Chapître 25

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 Niels, les mains dans les poches, traînait des pieds derrière moi. Je jetais des regards dans sa direction, de temps en temps, pour prendre la température. Un vent frais flanquait ses cheveux sur le côté. Il m’apparaissait, clairement, que Niels n’était pas fou à l’idée de passer une soirée avec le type responsable de sa jambe blessée. Cependant, je considérais son comportement quelque peu exagéré. Et surtout, j’angoissais que Niels n’en change pas, avant d’arriver à notre petite sauterie. J’anticipais déjà le sentiment de honte qu’il me causerait.

 Nous longions la promenade de la baie étendue sur plusieurs kilomètres. Des stands de nourriture ainsi que des restaurants jouxtaient le chemin de pavés. Diverses odeurs de nourriture émanaient des commerces, et s’entremêlaient à l’air marin. Un assortiment de senteurs baroques venaient nous chatouiller les narines.

 À cette heure, le soleil était, de moitié, caché par une grande colline, mais nous éclairait, encore, de sa lumière généreuse. Les terrasses des restaurants étaient pleines à craquer, et les voix se superposaient les unes aux autres. Quelques courageux se baignaient encore, mais l’espace, sur la plage, était majoritairement dégagé. Le frais de ce début de soirée avait eu raison des plus frileux.

 Ruben m’avait donné rendez-vous à une centaine de mètres de notre position. Il m’avait transmis sa localisation par message. Je l’informai de notre arrivé imminente. Je rangeai mon téléphone dans ma poche arrière et me tournai vers Niels.

 – Ça te dit de passer la deuxième, proposai-je, amusé.

 Niels haussa les épaules, et augmenta le rythme de sa course légèrement. J’attendis qu’il atteigne ma hauteur pour avancer, de nouveau.

 – Mais vous vous connaissez comment en fait ?

 Niels m’observait, intéressé.

 – Euh…bah on se connaît pas vraiment, en fait.

 Je lui expliquai comment Ruben m’avait abordé, invité et demandé mon numéro.

 – Okay... et tu trouves pas ça chelou.

 Je fronçai les sourcils.

 – Qu’est-ce qu’il y a de chelou là-dedans.

 – Je sais pas, un gars que tu connais de nulle part qui t’invite comme ça, et chope ton num.

 Je ne pus réprimer un gloussement.

 – Attends, t’es en train de me faire une crise de jalousie là ?

 – Non je te dis juste que c’est chelou.

 Son ton criait la mauvaise foi. Je m’amusais de cette situation. J’éprouvais un plaisir pervers à connaître la cause de sa contrariété.

 Nous arrivâmes au bout du chemin et descendîmes une vingtaine de marches d’un escalier en pierre. Je retirai mes chaussures et portai ma main gauche en visière, pour me protéger d’un éblouissement inexistant. J’aperçus Ruben au loin, et commençai à marcher dans sa direction. Le sable était encore chaud sous mes pieds.

 Ruben et ses amis avaient choisi un petit coin pour s’installer, une sorte d’enclave dans les rochers à l’extrémité de la plage. Je lui serrai la main, et saluai ses camarades.

 Paula, une fille aux cheveux châtains et aux tâches de rousseurs, me prit immédiatement dans ses bras. Je fis un mouvement de recul automatique, mais fus rattrapé par son étreinte. Je reconnus les deux amis de Ruben qui l’accompagnaient plus tôt lors des olympiades. Ils m’adressèrent un signe de tête en gage de bienvenue.

 Je ne pus m’empêcher de reluquer Ruben et ses compères. Paula portait un maillot de bain deux pièces, mettant bien en avant son corps athlétique et ses courbes généreuses. Pablo et Raphael étaient tous les deux vêtus de shorts de bain. Leurs cuisses ainsi que leurs abdos saillants me donnaient une allure de petit lutin. Ruben, portait un T-shirt, mais celui-ci n’était pas en mesure de contenir une quantité considérable de muscles. J’appréhendais la possibilité d’une future baignade.

 Niels alla saluer chaleureusement chacun des membres du groupe. J’étais soulagé de constater qu’il avait mis de l’eau dans son vin.

 Je posai mon sac à dos sur le sable, encore chaud, et installai ma serviette. Je sortis la bouteille de vin, et entrepris de retirer le bouchon.

