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Et encore, elle met sur le tapis, l'histoire du bal, son excitation, et sa hâte d'y être. Je lève les yeux au ciel et je croque dans mon sandwich aux frites et à la mayonnaise. Si seulement elle n'est pas venue nous pourrir notre déjeuner, elle et sa copine la brunette.
— Je me suis déjà acheté une robe pour l'occasion. Regardez.
Elle nous met sous les yeux son écran portable où s'étale une magnifique robe rouge, très courte, à dentelles, avec une large ceinture noire. Naly cache mal sa stupéfaction et lui demande si elle compte s'habiller comme ça.
— Y'a pire que ça ! On est assez libérés d'esprit ben voyons ! déclare la brunette Siana en faisant une moue avec ses lèvres roses, pulpeuses et bien mises en valeur.
Sa copine, Anima, la fille à la robe rouge, nous demande si on a trouvé des cavaliers pour le bal, car elle, elle en a déjà trouvé un, en troisième année, deuxième cycle. Je me fais petite et détourne le regard, un peu gênée. Dans notre groupe, y'a deux garçons, un petit drôle, Sinay, qui a un rire à faire tomber une vache à la renverse, qui a de longs cils de fillette, en plus d'être complètement fêlé. En somme, un garçon avec qui je n'aimerai pas y aller. Et l'autre, Missaw, un grand musclé, avec un visage chevalin très déstabilisant, des airs de Mr Darcy avec néanmoins moins de charme. J'ai surpris à plusieurs reprises ses yeux globuleux sur moi, mais il n'a jamais essayé de m'inviter ni de faire des sous-entendus timides pour que je l'y aide. D'ailleure, la brunette Siana qui a largué son petit-copain, si petit de taille soit-dit en passant, me semble s'intéresser à ce dernier. En conséquence, je peux dire qu'il faut être aveugle pour me choisir moi au lieu d'elle. À part s'il est gay, car la féminité, ça n'a jamais été mon point fort !
Mais sauvée par le gang ! C'est l'heure d'aller en cours d'économie, où j'assisterai à de soporifiques et médiocres présentations d'étudiants. La prof du module en question, fainéante et complètement à l'ouest niveau enseignement, a trouvé l'idée de faire faire à ses étudiants des projets, dont les thèmes sont les supposés cours qu'on devait faire pendant ce semestre. Une manière de génie pour ne rien faire et engraisser derrière son bureau alors qu'elle fait semblant de corriger des détails à ses pauvres étudiants qui ont tout copié sur Internet sans comprendre un traître mot. L'éducation nationale ! Quel progrès ! En chemin vers l'amphi, on s'attaque à cet énième sujet de bal. Et de fil en aiguille, on me désigne du doigt malgré toutes mes tentatives de me faire complètement oubliée d'eux.
— Avec de si beaux yeux, tu as certainement déniché un petit gars ! s'exclame la brunette en me lançant un regard de braise, ses yeux tirés naturellement soulignés par deux parfaits traits de liner.
Cette fille a le don de m'agacer. Non seulement, elle est féminine, jolie, mais elle trouve le temps d'être excellente dans ses études, en plus de donner un quota de son énergie aux histoires d'amour et à ces insaisissables garçons. Il faut au minimum deux versions de moi-même côte à côte pour réussir un tel exploit, bordel ! Naly me regarde, tout le monde se jette sur moi, attendant une réponse. Je fais appel à la moi joyeuse et très sûre d'elle :
— Mais bien sûr, mais j'ai l'intention de vous faire une surprise. Vous n'allez découvrir mon cavalier que le jour du bal !
Ils râlent un peu, mais je suis tellement convaincante, tellement excitée par ce mystérieux garçon, que mon émoi intérieur passe inaperçu que s'il était sous cape d'invisibilité. Naly et Ailil, les deux filles avec lesquelles je suis la plus proche, m'interrogent du regard.
— Ça serait pas le garçon avec qui je t'ai vu discuter l'autre fois, tu sais celui de deuxième année ?
Et là, sous le coup de la pression que leurs regards affamés pèsent sur ma fragile conscience, soudainement oubliant tous les garçons qui existent et qui pourraient faire un potentiel cavalier, portée par la douce idée d'être invitée de ce magnifique garçon qui m'a tapé dans l'oeil la toute première fois que je l'ai vu, je réponds oui, avec un sang-froid sans pareil. Les deux filles s'exclament, ravies alors que je distingue pleinement la portée de ma bêtise. Maintenant, il faut que je l'invite coûte que coûte car, tout le monde saura d'ici demain avec qui je suis sensée aller. Naly et Ailil ne sont pas très douées pour garder des secrets.
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