Chapître 23

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 Assis dans les gradins, encore en état de choc, j’observais les premiers combats. Sur le terrain de gauche, un des petits gringalets se faisait martyriser par un des obus. À droite, Niels disputait face à un autre élève sans trop de difficulté. Je n’arrivais même pas à me concentrer sur lui.

 Je considérais toutes les possibilités qui s’offraient à moi. Peut-être que sur un malentendu… Non ! J’allais clairement me faire ratatiner.

 Je réfléchissais à ce que je laissais derrière moi. Je n’avais pas de propriété, pas de carrière, rien. Je n’avais pas voyagé non plus. Pourquoi tu t’es mis dans ce pétrain ?

 Niels et l’obus gagnèrent leurs matchs haut la main. Tom ! Ruben ! Le moment était arrivé. Je me levai lentement, puis descendis les quelques marches qui me séparaient du lieu de ma mort imminente. Je tentai de reprendre mes esprits. La force physique était, certes, un facteur déterminant dans ce sport, mais la victoire ne dépendait pas seulement de celui-ci.

 Je fis l’inventaire de mes atouts. J’allais devoir compter exclusivement sur ma vitesse.

 Trois manières de marquer des points : faire tomber l’adversaire au sol et l’immobiliser, s’échapper de la prise de l’adversaire lorsque l’on a été jeté au sol, s’échapper de sa prise et réussir à inverser le rapport en le faisant chuter et en l’immobilisant à son tour.

 Dans ce schéma, je voyais mes possibilités limitées. J’allais devoir compter sur mon agilité. Tenter de me dégager semblait être l’option la plus plausible.

 Je me positionnai sur le terrain, terrai mes pieds dans le tapis de manière à assurer mon équilibre. Ruben en face semblait très concentré. Je ne comprenais pas cet effort de sa part. À sa place, j’aurais été plus serein.

 Le combat commença. Nous tournions autour du terrain à l’aide de pas chassés. Tous mes sens étaient en alerte. Si je comptais l’emporter, il allait falloir faire preuve de ruse et de technique. Or je manquais cruellement de cette dernière. Je n’avais de ce sport aucune connaissance, aucun savoir-faire. Je n’avais jamais pratiqué et n’était familier, par conséquent, d’aucune prise.

 Ruben tenta quelques approches. Il tenta plusieurs fois de me saisir par les bras. Je l’esquivai avec des gestes vifs. Je constatai avec joie qu’il était plutôt lent. J’observais attentivement ses mouvements et les analysais. Je m’efforçais de me souvenir de l’entraînement de Niels et Pierre, leurs positionnements, leurs prises.

 L’adrénaline me portait. Je tentai à mon tour de saisir Ruben par les hanches. Raté. Je fis un magnifique plat et rebondis sur les matelas. Je sentis les bras de Ruben se positionner au niveau de mon bassin ainsi que de mes épaules, puis ses mains tenter de se joindre de manière à me bloquer dans cette position. Je me retournai vivement et échappai à sa prise de peu. Je me relevai en un mouvement et m’éloignai de Ruben, à l’extrémité des tapis.

 J’avais eu chaud. Je décidai de ne plus prendre l’initiative de l’attaque. Il était clair que ce scénario ne pouvait pas m’offrir de succès.

 Je devais également prêter attention à la limite de terrain derrière moi. Ruben s’approcha de moi et tenta de me saisir par le bras. Je l’évitai et allai me réfugier à l’autre bout du terrain. Pour l’instant, je menai la partie, certes, d’un court point, mais d’un point quand même. Il me suffisait, désormais, d’attendre que le temps passe pour que la partie se finisse tout en m’assurant que Ruben ne marque pas de point de son côté.

 Ruben multipliait les offensives, et je les évitai avec un succès toujours égal. Je sautais d’un bout à l’autre du terrain comme une sauterelle. Je m’impressionnais moi-même de mes prouesses.

 Toutefois, je sentais la fatigue poindre son nez. Il allait m’être difficile de tenir ce rythme toute la partie. Nous étions déjà arrivés à la moitié, et mes jambes commençaient à me faire défaut. Des courbatures commençaient à se sentir dans ma cuisse gauche. Je savais mes mouvements plus brouillons, et ma concentration commençait à fléchir.

 Je jetai un œil dans les tribunes. J’y aperçus Niels. Son regard vint se planter dans le mien. Boum !

 J’étais au sol et ne pouvait plus bouger. Ruben me maintenait d’une ferme étreinte. Il n’y avait plus aucune possibilité pour moi d’inverser la tendance. Je venais de lui offrir deux points sur un plateau d’argent.

 Le reste du combat ne fut pas plus en ma faveur. J’étais lent et sonné de finir au sol si brutalement et si fréquemment. Je n’opposai à Ruben que peu d’opposition. Mon sort était scellé et je n’attendais plus que la fin.

