Chapitre 9

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 Les premiers résultats de l’autopsie arrivèrent le vendredi. Le professeur Mangin avait fait un arrêt cardiaque. Les légistes confirmaient également qu’il avait subi une vasectomie, vraisemblablement dans les jours ou les heures précédant son décès. Il se serait couché volontairement sur le lit. Seules les marques de lien apparaissaient sur le corps, ainsi que des hématomes sur le haut du crâne, indiquant que sa tête avait heurté le cadre du lit violemment à plusieurs reprises, ce qui correspondait avec les traces relevées par les équipes.

Hermann recevait quant à lui les sage-femmes, aide-soignantes, infirmières et internes de gynécologie. Il avait plus de mal à attraper les médecins, mais il ne tira rien de quiconque. « Mangin était un salopard, lui dit une infirmière, mais moi j’ai de la chance, j’étais invisible à ses yeux, trop vieille. » Elle avait cependant refusé d’en dire plus, se contentant de répéter qu’il était comme beaucoup de vieux médecins. Les femmes du service n’appréciaient pas Mangin mais n’avaient rien de particulier à en dire. Aucun geste ou propos déplacé ? Pas qu’elles se souviennent.

 Lise et Hermann se retrouvèrent autour de la table du salon, en début de soirée. Flore avait emmené Lucie voir Le voyage de Chihiro, qui repassait sur grand écran dans le cadre d’un cycle Miyazaki. Lise avait objecté que ce n’était peut-être pas de son âge. « Les contes que tu me lisais étaient bien pires », avait tranché Flore, d’un ton agacé.

Hermann se réchauffait les mains autour d’une tasse de thé au jasmin, en égrenant les informations connues. Mangin avait eu un cancer du côlon, il avait été opéré puis soigné par chimiothérapie, d’où la présence d’une chambre implantable visible sous sa clavicule gauche. Il était suivi depuis trois ans. Personne n’avait pratiqué sur lui de vasectomie au CHU, alors que cette dernière avait de toute évidence été réalisée par un médecin. Le travail était propre. L’arrêt cardiaque aurait été provoqué par un « surdosage digitalique », lut Hermann, en dessinant dans l’air des guillemets avec son index et son majeur. « J’imagine qu’il s’agit de son médicament pour le cœur ? » Il leva les yeux vers Lise, qui fit une moue dubitative, avant de conclure qu’il allait rendre une visite au cardiologue de Mangin dès le lendemain. Lise semblait absorbée par la contemplation de ses pointes de cheveux, dont elle passait des mèches entre ses ongles, retirant les extrémités abîmées. Hermann, qui faisait défiler le rapport d’autopsie sur son téléphone, fronça les sourcils : « D’après le légiste, rien ne va dans ce corps. Les reins sont hors service. Une conséquence des chimios ? Une rechute du cancer ? »

Lucie semblait fatiguée et un peu grognon lorsqu’elle revint du cinéma. Durant le repas, elle expliqua qu’elle avait beaucoup moins aimé Le Voyage de Chihiro que les autres Miyazaki qu’elle avait vus. « Celui-là, dit-elle, il fait peur, surtout Sans-Visage, l’affreux fantôme ». Elle ne tarda pas à aller au lit, gémissant qu’elle avait la trouille de Sans-Visage. Toutes lumières allumées, elle s’endormit cependant rapidement.

– Elle est en effet peut-être un peu jeune, pour Chihiro, dit Flore en revenant dans le salon.

– Je m’en doutais… mais puisque je t’ai traumatisée avec des contes, il fallait bien perpétuer la tradition familiale, sourit Lise.

– Elle a tout de même bien saisi à quel point Chihiro est intègre et courageuse. Elle a bien vu qu’elle était devenue une grande fille après son voyage initiatique. J’avais oublié la violence de certaines scènes… tu sais, celle où les parents se transforment en porcs ? Contrairement à ce que je craignais, Lucie a trouvé ça parfaitement normal qu’ils soient punis en étant ainsi transformés en cochons. Puisqu’ils s’empiffrent et volent de la nourriture, les parents méritent leur sort.

– Les enfants ont un implacable sens de la justice.

Toutes deux allèrent se coucher. Le lendemain, il faudrait se lever tôt pour les dernières courses de Noël. Comme chaque année pour le 24 décembre, Lise avait invité Hermann et sa sœur Clara, infirmière en psychiatrie ; deux amies d’enfance, Béatrice, qui était peintre, et Gwenn, libraire. Pablo, le père de Flore, se joindrait certainement à eux. Plus âgé que Lise de quelques années, il était à la retraite depuis deux ans, habitait à une quarantaine de kilomètres d’ici, en rase campagne, et s’adonnait à présent à plein temps à la poésie. Béatrice venait avec son mari, l’indescriptible Jacques, et sa petite fille âgée de huit ans, Violette, ce qui ferait le bonheur de Lucie.

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