Chapître 22

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 Niels me jetait des regards de temps en temps. Je feignais de l’ignorer, et de me concentrer sur l’épreuve de Félix. La colère était redescendue. Je sentais son odeur suave chatouiller mes narines. Je savais son corps à quelques centimètres du mien. J’étais tout entier attiré par lui. J’étais heureux de sa présence, mais ne voulais pas le montrer.

 Félix s’apprêtait à lancer son disque. Mes mains en porte-voix, je hurlais des slogans, et des éloges pour l’encourager.

 Niels, à ma gauche, s’évertuait à attirer mon attention. Il chantonnait, soufflait, claquait sa langue contre son palais. J’appréciais que l’on puisse vivre notre histoire à l’abri des regards. Je n’aurais pas pu la vivre autrement. Mais le secret rendait ma situation précaire. Le savoir en couple, et l’entendre parler de sa copine comme il le faisait me donnait le sentiment de n’être personne à ses yeux. Je savourais donc ses efforts. Ils agissaient comme une confirmation que ce que nous vivions était bien réel.

 Un sourire se dessina sur mes lèvres malgré moi.

 – Tiens, tiens, tu devais pas faire la gueule, toi ?

 Je tournai la tête. Ses joues étaient rosies par le soleil. J’en profitai pour le reluquer. Le soleil avait rosi ses joues. Ses bras avaient bruni, et contrastaient, désormais, avec sa chevelure blonde. Son teint halé rendait plus apparente sa musculature avantageuse. Mes yeux parcouraient ses bras. Je m’arrêtai sur la veine de son biceps. Il m’observait, satisfait de l’effet qu’il produisait sur moi. Je lui lançai un regard de défi. Je ne comptais pas capituler ainsi.

 – Attends un peu la lutte, je vais te ratatiner, le menaçai-je.

 Il gloussa, et s’approcha un peu plus de moi. Il était à quelques centimètres de mon visage.

 – Ah oui ? Et tu comptes le faire avec tes petits bras musclés, princesse ?

 Il saisit mon bras, tâta mon biceps, et prit un air sérieux. Il mima l’analyste, et poursuivit.

 – Deux, peut-être, trois minutes, dit-il d’un ton moqueur.

 Je retirai mon bras, et pris un air choqué.

 – C’est ça ! On en reparle après que je t’ai mis une branlée comme ce matin, plaisantai-je.

 Il porta sa bouche à mon oreille.

 – Hâte de recevoir ma récompense pour ma victoire, susurra-t-il.

 Il éloigna son visage pour se porter à hauteur de mes yeux et m’observer. Ses lèvres formaient un rictus enjôleur. Ses yeux charmeurs me caressaient affectueusement. Je ne pouvais que, une fois de plus, constater ma capitulation. J’étais grisé de sa beauté, enivré de son attention pour moi. Je prenais conscience que mon attirance pour lui n’était pas que sexuelle, et cela aurait dû me terrifier. Malgré tout, sa proximité m’apaisait. Je n’avais peur de rien.

 Niels reprit tranquillement sa position assise initiale, le regard toujours planté dans le mien, puis se tourna à nouveau vers le terrain. Il gardait ce sourire sur son visage. Je fis un léger mouvement de pivot et tentai de rediriger ma concentration sur les jeux. Je restais dans un état d’euphorie certain.

 Félix, le disque à la main prenait de grandes inspirations. Il s’apprêtait à lancer pour la seconde fois. Son premier essai avait été un échec. Il avait malencontreusement quitté la zone de lancer dans la dernière seconde. Il lui restait, toutefois, une chance de rejoindre le podium. Quelques-uns de ses adversaires étaient, certes, redoutables, mais aucun n’était en capacité de creuser un écart conséquent avec lui.

 Allez Félix ! Donne tout ! T’es le meilleur ! Toute la bande, galvanisée, hurlait à en décrocher ses poumons. Je voyais Félix au loin s’enhardir en conservant, cependant, sa concentration. Je connaissais ses exploits sportifs. Il avait toujours été le meilleur dans cette discipline lorsque nous pratiquions l’athlétisme ensemble.

 Félix fit quelques pas en arrière pour se positionner au fond de l’aire de lancer. Dos à la pelouse, il écarta légèrement ses pieds. Je lisais un état de transe sur son visage. Allez mec ! Donne tout !

 Il prit une grande inspiration et étendit son bras sur son flanc gauche de manière à maintenir son corps en équilibre. Félix poussa sur sa jambe gauche, le corps légèrement fléchi vers l’arrière, et créa un mouvement de balancier. En une fraction de seconde, Félix effectua une rotation à 180° et propulsa son disque dans les airs.

 Nous restâmes figés, retînmes notre souffle. Le disque se posa sur le sol. Ouaaaaaais ! Félix venait d’obtenir la deuxième place sur le podium. Dans un élan d’exaltation, Niels et moi nous prîmes dans les bras l’un l’autre. Je tirai parti de ce moment pour lover mon nez dans son cou. Que j’aimais cette odeur ! Celle-ci était rendue plus capiteuse par l’effort physique et la sueur. Niels glissa sa main sur ma fesse et la pressa promptement. Nous nous dégageâmes tout aussi rapidement. Il allait être difficile de me passer de son corps le reste de la journée. Mon désir pour Niels était irrésistible et je sentais que le sien pour moi l’était tout autant.

 J’allai à la rencontre de Félix.

 – Tu t’es surpassé, mec, t’as bien géré.

