Chapitre 20

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 La brigade était plutôt silencieuse lorsque Lise y pénétra. Les travaux entrepris l’année précédente étaient arrivés à leur terme. Elle eut la sensation d’entrer dans une banque. Dans le hall d’accueil elle vit la Brigadière Fanny Nédellec et lui sourit.

– Ça a changé, hein ? On en a bien bavé avec les travaux. Les bureaux des chefs sont toujours au premier, nous au rez-de-chaussée et les cellules en sous-sol. Faut pas tout révolutionner d’un coup. Le commissaire t’attend, je t’emmène. On se boit un café, après ?

Lise opina. Fanny Nédellec la laissa devant le bureau de Léotard. Elle frappa, l’entendit maugréer et entra. Il était au téléphone, lui fit signe de s’asseoir avant de désigner la cafetière d’un geste de la tête. Elle indiqua qu’elle ne voulait pas de café. Il tapota sa poitrine de son index gauche et articula en silence « pour moi ». Sa conversation téléphonique se résumait à des sons inarticulés indiquant régulièrement à son interlocuteur qu’il l’écoutait. Il se saisit du café et remercia Lise avant de lever les yeux pour lui signifier que la conversation l’ennuyait, tout en remuant sa cuillère pour mélanger le sucre. Brusquement, il se redressa dans son fauteuil en cuir, posa son café sur son bureau et dit : « Écoute Valérie, on discute de tout ça ce soir, j’ai du boulot, je vais te laisser. Cesse de t’inquiéter pour rien. Elle va bien, ta fille. Voilà. Mais oui. Je t’embrasse. » Il raccrocha en soufflant bruyamment puis marqua un temps. Il respira et sans quitter des yeux Lise, se recomposa un visage affable.

– Comment allez-vous ?

– Mieux, Commissaire. Bien mieux.

– Votre arrêt maladie prend fin cette semaine. Savez-vous ce que vous allez faire ?

– Oh, moi je ne fais rien, c’est mon médecin qui décide.

– Évidemment, mais vous me comprenez. Vous sentez-vous d’attaque pour reprendre ? Il va falloir choisir, nous ne sommes pas dans un polar, vous n’allez pas jouer les Miss Marple, détective amateur.

– Je ne vais pas jouer les Miss Marple, Commissaire. Ni les Rambo. Pourtant, je pourrais vous répondre : « C'était pas ma guerre, c'est vous qui m'avez appelée, pas moi. »

– Ah tiens, je vous imaginais plus Marple que Rambo. Hermann se débrouille très bien, mais on rame et quand les journaux s’en mêlent, ça devient pénible. Le Professeur Mangin avait des relations haut placées. Avec toutes les histoires de viols et d’agressions sexuelles qu’il y a au gouvernement, ça fait trop. Quel homme de pouvoir n’est pas accusé de ce genre de chose, actuellement ?

– Tous ceux qui n’agressent pas sexuellement des femmes, répondit Lise placidement.

– J’espère tout de même que cette affreuse mode de la dénonciation va passer, reprit Léotard sans tenir compte de la remarque de Lise. On a autre chose à foutre que de mener des enquêtes sur la vie sexuelle des gens.

– Ce ne sont pas des dénonciations, Commissaire, ce sont des plaintes, avança Lise.

– Oui, oui, évidemment ! Je ne nie pas qu’il y ait dans le tas quelques cas vraiment graves qui méritent toute notre attention. En tous cas, l’affaire va être reprise par la presse nationale, on a déjà eu des coups de fil. Je suppose qu’il va rapidement y avoir quelques journalistes qui vont avoir envie de feuilletonner avec ça. Et ils ne s’en priveront pas. Tout le monde le fait, à présent. Même des journaux sérieux. Je ne suis pas un grand lecteur d’IndéMedia, vous vous en doutez, mais je respectais sa ligne éditoriale sérieuse. C’est devenu n’importe quoi ! Ils font leurs choux gras de sombres histoires qui relèvent en réalité de la vie privée.

Lise n’écoutait plus. Elle savait que le commissaire était un mondain. Il aimait les vêtements onéreux, portait des montres tape-à-l’œil et laissait toujours derrière lui une effluve de parfum masculin chic. Il adorait les dîners et avait une passion partagée avec Mangin pour la voile. Ils s’étaient beaucoup fréquentés. Le gratin local et national devait lui demander des comptes.

– Le ministre de la Santé m’a appelé. C’était un ami de Mangin. Il le faisait venir tous les quatre matins pour causer de bioéthique dans diverses commissions. D’après les rumeurs, Mangin était en bonne place pour être candidat sur la troisième circo. Et ses chances de finir député étaient grandes.

– D’après Hermann, l’enquête est effectivement très complexe…

– Sa femme est internée en psy, en plus… quel bordel, coupa le Commissaire.

– Elle semble effectivement très secouée par le décès de son mari.

– Permettez-moi de vous le dire, elle a toujours été très secouée, si vous voyez ce que je veux dire…

– Je n’en suis pas sûre, rétorqua Lise.

Le commissaire Léotard ignora la remarque et se leva. Il appuya ses deux poings sur son bureau et se pencha vers Lise.

– Alors ? Que décide-t-on ?

– Je souhaite continuer à aider Hermann et les collègues.

– Parfait. Vous nous rejoignez officiellement dès que votre médecin vous donne le feu vert. Faites en sorte de voir cela avec lui très rapidement.

Lise chercha Fanny dans les locaux. Cela lui permit de dire bonjour à ses collègues. Elle trouva Hermann, qui s’exclama :

– Je suis heureux de te voir ici !

– Je sors du bureau de Léotard, dit Lise en fermant la porte. Il m’a traitée de Miss Marple, détective amateur.

– Il t’a dit qu’il avait eu le ministre de la Santé ? Il le répète à tout le monde depuis ce matin.

– Oui, il m’a dit ça. Il m’a également dit que Mangin était pressenti pour être candidat aux législatives.

– Il était candidat partout où il y avait de la place.

– J’ai repensé à quelque chose. Tu te souviens de la généraliste que je suis allée voir ? Elle a évoqué une avocate qui l’aurait contactée après son dépôt de plainte infructueux. Elle a affirmé ne pas avoir donné suite, car elle venait d’accoucher. Il faut que je vérifie si ce n’est pas lié à notre Lyse Strophaires.

– Ok, je te laisse faire, répondit distraitement Hermann, occupé à chercher un document sur son bureau.

– Je vais boire un café avec Fanny. Je te retrouve plus tard ?

Hermann releva la tête et consulta sa montre.

– Non, reste. J’ai rendez-vous en psy avec Madame Mangin. Tu viens avec moi ?

– Déjà ? Je croyais qu’elle était dans le gaz ?

– Visiblement, elle est en état de parler, même si ce n’est pas la grande forme.

– En théorie, je n’ai pas encore rejoint officiellement la brigade.

– Tant pis, j’ai vraiment besoin de ton avis, Miss Marple.

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