Chapitre 27

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La porte s’ouvrit sur Marie Desla, suivie d’un policier. La jeune femme était cernée et pâle.

– Vous semblez épuisée, commença Lise en s’asseyant derrière le bureau.

– Je viens de me séparer.

– J’en suis navrée. Nous essayons de vous contacter depuis plusieurs jours.

– J’étais chez des amies, suite à ma séparation.

– Où étiez-vous dans la soirée et la nuit du samedi 16 au dimanche 17 décembre ?

Marie Desla regarda Lise, puis jeta un rapide coup d’œil à Hermann. Assis sur une chaise, en retrait du bureau, il observait la jeune femme. Celle-ci jouait avec sa bague, qu’elle enlevait et remettait à son annulaire gauche. Elle releva la tête et dit :

– J’étais dans le jardin du Professeur Mangin.

Lise et Hermann évitèrent de se regarder. Il y eut un silence.

– À quelle heure y êtes-vous arrivée ? demanda Lise.

– Autour de vingt-trois heures quarante-cinq, peut-être un peu avant, je n’ai pas regardé précisément l’heure.

– Combien de temps êtes vous restée ?

– Quelques minutes. Je sais que je me suis assise dans ma voiture à 23 heures 51, l’heure est écrite en gros sur le tableau de bord. J’étais garée à deux rues de là.

– Que faisiez-vous dans le jardin de Monsieur et Madame Mangin ?

Marie Desla expliqua alors qu’elle voulait coller des affiches sur le portail du Professeur. Hermann fronça les sourcils : « Pourquoi entrer dans son jardin ? J’imagine que vous vouliez que les affiches se voient, côté rue, non ? »

– J’étais devant lorsque le portail s’est ouvert, je n’ai pas réfléchi et je suis entrée. J’ai voulu me cacher, je suppose. Je me suis mise sur le côté, derrière des buissons, dans l’ombre. J’ai vu une voiture sortir.

– Pouvez-vous nous la décrire ?

– Une grosse voiture, claire. Je n’y connais rien, je suis désolée.

– Avez-vous vu la plaque d’immatriculation ? Était-ce une voiture du département ?

– Je n’ai pas regardé.

– Et dans la voiture ? Avez-vous vu le conducteur ou la conductrice ?

– Je n’ai pas osé regarder.

– Avez-vous remarqué quelque chose de particulier, dans le jardin ?

– Non, je n’ai rien vu. J’ai paniqué, la voiture est sortie, le portail allait se refermer, je me suis faufilée et je suis partie.

– Madame Desla, vous comprenez que vous êtes entrée sur la propriété d’un homme qui a été tué justement cette nuit-là.

Marie Desla se mit à pleurer. « Je sais, oui. Je sais de quoi ça à l’air ! Mais je vous jure que je suis partie. Je ne lui ai pas fait de mal ! Je vous le jure ! »

– Connaissiez-vous le Professeur Mangin, à part de réputation ? s’enquit Hermann.

– J’ai été son interne pendant un semestre.

– Comment s’est déroulé ce stage ? demanda Lise, avec douceur.

– Une horreur. C’était mon premier stage. D’abord, il y a eu cette atroce fête à l’internat. Des internes avaient invité une sorte de danseuse. Elle était allongée sur une table et des internes lui ont recouvert le corps de crème chantilly, avant de la lécher absolument partout. Ils étaient tous très alcoolisés, je suis partie, ça ne me plaisait pas du tout. J’étais choquée. Ils se sont moqués de moi pendant plusieurs jours. Mangin aussi. Je me suis demandée où j’étais tombée. À l’internat, il y avait des dessins dégueulasses. La première chose que j’ai vue en y arrivant, je m’en souviendrai toujours : sur un mur, il y avait une prise électrique. Une femme était dessinée autour, les jambes écartées. La prise électrique était à la place de son sexe. Ça n’était que des choses comme ça. Vous pouvez y aller, pour voir, il y a aussi une fresque immonde. Le sexisme dans ce CHU est d’une violence... J’étais très mal à l’aise. Rapidement, on m’a appelée la coincée, la prude, la bonne-sœur. Mangin a repris ces mots.

