32 - le deuil

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Clothilde prenait soin de moi, avec délicatesse, sans vouloir me le montrer. J’essayais d’être à la hauteur, par de multiples attentions. Nous nous retrouvions dans des étreintes mélangeant réconfort, affection et élans, sans encore oser parler de ce qui nous rapprochait. Était-ce uniquement notre relation partagée avec William, ou s’agissait-il de notre relation à nous deux ?

Nous allions maintenant ensemble tous les samedis lui rendre visite, inutilement. Rien ne changeait et nous revenions terrassés et silencieux. Ce n’est qu’une fois la porte de l’appartement franchie que nous échangions quelques paroles, avant de nous réfugier dans un sommeil de cauchemars. Chaque semaine…

Un soir, alors que nous lisions côte à côte, elle se figea. Je la regardai, me demandant ce qui se passait. Elle leva les yeux vers moi.

— Jérôme, parle-moi d'Arthur…

Sa voix douce me perturba autant que la flèche dans mon cœur.

Arthur ! À force de l’éviter, j’espérais qu’il disparaitrait ! Comment peut-on mourir crucifié à vingt-quatre ans ?

Sa seule pensée me meurtrissait. Clothilde avait raison : je devais regarder en face.

En lui évoquant ce garçon, je compris qu’il m’avait voué un amour absolu, tel celui des enfants, sans exiger aucune contrepartie. Je t’aime infiniment, toi, parce que c’est toi.

J’avais connu l’amour de ma mère, qui, en fait, était un amour possessif : je t’aime, car j’ai besoin de t’aimer. L’amour de William avait été un amour de réciprocité, je t’aime si tu m'aimes, tu m’aimes si je t’aime.

Christopher ne rentrait pas dans cette catégorie, malgré l’intensité et la dépendance de notre lien.

Clothilde ? Je ne savais pas.

Arthur, je n’avais pas su lui répondre, n’arrivant pas à départager un amour paternel, fraternel et sexuel. J’avais trop hésité à lui donner la totalité de mon cœur, craignant William et me craignant. De ce qu’il m’avait raconté, je comprenais maintenant que j’avais été sa principale figure d’attachement. Ce n’est que jeune adulte qu’il avait pu fixer son affection. Je lui avais tendu la main, mais je doutais de la pertinence de son choix qui s’était porté sur une personne immature et perverse. Vingt-trois ans de vie perdus sur vingt-quatre ! Ses parents ne méritaient pas ce titre !

Ce que m’avait dit Christopher, je n’y croyais qu’à moitié, pensant à une fable possible pour amoindrir mon chagrin et ma culpabilité. Pourtant, il n’avait aucune raison de me protéger ainsi. Ne pas être coupable, c’était m’obliger à accepter.

Cela avait été trop vite, trop fort. Je n’étais pas capable de vivre sans lui.

Refiler ces courts moments avec Clothilde me fit du bien. À nouveau, elle n’exprima rien quand je lui rapportai la fin. Ce n’était pas normal. On ne peut pas entendre de telles horreurs sans réagir. Soit elle se plaisait à les écouter, avec une certaine perversité, comme son frère, soit elle entassait, et, un jour, tout cela ressortirait dans une déflagration paroxysmique.

Je décidai de retourner sur sa sépulture, pour le retrouver et lui parler. J’avais emporté un drapeau arc-en-ciel, dont j’habillai sa pierre. Qu’il soit à l’écart du caveau me rassurait et me révoltait. Le travail de deuil progressait doucement. Je venais maintenant régulièrement : j’avais besoin de le pleurer.

Un jour, alors que je partais, une femme m’accosta.

— C’est vous qui souillez régulièrement cette tombe ?

— Je ne comprends pas…

— Ces rubans, ces drapeaux…

— Ah, oui, l’arc-en-ciel ! Oui, c’est moi !

— Mais vous le salissez en le traitant d’homosexuel !

— Ce n’est pas une injure, c’est une nature. Et c’est ce qu’il était. Avec fierté !

— Qu’en savez-vous ?

— Nous nous aimions…

— Un homme de votre âge ! Avec un jeune ! Vous êtes tous des sales porcs qui dévoient notre jeunesse !

— Arthur était un garçon remarquable, une personne en or. Il n’avait rien de dévoyé !

— Arrêtez avec vos assertions ! Respectez au moins sa famille.

— Vous en faites partie ?

— Indirectement. Je suis l’épouse d’un de ses oncles.

— Fabien ?

— Comment le savez-vous ?

— Parce qu’il m’en a parlé !

— Et pour vous dire quoi ?

— Pas grand-chose, rassurez-vous. Juste avant son accident, il m’a dit qu’il voulait le voir.

— Vous savez pourquoi ?

— Non. Il a juste dit : « Pour effacer. ».

— Pour effacer quoi ?

— Je ne sais pas. Votre époux le sait peut-être…

En tournant les talons, je me méprisai. Cette femme, ses enfants n’étaient pour rien dans ce drame. En amorçant cette bombe, je m’étais déchargé de ma responsabilité.

Quand je revins, mon dernier drapeau était resté en place. J’ai pleuré pour lui. J’ai pleuré sur son temps perdu, sur les conséquences. J’ai osé écrire à ses parents, inventant un hommage de l’entreprise, pour obtenir une photo. Dorénavant, je le vois chaque jour.

Un samedi soir, lors d’un de nos retours silencieux, une pensée se formula sans aucunes prémices.

— Clothilde, il n’y a plus aucune évolution. Il n’est pas bien ici. Je vais le faire rapatrier chez nous. Je vais prendre un temps partiel et m’en occuper. Tu veux bien le faire avec moi ?

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