Je dois tuer Chacha Guingois

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Minuit. Je lance le dé, sors le 6, roule un pétard, réfléchis, avale un cacheton d’Ecstacy décide que si Alex ne se rue pas à ma porte dans les six minutes, avec des pardons en cœur, et que je double la mise au dé, c’est mort.

Six minutes.

Je lance le dé, le 6 sort.

Double jeu.

C’est mort.

Ce soir, je dois tuer Chacha Guingois.

Un nom pareil, c’est une prédestination. Tout de guingois dans sa vie, son cœur, ses seins, ses sous.

8h. Je décide que c’est une belle journée pour moi. LA mienne. Quoi qu’il se passe jusqu’au coucher du soleil à 20h29, c’est ma belle journée. Je suis au taquet. Je veux que tout soit parfait. Je jette les tarpés, les kleenex.

Pour profiter de ma belle journée, je descends à 10h chez le coiffeur au bas de mon immeuble, 6 étages plus bas. C’est mieux une tête propre et fraîche.

Je fais les choses bien, moi, quand je les décide, je pense à annuler le rdv du psy à 11h30.

- J’annule le rdv d’aujourd’hui M. Daubert !

- C’est pas tellement possible d’annuler ainsi Mademoiselle. 48 h à l’avance au minimum.

48 h à l’avance, qu’est-ce que j’en savais moi qu’Alex allait me plaquer. Ne pas lui dire, surtout ne pas lui dire, il ne va pas me lâcher pour son fichu rdv loupé.

- Hé, je suis bien sympa, M. Daubert, un désistement pour vos déprimés ou vos toqués post confinement. C’est tout bénef.

Mince, il raccroché. Il m’énerve ce psy.

Je fais les choses bien, moi, je pense à panosser le studio de 23 m2, histoire de faire net si l’agence prend des photos grand angle bien trompeuses pour agrandir les réduits.

Saluer les voisins, bof, pas nécessaire. On ne se connait pas. La vieille sur mon palier en face, on se croise une fois par jour, moi cavalant dans l’escalier, elle déboulonnant le bouton de l’ascenseur comme s’il allait arriver plus vite. Je ne l’aime pas. Elle est sèche, revêche. Pas un sourire. Personne ne vient jamais la voir. Ha si, pardon, depuis qu’elle a crevé la semaine dernière, j’entends ses enfants hurler dans l’appartement. Hier, J’ai regardé par l’œilleton discrètement en retenant ma respiration. Ils étaient deux grands gaillards sur le palier chacun brandissant et tirant à deux mains une statuette en ivoire. J’ai regardé sur le net. 4000 balles au moins si elle est ancienne. Elle doit l’être, parce qu’aujourd’hui, c’est interdit la vente de l’ivoire à cause des défenses des éléphants et qu’il y en a plus assez.

Si c’est ça avoir des gosses, je suis bien contente de ne pas en avoir fait avec Alex. Et de toutes façons, je n’aime pas l’ivoire.

- Mademoiselle, vous pouvez passer sur le fauteuil, le gris qui tourne. Vous faites bien, une bonne coupe de cheveux, ça vous rajeunit de dix ans.

Elle plaisante la coiffeuse, pas sûre qu’elle obtienne son CAP coiffure si elle déballe des âneries comme celle-ci. Je sais, j’ai forcé sur les tarpés toute la journée d’hier, jusqu’à minuit, avec ce jeu de dé. Mais enfin, j’ai 19 ans ! Elle a vu ma tête ? Elle va me coiffer avec des couettes en sortant si je rajeunis de dix ans ?

Il est 13 h, j’ai le temps de déjeuner chez Momo Green et fresh, tout est bio mais on ne sait pas où ça a poussé.

- Un bowl crudités.

- C’est noté, c’est parti, ça arrive dans 5 secondes.

Hé j’ai le temps moi pour ma belle journée. Il ne va pas me saccager le plaisir d’une pause déj à la française !

16h, déjà ? Ma belle journée détale. Je choisis de la remplir de ? … d’un peu de culture, une expo, c’est bien ça ! Avec les effets du mignon cacheton qui durent, moyen que je voie des couleurs que même « Warhol et Basquiat » ne se doutaient pas qu’elles existent sur leurs toiles.

- La fondation Louis Vitton ferme dans six minutes, mademoiselle, il faut vous diriger vers la sortie.

Ce soir, je dois tuer Chacha Guingois. Il me reste 1 heure 29. Mince, je n’ai pas digéré le bowl de tout à l’heure. J’ai envie de vomir. Ce n’est pas le moment. Je vérifie, il est en place, tout petit, dans la pochette pailletée roulé dans le bag coincé au fond de mon sac. J’ai bien fait de le chourrer à Alex. Ni vu ni connu. Juste à appuyer sec. Revoir le tuto sur le dark.

Pour ma belle journée, je veux bouffer du sunlight, admirer le sunset. Je monte jusqu’au parc de la butte.

C’est quoi ce tintamarre ? J’ai besoin de concentration moi. Mince, des aboiements. Ca hurle.

- Hey, toi, oui toi, le mec, mais ça va pas la tête ? Lâche ce chien. Mais il est fou ?

- Ta gueule, c’est mon chien, je fais ce que je veux, il a bouffé le canapé.

- Arrête ! Arrête ! J’suis tireuse d’élite. J’te jure j’te tire dessus. Casse-toi.

Le chien. Viens le chien.

- Mademoiselle, mademoiselle ?

- M. l’agent ? vous venez d’arriver ? Vous êtes là depuis quand ?

- Vous étiez bien 20 mètres devant moi, je vous ai vu courir et l’autre malade détaler.

- Vous allez faire quoi ?

- Allons au commissariat. On va voir. La paperasse. Quelle est votre identité ?

- Je m’appelle Sacha Guingois. J’adopte le chien.

- Mademoiselle Guingois, vous venez de lui sauver la vie, je crois bien à ce chien !

Viens, le chien, tout flic qu’il est, il ne sait pas que c’est toi qui viens de me sauver la vie !

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