coeur dans les actes. Tu as perçu nos façons d'être, nos traditions, nos intentions, nous te les offrons en partage. Car en cet instant de connexion, toi seul décideras de les propager et de les répandre en héritage."

Je suis Isis, chef de tribu. Je conduis ma caravane en sécurité et négocie le marché des laines drues des chamelles du désert. je suis Isis aux côtés de Lila, ma douce compagne et brune mère de mes deux enfants. Leur peau est brune. Leurs rires relient en écho les caravanes qui nous suivent. Leurs yeux sont bleus comme la 7ème couleur de l'arc-en-ciel. Ce soir, je donnerai la petite bourse qui contient les 5 cailloux qui ont accompagné mon enfance à celui des deux qui m'en fera la demande, autour du feu. Sa curiosité et le penchant qu'il montrera à écouter les contes fera de lui l'élu, comme moi avant lui, pour conduire notre caravane en sécurité. Je fais le voeu qu'il suive l'enseignement du peuple bleu et interroge à chaque initiation les vibrations de son coeur. Puissent-ils continuer de chérir la langue des hommes libres, doux et pacifiques, sans jamais ne céder aux traitres folies et colères.

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