Chapitre 17
« Un Professeur de médecine assassiné ». Voilà, ça y est, se dit Lise. C’est parti.
L’article émanait de la presse quotidienne régionale. Lise connaissait la journaliste. Elle était très douée dans l’art de transformer une nouvelle banale en une inquiétante évolution sociale susceptible de jeter le monde entier dans une dérive mortifère. Elle se servit un café noir et consulta les titres de la presse locale. Plusieurs articles concernaient la mort du Professeur Mangin.
« FAITS DIVERS
La police de Marsiant enquête sur le meurtre du Professeur Mangin, survenu le 17 décembre dernier.
Par Anne Dufour
Publié aujourd’hui à 05h15, mis à jour à 09h38
Le Professeur Mangin, âgé de 65 ans, a été retrouvé mort à son domicile de Saint-Léonin. Les circonstances de la mort sont suspectes. La police s’intéresse actuellement à des accusations d’agressions sexuelles le concernant. Les collègues du Professeur disent découvrir aujourd’hui ces accusations. Les inquiétudes d’un scandale sexuel sont palpables au CHU et dans l’entourage du Professeur. À la mairie de Saint-Léonin, dont le Professeur Mangin était maire depuis quatorze ans, on dénonce « le climat délétère dans lequel nous vivons, depuis quelques années », faisant ainsi référence aux nombreuses dénonciations publiques d’hommes pour agressions sexuelles. Selon Monsieur Brignais, adjoint au maire de Saint-Léonin, « nous assistons peut-être aux conséquences funestes de ce climat de calomnie ! » De nombreuses personnes interrogées dans l’entourage du Professeur Mangin dénoncent également les « dérives » d’un mouvement de libération de la parole des femmes. Si ce mouvement est jugé nécessaire par tous, ses conséquences suscitent à présent l’effroi chez certains, à l’image de Laura, infirmière exerçant dans le service de gynécologie et d’obstétrique du CHU de Marsiant. Très affectée par le décès de son collègue, qu’elle respectait énormément, Laura estime qu’« aucune femme ne peut souhaiter la mort d’un homme, à fortiori d’un homme qui les aidait à donner la vie. » C’est ce que, nous l’espérons, révélera l’enquête. »
Lise soupira et composa le numéro de téléphone d’Hermann.
– Oui, j’ai vu l’article, dit-il d’une voix lasse. Il faut impérativement que tu passes, le Commissaire veut te voir.
– Il veut régulariser ma situation. J’imagine que la présence de la presse accélère l’officialisation de mon retour…
– On est scruté et je n’ai rien. On a contrôlé les emplois du temps, les accès de tout l’entourage proche. Que dalle. Dans la chambre, on a juste trouvé les traces de François Mangin, sa femme et Thérèse Le Gall, la femme de ménage. Elle était chez sa belle-sœur, entourée de vingt personnes samedi soir. Elle est restée dormir sur place avec son mari et ses gosses. C’est à plus de soixante-dix kilomètres. Elle était chez sa belle-sœur tout le samedi pour aider à faire la popote. Au delà des proches, le CHU est une vraie fourmilière et Mangin traînait dans un nombre incalculable de commissions médicales, politiques… plus on avance, plus son réseau s’étend. J’ai mis du monde sur une affaire de zone d’activité en développement dans le Grand Marsiant. Ça touche Saint-Léonin, il y’a une zone humide… je crois que c’était très tendu avec les écolos. Mais personne ne parle réellement. J’ai l’impression que tout le monde avait une bonne raison de le haïr.
– C’est entre la haine et le passage à l’acte qu’on trouve les suspects. Qui pouvait le faire de cette façon ?
– C’est forcément en lien avec le milieu médical, asséna Hermann.
– « C’est forcément en lien » ?
– La phrase interdite.
– Et sur l’île de Bart ? Tu as trouvé des choses ?
– Oui. J’ai trouvé une autre Élisabeth Mangin. Elle y était connue comme une femme assez souriante et qui paraissait plutôt heureuse, quoique très discrète. Elle a acquis la maison en 1991 et s’est installée progressivement sur l’île où elle a gagné la confiance et le respect des locaux. Personne ne se souvient qu’elle ait eu de la visite à part ses filles et son mari l’été. Lui n’est pas revenu depuis plusieurs années. La Saline est connue comme étant sa maison à elle. Elle y vit seule. La propriété est toutefois très retirée, si elle avait reçu du monde, ça ne se serait pas forcément vu. Surtout l’été, avec les touristes.
– Une femme « assez souriante » ?
– Oui, c’est étonnant. Ah, et j’ai enfin reçu les vidéos de surveillance du ferry. On voit bien la voiture d’Élisabeth Mangin y entrer et en sortir, aux dates qu’elle nous a données. C’est bien sa plaque. Mais on ne voit pas le conducteur.
– Ils ne contrôlent pas les identités avec les billets ?
– Non, pas avec un abonnement à l’année. Sa voiture est enregistrée, elle fait la queue, elle monte, elle descend. Pas de contrôle d’identité plus poussé. Et personne au village ne se rappelle l’avoir vue ce week-end là, mais le voisin le plus proche m’a dit qu’elle garait sa voiture sous les pins, on ne voit rien de la route.
– Donc on est juste sûrs que la voiture d’Élisabeth Mangin est allée sur l’île de Bart ? résuma Lise.
– Voilà. Quand je te dis qu’on a rien… Je dois voir la mère d’une patiente tout à l’heure. Mais pour le moment, c’est maigre. L’ambiance n’est pas terrible. Pour arranger le tout, Coutard a littéralement pété les plombs. Il imagine qu’un gang de féministes assoiffées de sang rôde dans la ville, prêt à lui couper les couilles.
– Oh, Hermann, je suis presque sûre qu’on pourrait réunir un gang de femmes ayant envie de couper les testicules de Coutard.
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