Chapître 21
Isabel s’était donné du mal et nous avait préparé des sandwichs, une omelette aux pommes de terre ainsi que de l’arroz con leche. Nous dégustions notre repas, installés sur une nappe de pique-nique à carreaux. Félix zyeutait ma nourriture avec envie, portant une cuillerée de sa salade de boulgour à la bouche. La famille de Félix était vegan. Compenser les besoins en protéines par une alimentation adaptée aurait été de mise, mais ses membres considéraient plutôt que les aliments crus, ainsi que ceux pauvres en calories permettaient au corps de mieux se régénérer. Félix devait donc passer la semaine, et en particulier ses olympiades en mode survie. Je pris pitié de lui et lui tendis mon omelette. Ses yeux s’illuminèrent.
– Merci, souffla-t-il, la voix pleine d’émotion.
Je croquais dans mon sandwich avidement. La matinée d’épreuve m’avait bien creusée. Je sentais la fatigue montée. Je ne pratiquais plus de sport en club depuis bientôt trois ans, et je sentais mes capacités de récupération en pâtir. L’épreuve de lutte allait être un véritable challenge.
Pierre, Paulin, Gauthier, Niels, Nicolas et Romain mangeaient leurs repas machinalement, et discutaient de choses et d’autres. J’écoutais d’une oreille. La conversation vint enfin sur la relation de Niels et sa copine.
– Vous vous connaissez depuis longtemps, s’enquit Romain.
– Ça doit faire un an, un truc comme ça, répondit Niels, c’est une pote d’un des gars de mon équipe de hockey.
Il sortit son téléphone de sa poche arrière, et se mit à scroller. Il tendit son téléphone à Romain.
– Wow ! Dis donc, tu te fais plaisir, s’exclama-t-il.
Romain fit tourner le téléphone, et chacun exprimait son approbation sur le choix de Niels. Ce dernier s’efforçait de cacher un sourire en coin inscrit sur son visage. J’observais Niels du coin de l’œil, de manière à analyser ses réactions physiques, tout en feignant l’indifférence.
– Mec franchement, elle est fraîche de ouf !
Niels rougit d’orgueil à la remarque de Nicolas.
– Ouais et t’as encore rien vu mec !
Il lui fit un clin d’œil.
– Haha vous avez consommé ou bien, demanda Romain, amusé.
Niels lança un regard complice à Pierre, et gloussa avec celui-ci. Il bombait le torse comme un coq.
– Hum… y a certaines choses qu’on fait mieux de pas partager en public.
Romain insistait. Il voulait plus de détails croustillants. J’avais, à la fois, envie de savoir les réponses et la crainte de les entendre. Je repensai à cette soirée passée chez lui, à ces mots sur cette fille avec laquelle il avait couché.
Niels s’épanchait sur l’aspect physique de sa relation. Ils se seraient, d’abord, embrassés, puis se seraient isolés tous les deux dans une chambre. Elle lui aurait alors fait une fellation, et il l’aurait, finalement, pénétré. Il ne lorgnait pas sur les descriptions de son corps. Chaque parcelle y eu droit.
Félix m’examinait. Je bouillonnais intérieurement. Je brûlais d’envie de mettre un arrêt à cette conversation. Et surtout, je voulais le voir ridicule.
– C’est la même fille que celle dont tu parlais au match le soir où j’ai dormi chez toi.
Je le fixais dans le blanc des yeux. Je vis son visage se décomposer, puis prendre une expression plus sérieuse.
– Oui, pourquoi, demanda-t-il, sèchement.
– Pour rien, simplement, pour mettre les choses en ordre chronologiquement.
J’avais réussi ma manœuvre. Un froid glacial s’était installé, malgré la chaleur environnante. Les regards des copains oscillaient entre Niels et moi. Ils s’évertuaient de saisir ce qui venait d’avoir lieu.
Niels semblait irrité. Cela ajoutait à ma propre exaspération.
Gauthier interrogea Félix sur Maria. La tension dans le groupe redescendit. Toutefois, je conservais toute mon aigreur envers Niels. Je décidai de partir faire un tour pour me calmer.
– Tu m’expliques à quoi tu joues ?
