Chapître 13 (bis)

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 Je me réveillai la boule au ventre. J’avais très mal dormi. Toute la nuit, j’avais repensé à cet échange malencontreux avec Niels. J’appréhendais le début de la journée. J’aurais voulu rester dans cette chambre et ne pas avoir à en sortir. Mais je n’avais pas d’autre choix que de lui faire face de nouveau.

 Je poussai les couvertures, et me levai. J’allai chercher mes vêtements, et les enfilai. Je me dirigeai vers la porte, et attendis à son pas de longues secondes. Je me décidai enfin à sortir. J’appuyai sur la poignée, et la tirai doucement vers moi. J’essayais vainement d’étouffer ses grincements. Je passai ma tête dans l’entrebâillement, et examinai la partie gauche du couloir.

 La porte de la chambre de Niels était ouverte. Il était déjà réveillé. Je m’engageai à pas de velours dans le couloir, m’y introduisis. Il régnait dans la pièce une odeur agréable, familière.

 J’allai m’asseoir sur son lit. Les couvertures étaient tirées. Je passai ma main sur les draps. J’aimais savoir que Niels y avait dormi, que son corps avait été enroulé dedans.

 Je scrutais la pièce. Mes yeux s’attardèrent sur son bureau. Une pile irrégulière de livres y était disposée. Je m’approchai. Des romans, des cahiers, des BD se côtoyaient de façon indiscriminée. Une couverture attira mon attention. Je saisis le bouquin, et l’ouvris à la première page. Il s’agissait de son agenda. Je tournais les pages. Niels recensait tous les événements de sa vie. Dîner avec les grands-parents. Hockey, ect. Je m’attardai sur la page de la journée de la veille. Tom dort à la maison. Match de hockey. Mon nom était inscrit. Je faisais partie de sa vie. Je refermai l’agenda, le reposai à sa place initiale. J’entendis des pas dans le couloir. Et merde. Je retournai m’asseoir sur le lit.

 – T’as faim ?

 Niels se tenait appuyé contre le montant de la porte, les bras croisés, le regard tourné vers la fenêtre. Son visage était dur, froid.

 – Euh… ouais, un peu.

 Il opina, maintint sa position quelques instants, et disparut dans le couloir. Il ne m’invita pas à le suivre. Je décidai, toutefois, de me lever et de marcher sur ses pas, à quelques mètres. Nous descendîmes les étages et rejoignîmes la salle à manger. Niels alla s’installer directement sur une chaise me laissant ainsi dans l’entrée de la pièce.

 Toute la famille était là, à l’exception du grand frère. Les jumelles se tartinaient de la confiture sur du pain, Yolande et son mari buvaient leurs boissons chaudes dans le silence. Tous les visages s’illuminèrent à mon arrivée. Ils me saluèrent chaleureusement, et Erik m’invita à venir m’installer entre lui et son fils.

 Niels échangea quelques mots de norvégien avec son père puis ce dernier se tourna vers moi, le sourire aux lèvres.

 – Bien dormi ?

 Je hochai la tête et le remerciai de son hospitalité. Je me tins bien de lui raconter que j’avais, en réalité, passé une nuit affreuse, et d’expliquer le rôle de son fils dans cette histoire.

 – Tu as mauvaise mine pourtant, objecta-t-il, amusé, et Niels, c’est pareil. Qu’est-ce que vous avez fait toute la nuit tous les deux pour vous réveiller dans un tel état.

 Je baissai les yeux vers la table. Le rouge me montait aux joues. Je repensais à ce que nous avions entrepris la veille. Savoir que ses parents avaient été à quelques mètres me rougissait de honte. Niels, également, semblait embarré de la remarque de son père. Ses joues étaient rosies.

 – Sers-toi à manger, du thé, ce que tu veux, me proposa gentiment Yolande.

 Je fis honneur à mes hôtes et me servis quelques tartines ainsi que du thé. J’échangeais pendant l’intégralité du brunch avec les parents de Niels, mais ce dernier ne m’adressa pas la parole, ni un regard. La tension était palpable.

