Chapitre 29

9 minutes de lecture

 Clémence attendait dans le couloir du commissariat, accompagnée d’un avocat longiligne aux allures de corbeau. Tous deux étaient pendus au téléphone. Hermann et Lise les firent entrer dans la petite salle. Clémence semblait plus excédée que jamais.

– Maître Perrier, je représente Madame Clémence Mangin.

Clémence regarda alternativement Hermann, puis Lise. Elle appuya son dos contre la chaise molletonnée et apposa ses deux mains sur son ventre, sans mot dire. Après un temps de silence, Hermann reprit.

– Vous nous avez affirmé être rentrée directement chez vous après un dîner chez des amis, samedi 16 décembre. Monsieur et Madame Bertrand, Marc et Eléonore, résidant au 55 rue de la Bourgeat, sur la commune de Haut-De-Rives. Ils ont confirmé votre heure de départ, soit quelques minutes après minuit.

Clémence Mangin l’observait mais ne répondit pas. Hermann soutint son regard un instant avant de le diriger vers son écran d’ordinateur. Je lis ici que vous nous avez déclaré être rentrée chez vous autour de minuit, accompagnée de votre conjoint, Monsieur Guillaume Dugard. Est-ce exact ?

– C’est exact, fit Clémence dans un hochement de tête, tout en continuant à caresser son ventre rond.

– Il s’avère qu’une caméra a filmé votre véhicule entrant et sortant de la propriété de votre père, dans la nuit du samedi 16 au dimanche 17 décembre.

Les mains de Clémence s’arrêtèrent sur son ventre. Elle jeta un regard à son avocat, mais resta muette.

– Si je reprends votre propos, avança Maître Perrier, vous affirmez que c’est le véhicule de ma cliente qui est filmé sur cette vidéo, non ma cliente.

– C’est exact, Maître. Le même modèle, une Mercedes Classe A, coloris gris, ainsi que sa plaque d’immatriculation.

– Ce n’est pas ma voiture, intervint Clémence, c’est celle de mon mari.

Lise plissa les yeux et se mordilla l’intérieur de la lèvre. Elle ressentait une profonde antipathie pour cette femme depuis sa première rencontre.

– Votre mari va être entendu aujourd’hui même, Madame, assura Lise. Mes collègues l’attendent à la sortie du bloc en ce moment.

Clémence avait repris les caresses sur son ventre Il semblait à Lise qu’elle mettait en scène sa grossesse. Elle ne se souvenait pas lui avoir vu adopter une telle posture maternante les jours précédents.

– Combien de voitures possédez-vous, Monsieur Dugard et vous-même ?

– Deux. Deux Mercedes. La Classe A et une Classe C.

– Toutes deux sont au nom de Monsieur Dugard ?

– Non, la Classe C est à moi. Je sais, c’est original, j’ai la grande voiture, mon mari la petite. Mais il se fiche des voitures.

– Posséder une Mercedes Classe A ne m’apparaît pas franchement comme se ficher des voitures, sourit Lise.

– Peu m’importe ce qui vous apparaît, Madame Le Mortellec, s’impatienta Clémence.

– Le soir du 16, reprit Hermann, quelle voiture avez-vous utilisée pour vous rendre chez vos amis ?

– La grande.

– La vôtre, donc, la Classe C ?

– C’est cela même, confirma Clémence Mangin.

Hermann releva son nez des dépositions initiales des époux Dugard et Mangin.

– Une fois rentrés chez vous, après votre dîner, qu’avez-vous fait ? demanda-t-il.

Clémence Mangin marqua imperceptiblement une hésitation.

– Je suis allée me démaquiller, j’ai pris une douche et je me suis couchée.

– Votre mari était-il avec vous ? continua Hermann.

– Vous voulez savoir s’il a pris sa douche avec moi ou s’il en a profité pour aller assassiner mon père, peut-être ?

– Quand vous vous êtes couchée, où était-il ? insista Hermann.

Clémence marqua un temps plus long puis se redressa et planta ses deux coudes sur la table.

– Mais enfin, que croyez-vous ? Mon mari travaillait avec mon père depuis des années, sans le moindre conflit. C’est grâce à mon père qu’il est ce qu’il est. Et il devait prendre sa suite.

– Répondez à la question du Commandant Hempel, Madame Mangin, je vous prie, dit doucement Lise.

– Guillaume était déjà au lit quand je suis sortie de la douche, je suis allée me coucher auprès de lui. Maintenant, si vous n’avez pas d’autres questions, j’ai un rendez-vous professionnel à assurer.

Sans tenir compte de sa demande, Hermann reprit.

– Quelle heure était-il lorsque vous vous êtes couchée auprès de votre mari ?

