Chapître 20
Je me rinçais le visage, et buvais des litres au robinet. Autour de moi pas un bruit, à l’exception de l’écoulement d’eau qui résonnait dans l’enceinte. La pièce ne valait à peine mieux que son apparence. Un carrelage corrodé recouvrait difficilement le sol et les murs. Dans l’air, une certaine moiteur et une odeur de moisissure traduisait un niveau important d’humidité. Les fonds des pissotières étaient jaunes de crasse. Une petite quantité de lumière entrait péniblement par une petite fenêtre à soufflet.
Je me passais de l’eau sur le visage quand j’entendis la porte s’ouvrir. Je levai les yeux, et vit Niels, debout, derrière moi. Une auréole au niveau de son torse trahissait un niveau de sudation important. Il ne souriait pas, et m’épiait. Son regard manifestait la lubricité de ses pensées. Il s’approcha de quelques centimètres, et cala son bassin contre ma fesse gauche. Il m’agrippa les hanches. Je sentis son nez frôler mon cou, puis remonter doucement jusqu’à ma joue.
– T’as mérité une récompense champion, susurra-t-il à mon oreille.
Un frisson parcourut mon corps comme pour me prévenir qu’il lui appartenait désormais. Il joint ses mains autour de mon torse et m’enlaça. Il me tenait fermement. Il frottait son sexe contre moi, je le sentais s’épaissir. Les yeux rivés sur lui, à travers les miroirs, je l’observais m’embrasser, puis introduire sa main dans mon caleçon. Ses doigts s’affairaient à mon plaisir avec vitesse et dextérité. Il m’examinait dans la glace, comme pour évaluer le succès de sa performance. Je laissais échapper quelques gémissements tant j’appréciais son geste, et Niels accélérait, encouragé. Je n’étais plus qu’à quelques caresses du point culminant. La porte s’ouvrit. Niels quitta mon sous-vêtement soudainement, et recula brusquement.
– Yo, vous faites quoi les mecs ?
Niels se grattait la tête de la main. Ses joues étaient rouges, de l’activité physique ou de l’angoisse que nous ayons été pris la pratiquant. Je tentais de reprendre mes esprits, mon corps encore inondé d’érotisme.
– Ouais, ouais, on arrive, t’inquiète, bredouillai-je.
Gauthier claqua la porte derrière lui. Je lis l’inquiétude sur le visage de Niels. Je me tenais des deux mains au lavabo. Je reprenais mon souffle. J’avais du mal à évaluer la situation. J’étais incapable de savoir ce que Gauthier avait pu voir.
Niels s’achemina ver s la sortie. Il avait une démarche automatique. Il poussa la poignée, puis, sans un coup d’œil dans ma direction, disparut derrière les battants.
Je marchais, à reculons, vers les gradins où attendaient mes amis. L’angoisse m’avait pris quelques secondes après le départ de Niels des toilettes. Dans ces quelques instants, ma vie pouvait basculer. Des scénarios catastrophes défilaient dans ma tête.
J’imaginais que Gauthier raconte à tous ce qu’il avait vu, que mes parents apprennent que j’avais eu des relations sexuelles avec un garçon, que mon petit frère le sache… J’avançais dans le couloir de la mort, vers une sentence fatidique. À quoi ma vie ressemblerait-elle désormais ?
Je me plaçai près de Félix. Sur la rangée en dessous, Romain et Nicolas étaient assis. Niels était installé aux côtés de Pierre un peu plus bas. Il avait l’air effacé. Plus loin sur les pistes, Paulin s’échauffait et Gauthier l’encourageait. Le premier devait concourir dans l’épreuve de saut en longueur, et le second, trop conscient du manque d’enthousiasme de Paulin pour le sport, manifestait ses éloges en braillant. Paulin trimardait, et crachait ses poumons à chaque foulée.
J’attendais le verdict impatiemment. Je ne voulais pas mijoter plus longtemps. J’essayais de déceler le niveau de détresse de Niels. Je voulais aussi savoir si nous pourrions compter l’un sur l’autre. Il m’ignorait totalement.
Félix m’interrogeait du regard. Il comprit à mon expression que quelque chose clochait. Je fis un geste évasif de la main pour exprimer mon intention de l’éclairer plus tard sur la situation. Il me tapota l’épaule pour me consoler. Je sentais les larmes me monter. Ma vie s’écroulerait dans quelques minutes.