 Niels se leva de table et entrepris de débarrasser. J’en fis de même, soucieux de montrer ma gratitude, et d’user de cette opportunité pour m’entretenir avec lui, seuls, dans la cuisine. Je réunis les assiettes et les couverts et les apportai près du lave-vaisselle. Niels me rejoint, le pain et des pots de confiture dans les mains.

 – Euh… je pense pas trop tarder, me risquai-je, j’ai un train d’ici une heure.

 Il posa doucement les aliments sur une petite table, puis se tourna vers moi. Il haussa les épaules, et lâcha un Okay. Il quitta la cuisine, et poursuivit sa tâche. Il allait être difficile de briser la glace.

 Je descendis mes affaires au rez-de-chaussée, et allai saluer la famille. Après m’être confondu en remerciements, je passai la porte. Je traversais le petit chemin de gravier. Niels m’accompagnait. Je ne savais pas quoi lui dire. Nous atteignîmes le petit portail.

 – Je te laisse ici, on se voit lundi, de toutes façons, annonça-t-il en évitant mon regard.

 Il commençait à s’éloigner.

 – Niels, l’interpellai-je.

 Il s’arrêta net, et orienta sa tête dans ma direction.

 – Oui ?

 Je ne savais plus quoi lui dire. Des centaines de mots me traversaient l’esprit. Aucun ne convenait à la situation. Je ne savais pas quoi dire.

 – Ouais, euh… merci. Et passe un bon week-end.

 – Okay.

 Il reprit sa marche en direction de chez lui.

 Les écouteurs dans les oreilles, j’observais les paysages défiler par la fenêtre du train.

 Je repensais à la veille, à cette interaction avec les coéquipiers de Niels. Je ne comprenais pas pourquoi elle m’avait mis dans un tel état. Je n’avais jamais ressenti cela auparavant. Niels n’est qu’un ami. Je ne voulais pas croire que ce que je ressentais pour lui être autre chose que de l’amitié. J’étais trop conscient de ce que cela impliquait. Nous n’étions que deux adolescents qui aimaient passer du temps l’un avec l’autre, et nous aimions expérimenter. Il ne s’agissait de rien d’autre.

 Mon père vint me récupérer à la gare.

 – Dis donc, t’as fait la fête toute la nuit, toi.

 J’opinai de manière à éviter les questions. Mon père prit ma valise et rejoignîmes la voiture garée à quelques mètres de là. Il déposa mes affaires dans le coffre, nous nous mîmes en route.

 J’observais mon père conduire. Je me demandais comment il aurait agi dans ma situation. Je ne connaissais pas grand-chose sur sa vie plus jeune.

 – Papa.

 – Oui ?

 – Quand est-ce que t’as été amoureux pour la première fois ?

 Il me lança un regard complice.

 – Oh toi mon fils. Tu as rencontré la femme de ta vie.

 Oui, oui, c’est ça. La femme de ma vie.

 Mon père avait été un garçon plutôt timide au lycée. Il n’avait jamais eu de copine avant ses 16 ans, et ne s’adressait que très peu aux filles de sa classe ou de manière générale.

 L’été de sa seconde, il était parti en vacances avec ses amis en camping. Il y avait fait la connaissance d’une certaine Eléonore. Une jeune fille aux cheveux blonds bouclés et aux tâches de rousseurs. Il était tombé sous le charme directement. C’était un coup de foudre. Il avait passé les vacances à élaborer des stratégies pour s’en rapprocher mais n’en avait mise aucune en place. Ce n’est que vers la fin du séjour, de peur que rien n’aboutisse, qu’il était allé demander conseil à son ami de l’époque. Ne pense pas et agis.

 Un soir, il lui avait proposé d’aller se promener en bord de plage, et ils s’étaient embrassés. Ce fut son premier baiser et l’un des plus beaux.

 – Et comment tu as su que t’étais amoureux ?

 – Je sais pas, répondit-il, songeur. Il poursuivit. Tu sais, parfois, il faut juste vivre ce que tu dois vivre. Et quand il se trouve que ce quelque chose est plutôt sympa, alors fonce.