 Loin de se contenter d’une médaille d’argent, Félix en avait obtenu une d’or au lancer de poids. Il sautillait et dansotait de joie sur le terrain. Il avait cette capacité à se laisser déborder par les émotions positives et agissait ainsi comme un véritable rayon de soleil. Il était difficile d’être triste avec Félix dans son entourage.

 – Yes ! T’as vu ça ? Je les ai éclatés, s’exprima-t-il fièrement.

 Il n’avait pas pour habitude de remporter la victoire modestement. Quelques années plus tôt, alors que je me remettais doucement d’une entorse à la cheville, Félix m’avait battu de quelques dixièmes de secondes à la course. Il s’était agi d’arriver premier au self, et j’avais eu le malheur d’accepter le défi. En conséquence, Félix m’avait assommé tout le reste de la journée du récit de ses prouesses et de ses capacités surhumaines. L’envie de lui tordre le cou avait été à peine répressible. J’étais bon pour revivre un remake de cet épisode.

 – Allez, Tom, je compte sur toi pour ramener la médaille à la lutte.

 Je ne partageais pas l’optimisme de Félix sur ma performance à venir. Je savais mes chances de victoire proche de zéro. Il s’agirait de ne pas me faire ratatiner. Plus important encore, il s’agissait de battre Niels. J’étais, d’abord, galvanisé par le défi qu’il m’avait lancé plus tôt. Il n’était pas question pour moi de ne pas être à la hauteur. Je repensai également à cette formule de Niels plus tôt. Princesse. Ou encore celle de la veille au soir. Si seulement t’étais une fille ! Je n’avais pas vraiment eu le temps de m’arrêter sur celles-ci. Toutefois, j’avais l’intuition que Niels considérait que ma défaite ferait de son souhait une réalité. Comme si sa supériorité physique sur moi entérinait ma non-appartenance au genre masculin, et normalisait nos rapports. C’était décidé, je ne lui laisserais aucune possibilité de gagner.

 – Yes, je vais les écraser ! Compte sur moi !

 Une grande inspiration, puis une expiration. J’avançai mon bassin un peu plus en avant, et saisis mes orteils. Mon buste entier était maintenant positionné au-dessus de mes jambes. Mes ischio-jambiers étaient douloureux, conséquence de l’activité du matin. Je pris plusieurs respirations et relâchai consciencieusement la tension dans mes jambes tendues. J’allongeai mes bras sur mes cuisses et relevai doucement le menton.

 En face de moi, Niels et Pierre se préparaient, également à l’épreuve. Ils luttaient l’un et l’autre, tentaient de se saisir l’un l’autre et répétaient des techniques presque parfaitement acquises. Ma tâche allait être difficile. Mon ambition de plus tôt ne trouverait certainement pas satisfaction. Tout au plus, ma préparation me permettrait de mieux encaisser les chocs, mais il ne me semblait pas envisageable d’espérer mieux que de m’en sortir sans rien me casser, tout en bas du classement.

 Je quittai ma position et me relevai. Je portai ma cheville à ma main, derrière mon dos, et pressai celle-ci contre ma fesse droite. Je répétai le geste plusieurs fois, en veillant à contrôler mon souffle, puis répétai l’opération avec le quadriceps gauche.

 Le gymnase avait été rénové il y a peu de temps. Tout à l’intérieur sentait le neuf. Une surface blanche et un quadrillé de bois habillaient le plafond. Les murs étaient, de moitié, revêtus de bois également. La partie supérieure était occupée par de grandes baies vitrées, fermées de moitié par des volets blancs pour empêcher la chaleur et le trop-plein de lumière de pénétrer. Sur la longueur, cinq rangées de gradins accueillaient les quelques élèves courageux qui n’avaient pas encore perdu l’intérêt pour la compétition, ainsi que ceux qui étaient sur le point de concourir. Félix et les autres étaient restés à l’extérieur profiter du soleil. Je me réjouis de ce constat. Le nombre de témoins à mon humiliation imminente serait limité.

 Je poursuivais mes étirements et en profitais pour examiner mes adversaires. Je remarquai une petite bande de gringalets qui semblaient se demander tout autant que moi pourquoi ils avaient consenti à participer à une telle épreuve. Je me rassurai un peu. Leur présence me permettrait certainement de sauver mon honneur.

 Toutefois, je constatai, également, que Pierre et Niels n’étaient pas les seuls participants qui valaient que l’on se méfie d’eux. Un groupe de trois garçons, des Espagnols, nous dominaient tous de plusieurs têtes. Ils avaient l’allure des membres d’une équipe de baskets. Ils mesuraient, tous, au moins, un bon mètre quatre-vingt-dix. Leurs épaules larges, leurs pectoraux énormes ainsi que leurs bras d’obus trahissaient une fréquentation presque obsessionnelle de la salle de sport. Je déglutis à leur vision. Je tentai de me souvenir pour quelle raison j’avais choisi cette épreuve.

 J’allai au tableau, près du mur, pour consulter les ordres de passage. Ne pouvant dégager que deux terrains de lutte en raison de contraintes spatiales, les qualifications avaient lieu en deux temps. Je fis glisser mon doigt sur celui-ci à la recherche de mon nom. Tom (Brasilia) vs Ruben (China). J’allais passer deuxième. Je vis le visage d’un des colosses que j’avais observé plus tôt apparaître à ma droite.

 – Are you Tom, me demanda-t-il.

 Je déglutis.

 – Yes, why is that ?

 J’angoissais de sa réponse.

 – Nice to meet you, I’m Ruben.

 Je me figeai sur place. Je vis ma vie défiler sous mes yeux. Je tentais, en vain, de me souvenir pourquoi j’avais choisi de participer à cette épreuve.

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