Hermann s’était redressé sur sa chaise. Il se pencha en avant. « Avez-vous pu en parler autour de vous ? »

– On en parlait avec quelques internes. J’en ai parlé à mes parents, aussi. Mais bon, tout le monde semblait penser que c’était « l’ambiance médecine ». Un jour, Mangin m’a forcé à imiter un orgasme. On était en train d’opérer une femme. En sortant du bloc, j’ai craqué, j’étais humiliée. J’avais tellement honte que je n’ai plus jamais rien dit. J’ai attendu la fin du stage en me faisant la plus petite possible. J’ai serré les dents.

Elle marqua un temps. Son maquillage avait coulé, dessinant des rigoles noires sous ses yeux. Elle reniflait, la respiration saccadée, puis elle reprit. « Je le haïssais, c’est vrai. Je crois même n’avoir jamais détesté quelqu’un comme ça. Mais jamais je n’aurais eu le courage de le tuer. » Elle marqua un temps, avant d’ajouter « Et encore moins la force de l’étrangler. »

Lise et Hermann se reculèrent dans leur chaise, dans un même mouvement. Lise demanda :

– Pourquoi pensez-vous qu’il a été étranglé ?

– Je ne sais pas. C’est ce que m’ont dit les filles. Il n’a pas été étranglé ?

Marie Desla reniflait de plus en plus fort, fouillant ses poches à la recherche d’un mouchoir. Lise lui en tendit un. Trois coups furent frappés à la porte. La brigadière Nedellec apparut dans l’encadrement : « Vous devriez venir voir. »

Lise entra dans le bureau, suivie d’Hermann. Fanny tourna l’écran de son ordinateur vers eux.

– Nous avons des vidéos de la rue de Mangin. La caméra appartient au voisin de l’immeuble d’en face qui surveille sa Jaguar d’occasion, stationnée dans la rue. Il était en vacances, il est rentré hier. En allant l’interroger, on a remarqué la caméra. Il était emmerdé, il sait bien que c’est illégal de filmer l’espace public...

Lise l’interrompit.

– Les vidéos sont sauvegardées combien de temps ?

– On a de la chance, c’est juste. 15 jours. La nuit du meurtre, deux voitures sont entrées. Nous recherchons l’une des plaques, qu’on ne voit que partiellement. La voiture inconnue est entrée à vingt heures et quatre minutes, elle est repartie à vingt-trois heures quarante cinq. Il s’agit d’une Alpha Roméo Tonale, de coloris clair. On distingue une silhouette se faufiler, puis repartir. J’ai imprimé le visage, c’est une femme, je crois.

Hermann et Lise reconnurent Marie Desla.

– Quant à la seconde, reprit Fanny, regardez.

Elle déclencha la vidéo. L’image n’était pas très bonne, mais ils distinguèrent la voiture de Clémence Mangin.

– C’est la voiture de la fille Mangin ? demanda Hermann, surpris.

– Elle est au nom de Guillaume Dugard. Même marque, il manque le dernier chiffre, qu’on ne distingue pas, mais les autres correspondent.

– Minuit seize, nota Hermann.

– Ça colle, ajouta Lise. La voiture est ressortie quand ?

– Une heure cinquante-huit, répondit Fanny, en faisant avancer la vidéo. Regardez.

– On ne voit pas le conducteur, maugréa Hermann. Et l’autre ?

Fanny lui tendit des photos des départs et des arrivées des voitures, ainsi que de la silhouette de Marie Desla.

– Et dans la journée, reprit Lise, d’autres allers et retours ?

– La voiture de François Mangin, autour de dix heures, samedi matin… Dix heures et neuf minutes. Il est de retour chez lui aux alentours de dix-huit heures. Dix-huit heures et douze minutes.

– Ça confirme son agenda, dit pensivement Hermann, à part un trou de deux heures, dont on ne sait rien, de seize à dix-huit heures. En revanche, Clémence Mangin et Guillaume Dugard ont affirmé avoir été à un dîner et être rentrés aux alentours de minuit chez eux.

– Entre leur domicile et celui de François Mangin, il ne doit pas y avoir plus d’un quart d’heure. Il faut vérifier, ainsi qu’entre celui de leurs amis et de la baraque de Mangin. Fanny, tu convoques Guillaume Dugard et Clémence Mangin immédiatement et tu regardes pour les distances ?

Fanny sortit du bureau rapidement. Lise et Hermann se regardèrent.

– Guillaume Dugard est peut-être moins obéissant que ce qu’il laisse croire, dit Hermann en fixant Lise.

– Ne mets pas la charrue avant les bœufs. Attendons de les entendre et de retrouver le propriétaire de l’Alpha Roméo.

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