– Je n’ai pas regardé.

– Une dernière question, Madame. Si ni vous, ni votre mari n’avez conduit la Classe A ce soir-là, qui était au volant de cette voiture ?

– Je l’ignore, je ne suis pas de la police.

Clémence se leva. Hermann continua.

– Où était garée votre voiture, Madame ?

Mais Clémence ouvrit la porte du bureau, laissant son avocat signifier à Lise et Hermann que s’ils souhaitaient entendre Madame Clémence Mangin, ils devraient le faire sur ordre d’un juge.

 Lise et Hermann la laissèrent repartir, sachant que Guillaume Dugard était encore injoignable au bloc, et serait directement conduit au poste.

– Si nous résumons, commença Lise, s’ils avaient eu les moyens et le temps d’empoisonner François Mangin au retour de leur dîner, pour quelles raisons l’auraient-ils fait ? Clémence Mangin n’a pas de soucis financiers, ni Dugard d’ailleurs. Leurs carrières sont lancées et ils ne paraissaient pas avoir de conflits ouverts avec François Mangin.

– Pas de conflits ouverts… non. En revanche, l’un et l’autre sont des mystères. Guillaume Dugard est présenté au mieux comme un grand diplomate, au pire comme un paillasson. Clémence Mangin est d’une froideur peu commune. Quel élément aurait pu les faire basculer ?

Lise se souvint de sa propre grossesse et des sentiments puissants qu’elle avait engendrée.

– La seule chose nouvelle qui les concerne tous les deux, c’est cette grossesse.

Hermann grommela en cherchant son téléphone dans sa poche et décrocha.

– L’Alpha appartient à un certain Henri Weber, urologue parisien. Il est au Cap-Vert actuellement, en trek. Il est parti lundi 18, sans avoir connaissance du meurtre. Son trek dure une petite quinzaine de jours, il serait actuellement autour de Monte Trigo ou Tarrafal. Il rentre lundi.

– Un urologue, ça pratique des vasectomies, non ?

– Parce que tu vois Mangin les pattes écartées chez lui, un samedi soir, occupé à se faire faire une vasectomie par un collègue ?

– Non, je ne voyais rien, mais ta réponse fait naître en moi des images dont je me serais volontiers passée.

Hermann sourit et s’apprêtait à répliquer lorsque Fanny Nedellec entra dans la pièce.

– Au plus court, il faut vingt-cinq minutes entre chez les Dugard et chez François Mangin. Et quinze minutes de chez leurs amis.

Lise haussa les sourcils. Elle reprit la déposition.

– Éléonore Bertrand affirme très précisément que Guillaume Dugard et Clémence Mangin ont quitté leur domicile à minuit et dix minutes. Elle en est certaine car Guillaume Dugard est revenu sur ses pas, afin de chercher son téléphone qu’il avait oublié dans leur canapé. Elle l’a vu sonner, Clémence l’appelait, certainement pour l’aider à localiser son téléphone. Elle se souvient précisément de l’heure car elle était affichée sur le téléphone lorsqu’elle l’a trouvé et tendu à Guillaume Dugard.

– Ils n’auraient ni l’un ni l’autre pu être dans la propriété de Mangin avant minuit vingt-cinq. Or la Classe A est entrée à minuit et seize minutes précisément.

Hermann et Lise se regardèrent. Rien ne collait.

Sans attendre Dugard, Lise partit chez les amis du couple, afin de préciser à nouveau les circonstances de la fin de soirée du samedi 16 décembre. Elle se trouvait devant leur portail lorsqu’Hermann l’informa que Dugard était enfin sorti du bloc. Elle promit de le rejoindre dès qu’elle aurait terminé.

 Guillaume Dugard se raidit immédiatement en voyant des agents de police sur son lieu de travail. Il aurait rêvé de prendre une douche chaude chez lui, mais il ne fut qu’autorisé à se changer, sous la surveillance d’un agent et ne put pas consulter son téléphone.

Hermann reçut Guillaume Dugard, qui semblait épuisé. Un avocat, vraisemblablement envoyé par Clémence Mangin, l’accompagnait. Lorsqu’il apprit qu’une caméra avait filmé sa voiture entrant chez son beau-père la nuit du meurtre, il resta sonné quelques instant. Il se recroquevilla et apposa ses deux mains sur son visage. Hermann observa ses mains fines, soignées, ses ongles impeccablement coupés et à son annulaire gauche, son alliance. Tous gardèrent le silence un instant. Hermann commença par fixer le cadre de l’audition puis, s’adressant à Guillaume Dugard, lui demanda comment ce dernier expliquait la présence de sa voiture entrant dans la propriété de François Mangin la nuit du dimanche 17 décembre.

