Chapitre 23

4 minutes de lecture

 Flore enfilait ses chaussures de randonnée. Entre sa polaire et son bonnet, son visage émergeait, pâle et cerné. Comment était-ce possible de se sentir plus mal encore qu’à son arrivée après tant d’heures à dormir, tant de marches en forêt et le soutien de sa mère ? Son médecin l’avait arrêtée un mois. Il lui avait cependant fait comprendre qu’elle serait certainement arrêtée jusqu’à la fin de l’année scolaire. Sa tension était extrêmement basse et ses troubles de mémoire ne s’amélioraient pas. Elle avait décidé de proposer à Lucie de rester chez sa grand-mère et d’y terminer l’année scolaire. Flore se demandait comment sa fille et Marc allaient réagir à cette proposition. Il fallait qu’elle se décide rapidement, il était initialement prévu qu’elle parte dans quatre jours.

Le chien trépignait sur la terrasse. Flore observait une jolie merlette, au plumage sombre, qui fouillait l’herbe drue du jardin. Le dessous de son corps, chamoisé, présentait des mouchetures brunes. Elle ne semblait pas se méfier du chien, qui n’effrayait d’ailleurs aucun animal.

Vlad tournoyait à présent autour de Flore, s’élançant régulièrement vers elle depuis ses pattes arrières, tandis que Flore le repoussait du bras en répétant « pas sauter ». Il s’assit alors, résigné, sa grosse tête noire et feu penchée sur le côté. N’y tenant plus, il se mit à émettre une plainte dramatisée qui fit rire Flore. Elle caressa ses flancs et se tourna vers la grande baie vitrée, cherchant sa mère du regard. Lise finissait d’enfiler des gants.

– On y va ? dit Lise en fermant derrière elle.

– Nous t’attendions ! Vlad est à deux doigts d’exploser d’impatience.

– Son enthousiasme est un remède à bien des misères de l’âme.

Flore sourit et s’engagea vers la forêt, précédée du chien et suivie par sa mère. Fidèles à leur habitude, elles marchèrent quelques minutes en silence, à un rythme soutenu, pour se réchauffer. Le bruit régulier de leurs pas dans les feuilles mortes agissait comme une forme de métronome hypnotique, sur lequel paraissait se caler leur cœur. Lors de certaines marches en forêt, il semblait parfois à Flore qu’elle s’engouffrait, dressée et conquérante, dans un monde de pensées ondoyantes et bruissantes qu’elle devait traverser pour comprendre où elle en était et qui elle était. Parfois, au contraire, elle avait le sentiment d’y entrer en tant qu’être minuscule et frêle, comme une miniature au milieu de géants, protégée par une canopée fantastique. Elle se tourna vers sa mère.

– Qu’est-ce qu’elle te fait, à toi, cette forêt ?

– Il n’y a pas que la forêt. En marchant, on quitte quelque chose du rythme imposé, on accepte une forme de lenteur. Je suis persuadée que ça a un effet calmant sur notre cerveau, cette répétition d’un geste simple, ce rythme. Évidemment, dans une zone commerciale, ça ne donnerait peut-être pas le même résultat… mais la forêt est magique, tout le monde le sait !

Oui, tout le monde le savait, la lumière y était particulière, la percée du soleil par petites étincelles dorées, les ombres bleutées et les verts profonds étaient envoûtants.

Lise observait sa fille du coin de l’œil.

– Ça va aller, ma chérie. Tu as besoin de temps pour te remettre, c’est tout. Ça va revenir.

– Je ne sais pas si je veux que ça revienne maman. Je ne sais plus rien.

– Tu n’as rien à savoir pour le moment. Tu dois simplement te reposer. Ça sera long, tu ne peux rien faire à part attendre. D’ailleurs, je me demandais si ça ne serait pas une bonne idée de rester ici, le temps de te retaper un peu. Lucie serait d’accord.

Flore s’arrêta, éberluée.

– Tu en as discuté avec Lucie ?

– Je lui ai juste demandé ce qu’elle penserait du fait d’habiter ici jusqu’à la fin de l’année scolaire. Elle est d’accord. Il y a simplement un anniversaire qu’elle ne veut pas rater, celui de sa copine Alice.

Flore opina. Sa mère avait également demandé à Pablo s’il était disponible pour aller chercher les affaires des filles, grâce à sa petite camionnette. Il s’agissait maintenant d’en parler avec Marc. Et de trouver une place pour Lucie dans l’école de la commune.

– Merci, maman. T’es forte, quand même !

– C’est mon boulot d’essayer de savoir ce que les gens ont dans la tête, sourit Lise.

Flore se sentait soulagée que tout fût décidé. Les deux femmes reprirent leur marche en silence tandis que Vlad se roulait avec délice dans les feuilles mortes.

– À propos de ton boulot, où en es-tu avec l’enquête ?

– Je dois voir Madame Mangin, tout à l’heure. Nous avons dû écourter, la dernière fois. Elle se porte mieux, mais elle est encore très fatiguée.

– Tu as trouvé des informations sur cette Lyse Strophaires ?

– Non, mais elle m’intrigue ! Elle semble bien cachée derrière son site internet.

– Oui, c’est intrigant. J’ai fait quelques recherches. Le terme « lyse » désigne la destruction de la membrane d’une cellule, autrement dit, sa mort. Et les strophaires…

– … sont une espèce de champignons, la coupa Lise, des organismes qui se nourrissent de matières organiques mortes.

– Lyse Strophaires fait donc référence à la mort ou à quelque chose qui se nourrit de la mort.

– Lyse Strophaires, répéta Lise.

Flore regardait ses chaussures, à présent mouillées. Elle reprit.

– C’est peut-être une anagramme.

– Je suis nulle en anagrammes, chérie.

Les deux femmes se turent un instant. Flore réajusta son bonnet en fronçant les sourcils.

– C’est forcément ça, dit-elle. Il me faudrait un papier et un crayon. Quelle est la référence qui revient le plus sur le site ?

– Il y a une sorte de chauve-souris, un papillon, un rapace. Tous ces animaux sont également surnommés « harpie ».

– Donc le lien entre tous ces dessins, c’est le terme harpie ? demanda Flore.

– Tout à fait, répondit distraitement Lise en cherchant le chien des yeux.

Flore réfléchissait tandis que sa mère sifflait dans ses doigts pour rappeler Vlad. Il apparut au détour du chemin lorsque Flore s’exclama : Les trois harpyes ! Harpye avec un « y » ! Les trois harpyes, c’est l’anagramme de Lyse Strophaires !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Flora Chazan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0