Paulin donna une performance à la hauteur de nos attentes. Il finit dans le peloton de tête… en partant de la fin. Toute la bande riait aux larmes. Niels et moi restions impassibles.
Gauthier monta les marches quatre à quatre pour nous rejoindre. Ça y est ! Il ne fit aucune remarque relative à l’événement des toilettes. Il alla simplement s’asseoir à côté de Pierre et Niels et se joignit aux rires du reste. Je l’observais attentivement, à l’affût de ses mouvements et de ses gestes. Je le vis s’adresser à Niels un court instant, puis rire de plus belle.
Paulin vint nous rejoindre après avoir recouvré le plein usage de ses poumons. Tous se moquaient copieusement de lui, enchaînant inlassablement les plaisanteries. Paulin, froissé, le coude planté dans le genou et la tête tenu par son poing, s’évertuait d’ignorer les risées alentour. Gauthier, amusé de le voir ainsi, passa un bras autour de son épaule. Paulin se dégagea aussitôt, puis se leva pour partir bouder aux toilettes.
J’étais soulagé que mon moment de débauche n’ait pas fait polémique. Je savourais la tranquillité d’esprit que m’apportait ce constat. Toutefois, je restais alerte. Cette chance ne se reproduirait sûrement pas à l’avenir. Niels et moi devrions faire preuve de plus de prudence.
J’étais vexé aussi. Niels avait choisi de la jouer solo. Je me demandais ce qu’il en aurait été de nous si la chance avait tourné autrement. Je redécouvrais la précarité de ma situation et n’en appréciais pas franchement les contours.
– Mais vous êtes complètement malades !
Félix se tenait les côtes en m’écoutant.
– Mais c’est pas drôle, j’ai eu la peur de ma vie.
Je composais le code sur le distributeur automatique.
– Attends !
Félix s’efforçait de reprendre sa respiration. Il se calmait quelques secondes, puis repartait de plus belle. Je l’observais, mi-amusé également. Félix avait cette capacité à rendre plus léger tout état de choses, aussi affreux puisse-t-il paraître.
– Mais vous faites des trucs comme ça souvent ?
Je mis Félix à jour. Je lui expliquai toutes nos rencontres sexuelles, lui donnai des détails. Il m’écoutait bouche-bée.
– Mais truc de ouf ! Tu t’étais bien tenu de me dire tout ça, me reprocha-t-il. Moi, je pensais que tu te posais juste des questions sur ta sexualité, et que Niels aussi, mais là vous êtes carrément de la jaquette !
Je croisai les bras, et fronçai les sourcils. Félix était parfois un peu trop léger même. Il ne pesait pas toujours ces mots et leurs effets. Je n’étais pas prêt à recevoir ce genre de qualificatif.
Je récupérai ma barre énergisante.
– Ouais bref… ça m’intéresse pas trop ton avis sur ma sexualité, lâchai-je sèchement. Je te confis juste la sauce dans laquelle je suis.
– Ouais désolé mec, s’excusa-t-il, c’était pas ouf comme remarque.
Je détournai le regard, et me calmai un peu.
– C’est bon, t’inquiète c’est pas grave.
Il poursuivit.
– Par contre, je maintiens que je ne pense pas que Niels se pose des questions. À mon avis, il est en sérieux crush sur toi, voire amoureux.
– Il a une copine, murmurai-je douloureusement.
– Et ?
Je ris.
– Je vois pas trop ce que je devrais ajouter, m’amusai-je.
Félix me regardait sérieusement.
– Écoute, perso je trouve que vos rencontres sont trop fréquentes pour qu’il s’agisse d’une simple attirance sexuelle. Il a l’air de multiplier les opportunités et de, toujours, revenir vers toi.
Je réfléchis. Il poursuivit.
– Après t’es dans la situation. Je me trompe peut-être.
Félix inséra quelques pièces dans la machine et en sortir une barre chocolatée. Nous marchâmes, ensuite, pour rejoindre les autres sur une pelouse du lycée.
Félix levait des points intéressants. Niels serait amoureux de moi ? Cette possibilité me semblait peu plausible. Je n’envisageais pas, pour moi, de schéma amoureux impliquant un garçon. Je n’avais qu’une certitude sur ma relation avec Niels. Il fallait que je la vive un maximum, ici en Espagne.
Le retour serait difficile, et je n’étais pas sûr qu’il existe pour nous, un univers, en dehors de ce voyage, où il était possible pour un nous d’exister.
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