Chapître 1
Le prof donnait son cours en russe et personne ne comprenait un mot. Après quelques minutes à tenter de se concentrer, chacun s’adonnait désormais à ses propres activités. Les uns parlaient à voix haute et s’interpellaient d’un bout à l’autre de la pièce, d’autres regardaient par la fenêtre avec l’espoir que leurs souffrances prennent bientôt fin. Un élève se coupait même les ongles de main et de pied.
Niels et moi riions sans raison en tournant les pages du livre de russe. Chaque semaine, nous nous retrouvions pour ce cours et passions l’heure à plaisanter. Après quelques minutes, nous finîmes par couvrir la voix du prof. Aussi, je fus invité à quitter la salle, le temps de me calmer. C’est donc hilare et au bord des larmes que je passai la porte. Dans le couloir, je pris plusieurs inspirations et tentai de reprendre mes esprits.
Assez grand, la figure svelte, musclé, Niels était le cliché du beau gosse. Son allure très masculine clashait avec son visage fin et androgyne. Nous nous entendions à merveille, bien que nous ne nous connaissions pas très bien.
Depuis, quelques semaines, Niels se comportait un peu différemment. Il se montrait plus tactile, m’adressait des clins d’œil à outrance et complimentait mon apparence régulièrement. Bien que cela m’intriguait, je me tranquillisais en choisissant de penser qu’il se montrait simplement sympathique.
– C’est bon, enfin calmé, m’interrogea le prof.
– Oui, oui, c’est bon, désolé encore.
Je pris un ton volontairement un peu gêné. Les profs m’appréciaient de manière générale. Je savais que mes petits écarts seraient toujours pardonnés à condition de donner patte blanche et l’impression qu’ils me rongeaient de culpabilité.
– Entrez donc.
Je retournai à ma table et croisai le regard amusé de Niels sur le chemin. Je sentais le rire monter. Je détournai aussitôt le regard pour mieux le réprimer. Pense à quelque chose de triste ! Pense à quelque chose de triste ! Je m’assis sur ma chaise et ouvris le livre à nouveau en évitant soigneusement le regard de Niels. J’entrepris de l’ouvrir à la page 32. À la vue de l’image présente sur celle-ci, je crus que j’étais bon pour finir l’heure à la porte. Je tournai la tête vers Niels et cherchai dans ses yeux la complicité. Son regard était sérieux, ses yeux m’examinaient. Je ne voulais plus rire.
Depuis combien de temps me regarde-t-il ainsi ? Est-ce depuis mon retour ?
Ses lèvres formaient désormais un léger rictus. J’étais mal-à-l’aise. Ses yeux bleus me fixaient toujours avec la même intensité. Il soupira et me fit un clin d’œil. Je déglutis. Je restai figé pendant deux voire cinq secondes, tournai la tête. La brutalité de mon geste avait trahi mon malaise. Il gloussa et se tourna vers le prof.
Je passai le reste de l’heure pris d’un malaise palpable. Que cela signifiait-il ? Pourquoi Niels m’avait-il regardé de la sorte ? Pour quelle raison son regard m’avait-il fait cet effet ? Les questions défilaient dans ma tête. Mon esprit ne me laissait pas de trêve. Et je ne trouvais pas de réponse.
Les dernières trente minutes me semblèrent être des heures. Je sentais la présence de Niels à côté de moi, la source de mon inconfort. Je me sentais encore prisonnier de son regard si bleu. Mais que cela signifiait-il ? Étais-je comme tous les autres garçons ? Est-ce que je désirais être comme lui ? Est-ce que je désirais…
« Driiiiiing ! » Ouf ! La sonnerie retentit et je me dépêche de rassembler mes affaires. Je pose mon sac sur la table, enfile ma veste, me lève de ma chaise et file vers la sortie.
Je marchais plus vite qu’à mon habitude. Suffisamment pour semer quelqu’un, suffisamment peu pour que Niels ne comprenne pas que je le fuyais. J’atteignais la porte du bâtiment B quand je sentis une main se poser sur mon épaule. Je me retournai et vis Niels, à moitié essoufflé. Il posa ses mains sur ses genoux et leva la tête dans ma direction.
– T’essaies de me semer, me demanda-t-il. Sa voix trahissait le reproche. Raté.
– Haha mais non, juste je suis fatigué de ma journée, je voulais juste me poser.
Niels me jeta un regard suspicieux, se redressa et se rapprocha de moi. Son corps était désormais à trente centimètres du mien. Je sentais le sang me rosir les joues. Pourquoi me parle-t-il si proche ? Pourquoi suis-je si gêné ? Que cela veut-il bien dire ?
– Tu m’as fait peur, j’ai cru que tu m’en voulais pour ton séjour dans le couloir, plaisanta-t-il.
– Haha…euh non, non, je…euh…c’est pas de ta faute et puis ça fait rien, bredouillai-je.
J’essayais de masquer ma gêne mais rien n’y faisait. Je n’aurais trompé personne. Niels pouffa et posa son regard dans le mien. Il avait ce même regard perçant que plus tôt. Je ne voyais plus rien autour de moi. Les yeux de Niels me tenaient prisonnier. Nous nous regardâmes comme cela quelques intenses secondes. Je ne pensais plus à rien.
– Tom, t’es sérieux à te barrer comme ça sans m’attendre, m’interpella Félix me sortant de ma stupeur.
Félix était mon camarade de chambre à l’internat et mon meilleur ami. Nous étions dans la même classe depuis la petite section et passions tout notre temps ensemble, week-end compris.
– Déso, je voulais aller vite à l’internat, répondis-je.
– Ouais, ouais, tu peux attendre genre 5 secondes que j'aille aux toilettes ou sa majesté est trop pressée ?
– T’inquiète mec, je bouge pas.
Félix fit un signe de tête à Niels et fila au demi-trot aux toilettes.
– Ouais…euh… commençai-je d’un ton gêné en évitant le regard de Niels.
– Tu m’as manqué tout-à-l’heure.
Mes joues rosirent.
– Bref, il détourna le regard abruptement puis poursuivit. On se voit une prochaine fois mec.
– Ouais, ouais à plus, rétorquai-je.
Niels prit la direction inverse à la mienne et s’éloigna dans le fond du couloir.
Sur le chemin vers l’internat, Félix parlait de league of legends. Je n’écoutais pas. J’avais l’esprit ailleurs. Mais que s’est-il passé ?
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