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J'ai passé ma vie au lycée à croire farouchement qu'avouer ses sentiments à un garçon est un suicide, un fiasco, un truc qui ne devrait jamais figurer dans les to-do listes. Car un garçon, c'est un casanova dans le sang. Il doit bien y avoir un gène masculin qui porterait l'attitude du Don Juan. Et aller vers un gars, avec son coeur d'artichaut et ses sentiments réels et fragiles, c'est comme aller vers sa propre fin. Puisque généralement, ils s'en amusent. Les sentiments, c'est un jouet pour la plupart d'eux. Puis, un été que j'ai passé à regarder des vidéos sur YouTube, j'ai découvert que les filles ont tout à fait le droit d'aller vers un garçon, faire le premier pas, sans que cela ne soit propre aux garçons seulement. J'ai appris alors le concept révolutionnaire du féminisme, de l'égalité, de la force qu'il faut pour aimer, avouer et inviter en étant fille. J'ai aimé ça, et j'ai aimé l'idée de le faire un jour pour me prouver que je suis contre ces diktats archaïques de la princesse qui attend que l'on aime.
Et voilà que la situation se présente à moi ! Fraîche et nouvelle. J'ai fini par sortir de la bibliothèque où j'ai fait plus semblant de faire des maths qu'autre chose. Mon esprit grisé divaguait sans cesse vers la seule et unique équation qui puisse être vraiment difficile : comment inviter ce garçon à qui j'ai parlé qu'une seule fois sans passer par une idiote ou une fille trop fleur-bleue ? Je n'ai même pas été à mon avantage quand on s'est parlés ; comme une idiote, je ne comprenais pas comment me servir un gobelet de chocolat chaud du distributeur de notre département, et il m'a gentiment fait comprendre comment ça marche. Comment vouloir aller avec moi ? D'autant plus, que j'avais d'énormes boutons au menton ce jour-là que je m'étais refusé de percer car, apparemment, ça laisse des cicatrices. Je paierais cher pour revenir en arrière et m'acheter un bon fond de teint et cacher le jardin de boutons qui me servait de menton !
Je marche sans grand but, un peu étourdie par mes pensées, quand il se matérialise soudain à quelques mètres de moi comme s'il était doué de transplanage. Il a une peau foncée lisse et parfaite, un nez un peu éclaté, des boucles de cheveux bruns en dreadlocks et un look décontracté, légèrement geek. Je prends mon courage à deux mains, et l'intercepte tandis qu'il fourrage dans un livre que je reconnais comme étant L'alchimiste de Paulo Coelho.
— Oh ! J'ai adoré ce livre, commencé-je, le sourire jusqu'au oreilles. " J'ai peur de souffrir, dit le jeune homme à l'alchimiste alors qu'ils regardaient le ciel sans lune. Dis-toi que la peur de la souffrance est pire que la souffrance elle-même, et qu'aucun n'a jamais souffert alors qu'il était à la poursuite de ses rêves. "
Je prends mon souffle en me rendant compte que je suis allée un peu trop loin dans mon appréciation du livre, et que je risque fortement de donner une image peu flatteuse de moi. Le garçon a les yeux écarquillés, et à son regard, je devine qu'il cherche à savoir où il m'a vue déjà ou peut-être s'interroge-t-il seulement pourquoi je suis venue l'embêter. Je ne l'aide pas à se rafraîchir la mémoire, et tout à coup stressée, je lâche le gros morceau sans préambule aucune, avec la délicatesse d'un boeuf.
— Tu voudrais m'accompagner au bal ?
S'il était capable d'ouvrir les yeux davantage, je suis sûre qu'ils auraient englouti tout son visage. Il demeure un instant interloqué en essayant de retrouver ses esprits. Il me sourit, et pour la première fois, depuis cinq minutes où j'accapare la conversation, il trouve l'usage de la parole.
— Ouais, pourquoi pas !
C'est à mon tour d'afficher un profil étonné, et le garçon de deuxième année lâche un rire amusé. J'ai raté toute ma démonstration de confiance, malheureusement. J'aurai pu au moins paraître un peu moins étonnée, un peu plus contente, du moins nonchalante comme si je n'étais qu'à la chasse aux cavaliers rien de plus, et qu'un refus ou une acceptation n'ont sur moi aucun effet astronomique.
— Par contre, on va conclure un marché.
Il baisse la voix, sérieux et un brin indécis.
— J'ai une copine à laquelle je tiens, mais je suis en froid avec elle en ce moment. Alors je veux surtout pas que tu t'imagines des trucs. On va y aller en amis.
Silence. Le peu d'espoir et d'excitation tombent à l'eau, placidement. J'entends presque le bruit assourdissant de la chute. Il veut y aller rien que pour rendre jalouse sa copine en m'utilisant. Mon premier réflexe est de me dérober de ce plan foireux, mais je me rappelle alors Siana et sa copine Anima, les autres qui se sont tous plus ou moins trouvé des partenaires. Et j'accepte. Le premier pas vers le plus dramatique des bals.
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