Chapître 14

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 Les moteurs des cars ronronnaient. 5h. Le soleil se levait tranquillement. L’air était frais. Une bonne centaine de lycéens tentait tant bien que mal de ranger ses valises dans les soutes.
 Félix et moi, ensommeillés, attendions le départ dans le silence. Nos pères respectifs discutaient à quelques mètres. C’est pas une heure pour se taper la discute. J’étais d’humeur massacrante. Je n’avais pratiquement pas dormi du week-end. Il m’avait été impossible de me reposer. Les dix heures de car s’annonçaient être une partie de plaisir.
 « Woah les gars ! Vous avez des sales gueule. »
 Je levai la tête et vis Gauthier accompagné de Paulin. Les deux étaient tout excités.
 « Franchement, je sais pas vous, mais je sens qu’on va s’éclater. »
 Félix et moi regardions Gauthier fascinés et exaspérés. Comment était-il possible d’avoir une telle énergie à cette heure ? Devait-il vraiment en faire la démonstration ?
 « Hé ho ! Tooom ! » Erik vint me saluer et se mit à bavarder. Je n’étais franchement pas d’humeur. Je faisais des efforts pour sembler intéressé. J’aperçus Niels en retrait, à quelques mètres, les mains dans les poches. Il feignait de ne pas me voir. Niels et moi ne nous étions pas revus depuis la nuit que j’avais passée chez lui. Nous ne nous étions pas envoyé de messages non plus. Dans mon esprit, Niels m’en voulait. Erik continuait de me parler. Je hochais la tête et variait les onomatopées. Gauthier parlait avec Niels. Je vis ce dernier s’approcher dangereusement. J’appréhendais ce moment. J’initiai la conversation.
 « Yo, ça va ?
 – Yo, grommela Niels, les yeux rivés vers le sol.
Okay, ce voyage va être une partie de plaisir. Erik fit une grimace, mimant avec humour la mauvaise humeur de son fils, puis s’éloigna pour aller à la rencontre de mon père et se présenter. 5h15, plus qu’une quinzaine de minutes à attendre avec lui.

 Félix et moi étions assis l’un à côté de l’autre, Gauthier et Paulin, devant. À leur droite, Romain et Nicolas et derrière Pierre et Niels. Nous faisions de grands gestes d’au-revoir à nos familles depuis les fenêtres. Je profitais du moment pour observer Niels. Il n’avait pas bonne mine. Quelque chose me disait qu’il n’avait pas beaucoup dormi non plus pendant le week-end. Les cars s’éloignèrent et se mirent en route. Je m'assis et entrepris de rattraper mes heures de sommeil perdues. Je comptais bien user de ces dix heures de trajet pour récupérer et arriver en pleine forme. Je fermai les yeux et m’endormis quelques minutes plus tard.


 Je me réveillai en pleine nuit. Bizarre. Je n’y accordais toutefois pas plus d’importance. Tous, autour de moi, dans le car chuchotaient à l’oreille de leur voisin. Que peuvent-ils bien dire ? J’essayai de me pencher vers l’avant pour écouter ce que Paulin et Gauthier disaient. Je ne comprenais pas un mot. Je me tournai vers Félix, interrogateur. Félix rit de mon expression, et s’exclama sur le ton de l’évidence qu’ils s’exprimaient en russe.
 « En russe, répétai-je, interloqué.
 – Bah oui, t’as oublié ou quoi, on va en Espagne. »
 Je pris cette affirmation pour une réponse satisfaisante, et dirigeai mon regard vers Niels. Lui aussi chuchotait des mots à son voisin. Il semblait flirter avec lui. Je sentis l’exaspération monter. Ah ouais, il passe comme ça d’un type à un autre. Je me levai, et marchais dans le couloir. Le car tanguait étrangement. Une annonce se fit entendre dans tout le car. « Votre attention, s’il vous plaît, nous entrons dans une zone de turbulence, nous vous remercions de retourner tranquillement à vos sièges et de remettre votre ceinture de sécurité. Je vis à la fenêtre qu’une tempête était en préparation… et que nous étions à plusieurs centaines de mètres d’altitude. Le chauffeur de car a dû penser qu’il valait mieux passer par les airs en raison du trafic routier.
 Je continuai mon chemin et m’arrêtai au niveau du siège de Niels. Il interrompit sa conversation avec Pierre, et me lança un regard rempli de dédain. « Tu voulais me dire, m’interrogea-t-il, exaspéré.
 – Ouais euh… je voulais juste te présenter mes excuses pour l’autre fois, j’aurais pas dû me barrer comme ça. Autour de moi j’entendais les autres glousser. Le visage de Niels se détendit.
 – Non, en vrai t’inquiète, je comprends, me rassura-t-il. Je comprends. Et puis t’es pas encore vraiment une fille. En attendant, je vais plutôt fréquenter Pierre.
 Il détourna le regard, et embrassa celui-ci. J’étais stupéfait. Comment ça, je suis pas encore assez fille. Je suis pas une fille. Je baissai les yeux, et constatai que je portai une robe à fleurs et des ballerines. Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Les rires se firent plus fort, si fort, qu’ils couvraient le bruit aérodynamique.
 Je commençai à rétrécir. Peu à peu, mes vêtements devenaient trop petits pour moi. J’observais mes mains, mes bras, mes jambes, changer de taille à vue d’œil. Je sentais la panique monter. Au secours ! À l’aide ! La robe se refermait sur moi par le haut, m’empêchait de respirer. J’essayais de crier, mais aucun son ne sortait. J’étouffais, et autour de moi, on s’esclaffait.
 Je me réveillai en sursaut. Félix interloqué, à gauche me fixait, une expression interrogative sur le visage. Ouf, ce n’était qu’un rêve ! Mes yeux parcoururent l’ensemble du car. La plupart des élèves était endormi. Niels l’était, également. Je soupirai soulagé. Je constatai, aussi, que le car ne traversait pas les nuages.
 « Ça va, mec, me demanda Félix.
 – Ouais, ouais t’inquiète, ça va, juste un cauchemar.
 – Okay... tu sais que tu peux me parler si t’as besoin, me proposa-t-il, compatissant. Oh si tu savais Félix ce qu’il se passe dans ma tête !
 – Ça va aller t’inquiète. J’avouai à demi-mot mon mensonge, par le ton employé. Félix me sonda quelques secondes.
 – Okay, lâcha-t-il, peu convaincu. »
 Félix redirigea son attention sur son portable. Je repensai à mon rêve. Il fallait que je parle avec Niels. Mais de quoi, je ne me comprends pas moi même. Justement. Il faut que je lui explique que je ne comprends rien. C’était décidé ! Pendant le voyage, j’allais trouver un moment pour lui exposer mon point de vue. Je lui devais. Mais je le devais à moi-même. Cette histoire prenait, maintenant trop d’importance dans ma vie, et je comptais, bien, libérer cette espace d’une façon ou d’une autre. Il fallait remettre de l’ordre.