Niels se tenait derrière moi, le regard dur. Nous étions dans la cour intérieure de l’établissement. Nous nous trouvions dans un petit îlot de pelouse entouré d’arbres, légèrement en retrait. L’endroit était vide à l’exception de Niels et moi. Tous les élèves du lycée était soit en classe, soit près du stade. J’étais assis sur un banc et Niels se tenait en face de moi, bras croisés. Il m’avait rejoint et m’avait inciter à parler ensemble.
– Je sais pas, tu m’expliques à quoi tu joues toi, rétorquai-je.
Il porta ses mains sur sa tête.
– Je te signale qu’on a failli se faire griller ce matin déjà.
– Oui et alors ? Il a rien vu Gauthier.
Niels secoua la tête.
– Il m’a demandé tout-à-l’heure, ce qu’on faisait dans les toilettes tous les deux.
Je levai les yeux, inquiet.
– Et tu lui as dit quoi ?
– Bah rien de spécial, juste qu’on était venus se rafraîchir. Le problème, c’est que je suis à peu près sûr qu’il m’a pas cru du tout.
Aïe ! La nouvelle n’était pas bonne.
– Et il t’a cru ?
– Bah j’en sais rien. Mais c’est sûr qu’avec tes conneries, s’il avait des soupçons avant, là c’est clair qu’il en a plus, lâcha-t-il, dans un élan de confiance.
– Ouais, fin, fais pas trop le malin non plus. Tu m’expliques pourquoi tu parles de ta meuf comme ça.
Il fronça les sourcils, il feignait de ne pas comprendre ma remarque.
– Donc j’ai pas le droit de parler de ma meuf ?
Il rit jaune et poursuivit.
– Ça, c’est vraiment la meilleure !
Je le toisais, consterné.
– Genre tu comprends vraiment pas o est le problème ?
– Explique-moi si c’est si évident, s’exclama-t-il, exaspéré.
Je l’observai un moment. Il se fout de ma gueule. Il se fout clairement de ma gueule.
– Okay, je vois, capitulai-je.
Je me levai et m’apprêtai à m’éloigner. Il me retint par le bras.
– Pourquoi tu te barres ? On a pas fini là.
Je le jaugeais avec mépris.
– Moi j’ai fini. Alors merci pour cette conversation très enrichissante, mais je vais me casser si tu veux bien.
Je m’étais employé à déverser tout le dégoût qu’il m’inspirait à ce moment-là dans ma tirade. Je sentis son étreinte se déserrer. J’en profitai pour me dégager, et le laisser derrière moi.
Nous étions tous de retour dans les tribunes, à l’exception de Félix qui était sur le point de disputer l’épreuve de lancer de disques. Concentré sur le terrain, il enchaînait les exercices d’échauffement. Je lui hurlais des encouragements depuis ma place. J’avais décidé de m’asseoir seul dans une rangée, un peu en retrait des autres. Niels n’avait pas encore refait surface, pour mon plus grand bonheur. Je ne comprenais pas ce double-jeu qu’il semblait entretenir avec enthousiasme. Et surtout, je ne comprenais qu’il puisse si peu se soucier de se mettre en spectacle ainsi, devant moi. Je le trouvais cruel et égoïste.
Félix était maintenant en ligne pour disputer l’épreuve. Je redoublais d’éloges à son égard pour lui donner confiance. Il courait en cercle, les bras et la tête vers le ciel, comme un champion olympique qui venait de sortir victorieux d’une épreuve. Je ris à cette vision.
On vint s’installer sur le siège à ma gauche.
– Tu boudes ?
La voix de Niels était douce et mielleuse. Je soufflai pour montrer mon agacement. Je trouvais sa tentative d’approche franchement gonflée. Je me tournai vers lui.
– Essaie peut-être de commencer par des excuses la prochaine fois !
J’avais voulu mon ton le plus sec possible. Je sentis son genou venir se coller au mien.
– Je suis désolé de t’avoir vexé.
Je croyais rêvé. Je fis un mouvement de recul pour rompre le contact.
– T’es désolé de m’avoir vexé ?
– Oui je suis désolé, je voulais pas.
– Donc si je résume, commençai-je, t’es pas désolé d’avoir fait et dit de la merde, mais t’es désolé que je sois une grosse chialeuse avec laquelle il faut prendre des pincettes ?
Son visage criait l’incompréhension.
– Mais j’ai pas dit ça !
– C’est tout comme.
Je pris une grande inspiration et poursuivis.
– Franchement, je suis pas d’humeur là. Lâche-moi cinq minutes, s’il-te-plaît.
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