 Je buvais ses paroles. Fonce. Mon père avait sûrement raison.

 – Tu as des vues sur une fille ?

 – Euh… ouais, fin, pas vraiment.

 – Tu sais que tu peux tout me dire.

 En vérité, je ne savais pas moi-même quoi dire.

 Je descendis de la voiture, et allai directement dans ma chambre. Je sortis mon ordinateur, m’installai au bureau, et l’allumai. J’attendais impatiemment que l’écran s’allume.

 J’ouvris google, et tapai dans la barre de recherche « Comment savoir si je suis gay ».

 Je tombai sur plusieurs pages avec des questionnaires à remplir. Certaines questions étaient intéressantes. Est-ce que l’on a tendance à plus regarder les filles que les garçons ? Est-ce que l’on s’est déjà senti attiré sexuellement par un garçon ? D’autres étaient franchement stupides. Est-ce que l’on passe plus qu’un certain temps sous la douche ? Préfère-t-on la compagnie des filles ou des garçons pour construire ses amitiés ? Je constatai que ces questionnaires ne m’aidaient pas plus que cela. Je décidai de chercher des forums, des témoignages de personnes qui vivaient des situations similaires. Je fus surpris du nombre de personnes concernées. Un témoignage me marqua particulièrement.

 Il s’agissait d’un lycéen, comme moi, dont le meilleur ami avait commencé il y a quelques mois à se comporter différemment. Il s’était, d’abord montré plus tactile, puis avait commencé à faire des allusions aux possibilités de relations sexuelles entre eux. Ils avaient fini par s’embrasser et coucher ensemble. Le lycéen demandait conseil. Il voulait savoir si cela signifiait qu’il était gay, s’il était amoureux de son meilleur ami.

 J’avais le sentiment qu’à travers ces mots, c’était mon histoire que l’on racontait. Je ne comprenais pas mes sentiments mieux que lui.

 Je lis les réponses en commentaires. Beaucoup abondaient dans le même sens. Gay. C’est sûr que t’es gay. Rends-toi à l’évidence, t’aimes les queues mec. Je ne m’y attardai pas plus longtemps sur celles-ci. D’autres offraient des perspectives plus intéressantes. Ne t’occupe pas de ça. Fais ce qui te fait plaisir, si tu es heureux de ce qu’il arrive avec ton meilleur ami, alors il n’y a pas de raison de stopper. Ou encore. Essaie d’en parler avec lui.

 J’aimais lire sur le sujet le témoignage de quelqu’un d’autre. J’avais le sentiment de ne plus être seul, isolé, à devoir vivre ce que je vivais dans le secret, sans avoir quelque clé de compréhension que ce soit. Je n’étais, certes, pas plus avancé sur la manière de qualifier ma relation avec Niels, mais j’étais rassuré de savoir que mon histoire n’avait rien d’unique, d’anormal ou même de bizarre. Elle était, en fait, l’histoire d’une myriade d’adolescents qui, comme moi découvraient leur sexualité, et la vivaient dans la confusion.

 Je tapai « Pourquoi suis-je énervé de savoir que mon ami a couché avec une fille ? »

 Je savais, au fond de moi, qu’il s’agissait de jalousie. Pour une raison que j’ignorais j’avais besoin d’une confirmation extérieure. Et je ne me sentais pas la force de la demander à mon entourage.

 Il y avait, également, de nombreux forums sur le sujet. Les profils étaient variés. Il ne s’agissait pas seulement de relations entre des garçons, mais aussi entre fille et garçon, entre filles, etc. Cette fois, les réponses étaient unanimes. Tu as certainement des sentiments. Tu es peut-être amoureux. Est-ce que cette personne te manque quand elle n’est pas là ? Est-ce que tu es heureux quand tu retrouves cette personne ? Est-ce que tu te sens irrationnellement anxieux en sa présence ?

 Niels me manquait quand nous n’étions pas ensemble. J’étais extrêmement heureux chaque fois que je le voyais et il m’arrivait d’appréhender nos rencontres. Il fallait que je me rende à l’évidence, j’avais des sentiments pour lui.

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