Chapître 26
– T’es ami depuis longtemps avec Niels, m’interrogea Paula, assise en tailleur à ma gauche.
– On se connaît depuis un moment, oui.
– Il est célibataire ?
Je lui lançai un regard interloqué.
– Euh… non, il a une copine en France.
Je vis la mine de Paula se décomposer. Elle s’assit normalement sur la serviette et poursuivit sa conversation avec Rafael. Niels bavardait avec Pablo.
Je sirotais ma bière tranquillement en profitant du moment. Nous étions disposés en cercle autour d’une enceinte qui diffusait de la pop espagnole. Je sentais les premiers effets de l’alcool. J’observais le paysage vallonné, et chantonnait sur le rythme de la musique. Les premiers effets de l’alcool faisaient leur apparition. Une chaleur agréable traversait mon corps, et apportait une certaine sérénité à mon esprit. Je me délectais du moment.
Ruben vint s’installer à ma droite.
– Ça te dit d’aller te baigner ?
Je me levai, et retirai mon T-shirt en signe d’approbation. Ruben m’embraya le pas. Nous nous mîmes en marche en direction de la mer. Le sable était chaud sous mes pieds, l’air frais caressait ma peau.
– Au fait, merci de nous avoir invités, c’est super cool comme soirée.
– Mais je t’en pris, répliqua Ruben, amusé.
Nous arrivâmes au niveau de la mer. Je trempai l’orteil. L’eau était glaciale. Un frisson parcourut ma colonne vertébrale.
– Okay, je crois que je vais retourner à ma serviette, annonçai-je.
J’obliquai, et entrepris de rejoindre les autres. Je sentis des mains me saisir. Ni une ni deux, j’étais couvert d’eau de la tête aux pieds. Ruben m’avait saisi, et lancé à la mer avec une facilité déconcertante. Hilare et trempé jusqu’aux oreilles, je riais de ma situation. Ruben riait aussi. Il fit quelques brasses pour me rejoindre, et s’approcha dangereusement. Je reculai la tête, interloqué.
– Désolé, je…, amorçai-je, gêné.
– Non, non, t’inquiète.
Mes pensées tournaient à cent à l’heure. Une véritable palabre avait lieu dans mon esprit. Dois-je lui dire ? Je sentis ma bouche s’affranchir de mon autorité.
– Je suis sur quelqu’un d’autre.
Ruben m’observait.
– C’est pas grave t’inquiète, me rassura-t-il.
Je secouai la tête.
– Non, c’est pas ça, c’est que…
Je cherchais mes mots. Je poursuivis.
– Je suis sur un autre mec, et je suis totalement paumé. Je sais pas ce qu’il m’arrive.
Ma respiration était rapide, je sentais la panique me monter. Ruben leva les mains en l’air, me faisant signe de me calmer.
– C’est pas grave, ça va aller, me rassura-t-il.
J’expliquai ma situation en omettant le nom de Niels. Ruben m’écoutait religieusement. Il me partageait des mots compatissants de temps à autre, ainsi que ses propres doutes lors de ses premières expériences avec d’autres garçons.
Ruben avait appris qu’il aimait les garçons deux ans auparavant. Un nouveau était arrivé dans son lycée, un dénommé Jorgen. Ils avaient très rapidement sympathisé. Un jour, Jorgen était allé dormir chez Ruben, et les choses avaient dérapé. Toutefois, Jorgen comme Ruben n’étaient pas prêts à vivre leur relation au grand jour. Ils avaient donc continué à se côtoyer dans le secret. Jorgen avait fini par se trouver une copine et à ghoster Ruben.
– Vous faites quoi les gars ?
Niels nous interpellait depuis la plage. Il s’introduit dans l’eau, et vint nous rejoindre à la nage.
– Sérieux, vous faites quoi depuis tout ce temps, réitéra Niels.
Son visage dépeignait la suspicion.
– Rien, rien.
Mon expression ainsi que le ton employé dénotait avec mon intention.
– Je vous laisse.
Ruben me lança un dernier regard avant de s’éloigner en crawl.
Niels m’observait, les sourcils froncés.
– Tu sais qu’il aime les garçons, m’interrogea-t-il.
– Oui, il aime les filles aussi.
– Et vous faisiez quoi exactement ?
– Rien de spécial, on discutait.
Niels gloussa nerveusement.
– Ah oui ? Vous discutiez ? Vous m’aviez l’air bien proches pour des gens qui discutaient.
Son ton commençait à sérieusement m’agacer.
– Oui, on parlait juste. Maintenant, si tu me crois pas, je peux rien faire de plus.
Je trouvais son comportement franchement gonflé. Entre Ruben et moi il ne se passerait rien. Pour autant, Niels n’avait pas à me donner une quelconque leçon en la matière.
– Je sais pas, t’avais l’air de bien t’amuser, insinua-t-il.
C’en était trop.
– Écoute, tu commences à me gaver là, je vais retourner à ma serviette. Je te rappelle que je suis pas en couple, moi.
Je fis une brasse jusqu’à sortir de l’eau, puis me dirigeai vers notre spot dans une marche rapide.
Niels et moi faisions chacun la gueule dans notre coin. J’enviais leur bonne humeur. Je n’arrivais pas à faire redescendre ma colère. La frustration liée à ma relation avec Niels refaisait surface. Je prenais conscience que je n’allais certainement pas tenir beaucoup plus longtemps, sans adresser le problème frontalement. Jusqu’à maintenant, j’avais fait quelques remarques par-ci par-là, mais il me fallait maintenant exiger des réponses.
La nuit était tombée, désormais. Des lampadaires sur la promenade nous éclairaient timidement. Il y avait suffisamment de lumière pour reconnaître les visages, et suffisamment peu pour désinhiber les corps encore plus.
J’observais Ruben et ses amis se déhancher sur la musique. Ils s’enlaçaient, dansaient en cercle bras dessous, sautaient à l’unisson.
Je portai mon regard sur Niels. Il buvait sa bière assis sur sa serviette. Je décidai de le rejoindre.
– Je peux ?
Niels hocha la tête. Je m’installai à sa gauche. J’hésitai à briser le silence entre nous. Je ne savais pas vraiment quoi dire. Niels et moi avions un sérieux problème de communication. Nous ne nous comprenions pas.
– Tu passes une bonne soirée, me risquai-je.
Niels tourna la tête dans ma direction.
– Bof !
Niels ne semblait pas particulièrement prêt à calmer la tension entre nous. Je soufflai.
– Je sais pas comment te parler, avouai-je, dépité.
Il me lança un regard interloqué.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
Je marquai une courte pause, et m’allongeai les mains derrière la tête.
– J’ai l’impression qu’on se comprend pas, murmurai-je timidement.
Niels s’allongea à son tour à côté de moi.
– Je suis même pas sûr de me comprendre moi-même, me confia-t-il.
Nous échangeâmes un regard. Je ne pus réprimer un sourire. La bouche de Niels se tordit également. Nous tournâmes la tête tous les deux en même temps vers les étoiles.
– Je comprends pas ce qu’il se passe entre nous, souffla-t-il.
Il prit une grande inspiration, et se frotta les yeux.
– Je suis pas sûr de sûr de très bien comprendre non plus, reconnus-je.
Nous restâmes allongés plusieurs minutes, l’un à côté de l’autre, perdus dans nos pensées, les yeux tournés vers les étoiles.
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