 Enfin, un coup de sifflet vint l’annoncer. Je me relevai péniblement et vins saluer mon adversaire. Il me souriait gentiment. Rien dans son regard ne trahissait la satisfaction. Je lui rendis son sourire. Il me félicita pour mon combat et alla rejoindre ses amis.

 J’allai rejoindre Pierre et Niels dans les gradins. Pierre m’applaudissait et Niels m’observait en riant. J’étais exténué de ma (non)performance, je ne trouvais moi-même pas la force de mimer un sourire.

 – Bien joué, mec ! C’était pas évident, me félicita Pierre.

 Ça, c’est sûr, pensai-je.

 Niels posa sa main sur mon épaule et me fit un clin d’œil.

 – T’inquiète, on va te montrer comment on fait, se targua-t-il.

 Je levai un sourcil, incrédule.

 – Ouais, ouais, c’est ça, on en reparle après ton passage.

 Niels s’éloigna pour rejoindre le terrain.

 Ruben vint s’asseoir à ma gauche. Ses cheveux bruns étaient bien coiffés à la Di Caprio sur son crâne, et donnaient l’impression qu’il n’avait pas fait le moindre effort physique. Sa mâchoire carrée lui donnait l’air d’avoir la vingtaine passée. Toutefois, ses traits étaient fins, et trahissaient une certaine douceur. Ses yeux noisettes vinrent se planter dans les miens. Il m’observa ainsi quelques secondes, et m’adressa la parole dans un anglais approximatif.

 – Tu t’es plutôt bien débrouillé pendant le match, amorça-t-il.

 Je lui souris.

 – Haha merci, c’est gentil. Mais bon faut quand même reconnaître que tu m’as mis une sacrée  raclée.

 Il rit légèrement, et poursuivit.

 – On a prévu avec quelques copains de se retrouver en ville tout-à-l’heure. Si ça te tente, tu peux nous rejoindre avec des potes, proposa-t-il.

 J’étais heureux de la proposition. Il était le premier lycéen espagnol qui me montrait de l’intérêt. J’appréciais sa prise d’initiative. Ce serait, en outre, l’occasion de parfaire mon espagnol.

 – Pourquoi pas, en vrai, je vais voir avec les autres.

 Il leva la fesse gauche, et sortis son téléphone de sa poche arrière. Il pianota dessus quelques instants, et me le tendit.

 – Entre ton numéro, comme ça tu pourras me redire si t’es intéressé, et je te communiquerais le lieu de rendez-vous.

 Je pris le téléphone, et y entrai mes coordonnées.

 – Machou ?

 – Machu, le corrigeai-je.

 Il essaya de reproduire les sons, puis secoua la tête quand il comprit qu’il n’y parviendrait pas. Je m’amusai de sa tentative.

 Il me tendit la main la main pour me la serrer et planta ses yeux à nouveau dans les miens.

 – Eh bien, Tom Machu, commença-t-il, j’espère te revoir ce soir.

 Il maintint sa main dans la mienne, et soutint mon regard quelques secondes. Il se leva me fit un clin d’œil et partit rejoindre ses amis un peu plus loin. Je l’observai s’éloigner, puis me tournai en direction de Niels. Je surpris son regard.

 Pierre et Niels terrassèrent leurs adversaires sans problème. Je devais admettre qu’ils faisaient preuve de bien plus d’habilité que moi. Il faisait à la fois preuve de technique, de force et de vitesse. Il me jetait des regards de temps en temps, un sourire arrogant figé sur le visage.

 Je le trouvais, à la fois terriblement sexy, et extrêmement exaspérant. Tu vas voir ce qui t’attend ! Niels allait devoir affronter Ruben en final. La perspective d’assister à ce spectacle me remplissait d’excitation.

 Je me levai et allai rejoindre Niels. Il buvait de grandes goulées à sa gourde. Il m’aperçut, mima la pose d’un bobybuilder en jouant de ses biceps. Je ne pus retenir un gloussement.

 – Alors, tu dis quoi de mon talent inégalé, plaisanta-t-il.

 – J’attends de voir comment tu t’en sors face à Ruben et je te redis. Okay ?

 Je lui lançai un regard de défi. Il porta sa gourde à sa bouche tout en soutenant mon regard, ses yeux bleus plantés dans les miens. Il m’analysait de façon insolente.

 Je lui tendis une barre de céréales. Il la saisit et me fit un clin. Je fis demi-tour, et levai les yeux au ciel. Je retournai m’installer dans les gradins, et m’assis. Le combat allait commencer d’une minute à l’autre.

 J’étais partagé entre l’envie de le voir sortir victorieux de ce combat, et le souhait de voir son caquet se rabattre. Je savais que je serais fier pour deux s’il remportait la victoire, mais je m’interrogeais. Que Niels pensait-il véritablement de moi ? Il se comportait comme un macho se comporte avec une fille. Je trouvais cela ridicule et irritant.

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