 De nombreuses bouteilles d’alcool se côtoyaient sur le sol. Gin, vodka, bière, tout y était. Tous avaient déjà un verre dans les mains. Ruben en apporta un à Niels et vint à ma rencontre.

 – Alors, pas trop dur à trouver, m’interrogea-t-il en anglais, en me tendant un gobelet.

 – Non, non ça va, c’est plutôt simple.

 – Tes autres amis ne viennent pas ?

 J’avais proposé à Félix ainsi qu’au reste de la bande. Leur famille d’accueil n’avait pas voulu qu’ils nous rejoignent en raison de la distance trop importante entre leur domicile et le lieu de la soirée. J’exposai à Ruben les motifs de leur absence.

 – Vous venez souvent ici, m’enquis-je, soucieux de meubler la conversation.

 – Oui, quand il commence à faire beau, on essait.

 Il poursuivit.

 – Je suis content que tu aies pu venir.

 Il m’adressa un grand sourire. Je jetai un coup d’œil dans la direction de Niels. Paula et lui étaient en pleine conversation. J’étais heureux de le voir s’intégrer. Je tournai la tête à nouveau pour m’intéresser à mon interlocuteur. Nous allâmes nous asseoir sur les rochers à quelques mètres du reste du groupe.

 Ruben faisait de la natation depuis son enfance. Il pratiquait désormais à haut niveau. Il avait pour ambition d’en faire son métier pendant un temps, si son niveau le lui permettait. Je l’écoutais parler et lui posais des questions. À son tour, il m’en posait, me demandait comment était la vie en France. Ce que je pensais de l’Espagne, quelles étaient mes ambitions pour l’avenir.

 Nous nous entendions à merveille. Je le trouvais très doux et soucieux des autres, très loin de ce que son apparence pouvait dégager.

 – T’as une copine ?

 La question avait été si soudaine que je déglutis avant de répondre.

 – Non.

 – Un copain peut-être ?

 Je gloussai et secouai la tête.

 – Non, pourquoi ?

 – Je sais pas, t’aurais pu en avoir un, non ?

 Je fronçai les sourcils, et bus quelques gorgées d’alcool. J’étais vexé de sa question.

 – Et toi alors, lui demandai-je, le regard tourné vers la mer, t’as un copain.

 – Non, ni l’un, ni l’autre. Je me suis séparé de ma meuf y a peu de temps.

 – Okay.

 – Au cas où, c’était pas clair, je te demandais si t’étais en couple parce que je te trouve mignon.

 Je restai figé, les lèvres collées à mon gobelet. Je tournai la tête vers lui, et m’efforçai de déceler  l’humour dans sa phrase. Il montrait une expression, parfaitement, sérieuse. Je sentis la chaleur me monter aux joues. Il rit.

 – Désolé, j’ai tendance à être un peu direct.

 – Non, non, t’inquiète, c’est rien, répliquai-je, déboussolé.

 J’essayais de remettre ses mots dans l’ordre dans mon esprit.

 – Je peux te poser une question, me risquai-je.

 – Oui, vas-y.

 Je décelai la méfiance dans sa voix.

 – T’aimes les filles et les garçons ?

 – Yep, me confirma-t-il, j’étais avec une fille jusqu’à maintenant, mais j’ai fréquenté pas mal de gars aussi.

 J’enlaçai mes genoux, et apposai ma bouche contre mon avant-bras.

 – Okay.

 – Pourquoi cette question ?

 Je pivotai la tête légèrement pour faire face à Ruben.

 – C’est que…, hésitai-je.

 Je marquai une pause. Ruben m’observait. Je poursuivis.

 – Je suis pas sûr de ce que je veux.

 Je posai mon regard sur la mer. Un silence s’installa entre nous. J’ignorais dans quelle mesure il était possible pour moi de me confier à Ruben. J’étais heureux de faire la connaissance d’une personne qui était susceptible de vivre la même chose que moi. De plus, Ruben ne faisait pas partie de ma vie. J’hésitais à considérer cette rencontre comme une opportunité de me confier. Je craignais de partager mes sentiments pour Niels avec un tiers. Comme si cette révélation actait ma situation. J’avais peur d’être considéré comme marginal.

 Je sentis une main se poser délicatement sur mon épaule.

– Ça va aller, t’inquiète.

 Niels a quelques pas d’ici nous observait, un regard noir sur le visage.

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