– Monsieur Dugard ne l’explique pas, répondit l’avocat, c’est à vous de le faire.

– Où était garée votre voiture, ce soir-là, Monsieur Dugard ?

Mais Guillaume Dugard continuait de passer ses mains sur son visage, comme absorbé par ses pensées. Il ne répondit pas. Hermann insista.

– Monsieur, je vous prie de répondre à ma question. Où était garée votre voiture, ce soir-là ?

Guillaume Dugard retira ses mains puis regarda dans la direction d’Hermann. Son regard semblait passer au travers de lui. Il se frotta à nouveau le visage puis lança sa tête en arrière et inspira profondément. Il semblait faire des tentatives pour reprendre ses esprits et se calmer.

– Monsieur Dugard, je vous prie de répondre à ma question.

Il respira à nouveau profondément et répondit, d’une voix faible au début, qu’il poussa en milieu de phrase, comme pour reprendre un air assuré.

– La voiture est habituellement stationnée dans notre garage. Ce soir-là, elle devait s’y trouver, je suppose.

– Nous avons entendu votre femme. Elle nous a indiqué que la Classe A était votre voiture, non la sienne.

Hermann cherchait à le déstabiliser. Cela eut un effet, mais pas celui auquel il s’attendait. Guillaume Dugard se mit à rire nerveusement, puis il cacha à nouveau sa tête dans ses mains.

Après un rapide coup sur la porte, Lise entra dans la petite pièce. Elle salua les deux hommes et s’assit auprès d’Hermann. Elle fit glisser un dossier cartonné devant lui. Il l’ouvrit immédiatement et le parcourut des yeux, sans mot dire. Lise tendit également un document à l’avocat, en face d’elle, et se racla la gorge.

– Monsieur Dugard, samedi soir, vous avez quitté le domicile de Monsieur et Madame Bertrand vraisemblablement autour de 23h59, peut-être minuit, minuit une, maximum. Vous vous êtes dirigés avec votre femme, Clémence Mangin, vers sa voiture, la Mercedes Classe C. C’est exact ?

– Je ne souhaite plus répondre à vos questions, articula Guillaume Dugard.

– J’ai bien peur, Monsieur, que vous n’ayez plus vraiment le choix.

L’avocat lui chuchota quelques mots à l’oreille. Guillaume Dugard se tassa un peu plus. Lise reprit.

– Vous vous êtes donc dirigés vers la voiture de votre femme. Mais vous n’y êtes pas montés tous les deux. Clémence Mangin est montée dans votre voiture à vous, la Classe A, qui était garée un peu plus loin, dans la rue. Vous êtes arrivés à deux voitures ce soir-là. On ne pouvait pas distinguer votre seconde voiture depuis l’entrée du domicile des Bertrand. Ils ont cru, logiquement, que vous étiez montés tous les deux dans la même voiture. Or, vous vous êtes rendu compte que vous aviez oublié votre téléphone. Vous avez prévenu votre compagne et êtes retourné sur vos pas. Vous avez cherché quelques minutes votre téléphone au domicile des Bertrand, avant de l’entendre sonner. Il s’était glissé entre deux coussins du canapé. En vous le donnant, Éléonore Bertrand a vu s’afficher l’heure et le nom de votre femme, qui vous appelait. Elle a pensé que Clémence vous appelait pour vous aider à retrouver votre téléphone et qu’elle vous attendait dans votre voiture. Lorsque vous avez décroché, que vous a dit votre femme ?

Guillaume Dugard resta muet. Lise attendit un instant, puis continua son récit.

– Je suppose qu’elle vous a dit qu’elle allait faire un détour par chez ses parents.

– C’est faux ! s’exclama Duillaume Dugard, qui était passé de la pâleur extrême à une couleur quasi violacée. Clémence n’est pas allée chez son père, elle m’a rejoint directement à la maison !

– Vous admettez donc qu’elle ne vous attendait pas dans la grande voiture, mais qu’elle est bien repartie dans la petite.

Le silence se fit. Dugard était à nouveau passé d’une émotion à une autre en quelques secondes. Abattu, il s’était affaissé sur sa chaise et était à présent livide.

– Votre appel a été de courte durée. Une fois votre téléphone retrouvé, vous êtes parti. À ce moment là, Clémence était déjà presque arrivée chez son père, comme en témoigne la vidéo.

Hermann prit la suite.

– La question qui se pose à présent, Monsieur Dugard, c’est celle de votre rôle dans le meurtre de votre beau-père. Il nous reste à établir votre éventuelle complicité.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Flora Chazan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0