 Nous étions assis sur un banc, à l’extérieur d’une station service, sur une aire d’auto-route. Les chauffeurs avaient profité de la pause pour aller se sustenter dans le fast-food. Félix mangeait son sandwich bruyamment, Gauthier et Paulin, tout excités, parlaient, de nouveau, de leurs prouesses sur league of leagends. J’écoutais la conversation comme un bruit de fond. Je tentais d’évaluer mes chances d’isoler Niels, pour lui parler.
 Pierre, Romain, Nicolas et lui mangeaient à une table à quelques mètres de la nôtre. Niels semblait être, toujours, d’une humeur massacrante. J’étais convaincu que j’en étais la cause. Il fallait absolument que nous fassions la paix. Cette situation me laissait inconfortable. J’avais envie de lui parler, qu'il y ait quelque chose, qu’il me redonne de l’attention. Je vis Niels se lever de sa chaise et prendre la direction du fast food. C’est ton moment ! Allez Tom, un peu de courage !
 Je prétextai une envie pressante et me levai à mon tour. Je traversais la route qui me séparait du restaurant et entrai à l’intérieur.
 La salle était pleine à craquer. Je voyais des employés, coiffés de casquettes à l’effigie de la chaîne, courir dans tous les sens. Les conversations se superposaient les unes les autres. C’est ce brouhaha qu’ont choisi les chauffeurs pour se reposer ? J’examinai la pièce du regard. Je ne trouvais pas les toilettes. J’allai à la rencontre d’une employée et lui demandai la direction. Elle m’indiqua gentiment où elles se trouvaient.
 Je pris une profonde inspiration. Il fallait que je me montre courageux, désormais. Je ne savais, absolument pas quoi lui dire. Je tentais de me persuader que les mots me viendraient une fois la conversation initiée. Il s’agissait pour le moment de briser la glace. Chaque chose en son temps.
 J’entrai, dans les toilettes. Une rangée de pissotières bordait le mur de droite. Niels n’y était pas. À gauche, les robinets, pas de Niels à l’horizon non plus. Il devait être dans une des toilettes dans le fond. Je n’avais pas envie d’uriner. J’allai à l’un des urinoirs, malgré tout. Je feignais de me vider la vessie, le temps que Niels finisse d'en faire de même.
 Quelques secondes d’attente, et je le vis au niveau des lavabos. J’allai le rejoindre. Je fis couler l’eau du robinet. Niels leva la tête et m’aperçut. Il la rebaissa aussitôt. Il s’apprêtait à quitter la pièce quand je le retins.
 « Euh… ça va, fis-je, gêné.
 – Ouais, répondit-il, froid.
 – Tu m’en veux, me risquai-je à demander.
 – Je sais pas, j’ai une raison de t’en vouloir, ironisa-t-il sur un ton faussement humoristique. Je me grattais la tête.
 – Écoute, je suis désolé pour vendredi. Je vis son visage, se raidir, et poursuivis. Je sais pas ce qu’il m’a pris. J’aurais pas dû me barrer comme ça.
 – J’ai une copine. Je sentis un frisson parcourir mon corps.
 – C’est-à-dire ?
 J’avais parfaitement compris ce qu’il venait de dire. Il laissa s’échapper un gloussement sans conviction.
 – J’ai une copine, une meuf, une petite-amie quoi. »
 Je sentais que mon cerveau ne suivait plus. Ou mon corps peut-être… ou les deux. Il a une copine ? Parmi toutes les manières dont j’avais imaginé cette conversation se dérouler, celle-ci ne figurait pas. Elle était…inattendue. Je restais figé, la main appuyée sur le lavabo. Niels me regardait. J’étais ailleurs. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. Cette phrase passait en boucle, dans ma tête. Il a une copine.
 Je vis Niels s’éloigner. J’étais immobile. Je repensai à la phrase de Gauthier plus tôt dans la matinée. Ô que oui ! Je sens qu’on va s’éclater.

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