26 - la résurrection

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Je me réveillai dans un lit. Voulant toucher les draps, une douleur me tétanisa. J’étais à nouveau dans le noir. J’entendis des pas.

— Jérôme, ça va ? Heureux de te voir revenir parmi nous !

— Où suis-je ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Cela fait trois jours que nous t’avons endormi. Tu te rappelles pourquoi ?

— Non.

— Ta crucifixion…

Des spasmes me prirent. Je reçus une piqure qui me calma.

— Arthur ? Christopher ?

Le silence fut pire que les paroles, quand l’inconscient sait avant la raison.

— Christopher est à côté.

Je ne voulais pas entendre la suite.

— Son cœur a lâché sans prévenir. Vous aviez tous des électrodes. Nous avons pu le faire repartir, mais il a relâché.

Je lui sus gré de ne pas terminer par : « Je suis désolé. ».

Je partis dans un cauchemar horrible. J’en ressortis deux jours plus tard, sans que ma détresse ait disparu. J’avais conduit le plus adorable des êtres dans une fin des plus atroces. Comment avais-je pu faire ça ? J’avais trouvé mon existence sans intérêt, la donnant sans regret à mon aimé. Il fallait me la prendre, me tuer, avant ! Avant que je ne rende coupable de l’abominable, celui d’avoir ôté celle de mon amour.

J’avais besoin de chaleur, de réconfort.

— William ?

— Il ne veut pas te voir. Pas encore. Nous sommes plusieurs à essayer de le convaincre.

Lui aussi, je l’avais perdu. C’était normal ! Il s’était toujours opposé à cette idée. C’est vrai qu’il m’avait fait découvrir mon plaisir par la souffrance, c’est vrai qu’il avait affirmé vouloir me tuer, mais il n’était responsable de rien. J’étais le seul coupable. Je me refusais l’excuse trop facile du délire ou de la folie. Je n’avais plus qu’à expier, à me livrer à la justice.

J’ignorais qui était mon interlocuteur, mais il devina mes pensées.

— Jérôme, tu n’es pas responsable. Chacun de vous a répété sa volonté.

— Il était sous mon emprise !

— Jérôme, nous savons tous ton attachement, ton affection pour Arthur. Mais tu n’y es pour rien.

— C’était du délire !

— Que nous avons tous concouru à réaliser !

— Nous sommes responsables, je dois payer !

— Nous avions, malheureusement, prévu cette possibilité. C’est une mort accidentelle. Personne n’a posé de question. L’enterrement est demain.

— Je vais y aller !

— Non ! Personne du club n’ira. Il n’est pas mort ici.

Les sanglots me provoquaient des convulsions.

— Jérôme, nous avons prévu une aide pour te reconstruire. Tu savais que tu devais être brisé pour supporter cela. La mort d’Arthur est un immense malheur. Tu vas te reconstruire, malgré son absence.

Je n’étais pas en mesure de tout comprendre, encore moins de me battre.

— Et Christopher ?

— Il est debout. Il a mieux supporté que toi physiquement, car il est beaucoup moins lourd. Il est descendu vite, à sa demande.

— Et moi ?

— Toi, tu nous as posé trop de problèmes. Nous t’avons monté à 22 h, au début de la nuit. Nous avions prévu de te descendre une heure plus tard, deux si tu supportais bien. Tu refusais systématiquement !

— Je ne me souviens pas !

— Nous avons prolongé, malgré nous. À 5 heures, je t’ai obligé à accepter.

— J’avais peur de la descente, alors que je ne sentais plus rien.

— Tu as été en hypoxie trop longtemps, d’où ta fatigue actuelle. Plus la préparation, forcément affaiblissante.

— C’était une mauvaise idée…

— Tu es célèbre ! Dans notre milieu, tu es un héros international, comme Arthur et Christopher. Les images circulent sur internet. On commence à en parler à l’extérieur.

— C’est dangereux !

— Non, rien ne permet l’identification.

— Non ! je veux dire que ça va donner des idées. Il y a d’autres jeunes qui vont mourir…

— C’est prévu ! les images sont présentées comme un montage gore. Seuls les avertis connaissent la vérité.

— C’était une connerie. J’ai tout perdu. Arthur, William. Ma vie n’a plus de sens…

— Jérôme, ce contrecoup était prévisible. Tout va bien aller. Christopher voudrait te voir.

— Je ne sais pas… Et pour mes mains, mes yeux…

Mes poignets cicatrisaient bien, mais ce serait long. Mes tendons étaient intacts et je retrouverais l’usage de mes mains. Ils allaient réhabituer mes yeux à la lumière. Dans une semaine, je serais sur pied, et dans un mois, complètement rétabli.

Je finis par accepter de voir Christopher.

Il arriva dans un fauteuil roulant, les yeux bandés.

— Nous vous laissons seuls !

Le silence s’établit. Nous ne pouvions même pas nous toucher. Que dire ? Je ne le connaissais pas, ou si peu. Il était un étranger. Je me souvenais qu’il m’avait attiré. Maintenant, je me sentais aussi mort sexuellement qu’affectivement. Cela me fit penser à ma cage. Avec de petites contractions, je sentis sa présence. Ouf ! Mais alors, sur toutes les photos… Mon esprit partait de droite à gauche, refusant de revenir sur cet évènement.

— Jérôme…

Je revins dans la réalité.

— Tu vas bien ?

— Mon chagrin est infini. Mes chagrins sont infinis.

— Je sais. On m’a dit. J’ai vu Arthur, comment il était avec toi, son admiration pour toi était infinie.

— Il a voulu me suivre. Je l’ai tué.

— Ce n’est pas vrai. Tu sais, un soir, un peu avant de monter à la maison, j’ai eu besoin de parler. Il s’est trouvé seul, ce qui lui arrivait rarement au club.

— Je sais.

— Lui aussi en avait besoin. Il n’osait t’embêter…

— Mais j’en avais aussi tellement besoin ! Surtout avec lui…

— Nous sommes partis et nous avons passé la nuit ensemble. Il m’a avoué son éternelle impression de rejet, si profonde qu’il avait très tôt pensé à se supprimer. Il n’en a jamais eu le courage. Votre rencontre l’a sauvé. Tu l’as libéré et pour ça, sa dévotion était sans limite. Mais la pulsion de destruction revenait, le harcelait. Vos jeux lui faisaient du bien, car la souffrance le rapprochait de la disparition et la douleur éteignait l’appel. Il grignotait du courage pour passer à l'acte. Le projet l’a emballé, car il y a vu immédiatement la possibilité d’obtenir ce qu’il ne pouvait se faire. Tu sais, j’ai compris ce soir-là qu’il voulait redescendre mort. Je ne sais pas comment il a fait, mais il y est parvenu.

Ces paroles m’anéantirent. Je n’avais jamais perçu cette détresse et ce besoin de disparaitre. Sa joie avait-elle été factice, ou au contraire l’évitement permanent de ce qui le rongeait ? Je l’avais aidé dans son sinistre destin. Je me sentais quand même responsable. Je lui avais dit de suivre une psychothérapie, plusieurs fois, mais pas assez fermement. J’aurais dû la lui imposer.

— Tu sais, il m’a fait promettre de ne jamais t’en parler, s’il en revenait. Il savait le mal qu’il te ferait, mais il ne voulait pas y échapper.

— Il m’a tout dissimulé ! Je n’ai rien vu.

Je l’aurais perdu de toute façon !

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