2 - Jérôme

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Rien ne changea. Pourtant, je sentais qu'Arthur m’observait à la dérobée. Je percevais questions et admiration. J’avais connu, avant William, des garçons comme lui, assumant mal leurs désirs, incapables d’accepter leur nature. Trop souvent, des raisons sociales et familiales les entravaient. Ma première expérience, après ma révélation par un cousin, avait été avec Karim. Il me faisait tellement envie. Nous étions au collège, en quatrième. J’ai été maladroit, brutal. Sans cette pulsion qui me masquait sa gêne, son blocage, je n’aurais pas osé. Je revois sa satisfaction ensuite, sa reconnaissance pour cette ouverture. Je l’ai perdu de vue, mais j’ai su son rejet, sa fuite.

Arthur était d’un bon milieu, forcément, mais pas forcément plus tolérant. Quelle chance j’ai eu d’avoir une mère comme la mienne !

De plus en plus souvent, il me souriait, paraissant heureux d’être à côté de moi. La pression augmentait, m’empêchant de dégager des instants d’échanges. Il en avait besoin ! Je profitais d’un soir où William allait dans son club pour inviter Arthur à partager un verre. Depuis deux ans, William fréquentait ce club de temps en temps. J’avais demandé à l’accompagner, mais il m’avait fait comprendre que c’était sa vie privée. Il en revenait détendu et tendre. Je n’avais pas cherché à en savoir plus que ce que j’avais cherché : des pratiques BDSM. Je ne voulais pas savoir si William préférait châtier ou souffrir. Seule son attitude au retour m’importait.

La joie avec laquelle Arthur accepta me fit chaud au cœur. Ce garçon attirait ma sympathie. Il n’était pas question de l’emmener dans un bar arc-en-ciel. Je préférerais l'Azimut, avec ses fauteuils confortables, ses endroits discrets.

Son choix d’une grenadine me toucha et me rappela son jeune âge : il était encore un enfant par bien des côtés. D’emblée, il me demanda de lui raconter ma vie, comment j’avais découvert mon homosexualité, comment je l’avais vécue, comment j’avais rencontré mon mari…

Je rigolais en le regardant. Il n’avait pris aucune précaution, certain que j’allais m’ouvrir à lui sans retenue. Cette confiance absolue en moi me toucha. Il avait besoin de savoir. Quoi ? À moi de le deviner, de le respecter et de le protéger.

Je commençais donc par cette initiation par un cousin, de deux ans plus âgé. À douze ans, ça compte ! Comment évoquer cette merveilleuse expérience sans nommer et décrire ? Je devinais à ses réactions qu’il fallait être sans fard. J’insistais plus sur le ressenti émotionnel que sur la jouissance physique, sentant nécessaire de montrer toute la richesse de ce premier échange. Il buvait mes paroles, développant en moi des élans de tendresse fraternelle.

Cette anecdote terminée, je ne pus m’empêcher de lancer :

— Et toi ?

Je savais sa réaction ! Il plongea la tête, tandis que je devinais son rougissement. Cette fois, ma main atteignit son visage pour le relever. Je lui souriais du fond de mon cœur. Ma main redescendit pour saisir la sienne. Il accepta mon contact.

— Arthur, je ne juge pas. J’ai de la tendresse pour toi. Tu es libre. Tu as accepté de venir, car tu voulais que nous parlions. C’est un vrai plaisir, je te l’ai dit, de faire ta connaissance. Mais je peux continuer à te parler de moi.

Ses yeux me fixaient, trop chargés de détresse

— Je continue ?

— Oui ! Ton… ami, tes parents, tes relations,…

— Doucement ! Mon mari ? Il s’appelle William. Tu veux que je saute toute ma jeunesse ?

— Tu n’es pas vieux !

— Merci ! Mes parents, c’est ma mère. Je n’ai jamais eu de père.

— C’est triste !

— Parle-moi de tes parents…

— Rien à dire. Famille bourgeoise traditionnelle, catholique. J’ai trois sœurs et un frère. Je suis l’aîné.

— Je vois ! Donc, mon cousin, Karim. En fait, j’ai toujours trouvé facilement un petit compagnon. Tu sais, à cet âge-là, ça ne va pas très loin. Ma première fellation, ce n’est qu’à quinze ans.

Ses yeux se lèvent, intéressés. Je dois préciser.

— C’est David. Il me l’a proposé, j’ai accepté. Je lui ai fait. C’était une nouvelle dimension.

Je sentais qu’il ne connaissait pas.

— Ma première pénétration, c’est deux ans plus tard, lors d’un séjour d’été. Joachim !

— Tu te souviens de tous leurs noms ?

— Non ! Mais de certains, oui ! Et pas que du nom : de chaque instant.

— Et ton premier baiser ?

— Ça, c’est Romain, mon cousin. C’est ce baiser qui a tout déclenché !

— C’est beau ! Tu as de la chance.

Je comprends que son histoire doit être douloureuse. Il reprend, la curiosité à vif.

— Jamais de fille ? Et tes… copains, que des blancs ?

— D’où je viens, c’est l’autre arc-en-ciel ! Je n’ai jamais prêté attention à ce détail. Maintenant que tu le demandes, il y a eu de tout ! Et pour les filles…

Il s’accroche à mes lèvres.

— Une seule fois. La sœur de William…

— Raconte !

Il m’amuse ! Je suis donc heureux de poursuivre.

— Je n’ai jamais été doué pour le sport. J’avais dix-neuf ans et je m’étais inscrit dans un club de jeunes. Pour apprendre et draguer ! Le premier jour, ils sont apparus ensemble, dans la même tenue moulante, rouge avec des zébrures bleues. Un truc qui coûtait cher et qui se voyait. Qu’ils étaient beaux ! Ils avaient déjà le casque, et je n’ai pas vu leur visage. J’ai fait tomber mon bâton, l’un deux s’est pris les pieds dedans et je me suis fait traité d’imbécile. La honte ! Bien sûr, ils étaient dans le groupe des plus forts, moi dans celui des débutants. Le soir, ils étaient à une table bruyante et joyeuse, avec eux au centre de cette allégresse, avec la même chevelure flamboyante et abondante. Ils étaient jumeaux.

Ses yeux s’écarquillaient de ravissement.

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