Il nous fallut cinq jours pour rallier le château de notre oncle, Craig MacLeod, laird du clan des MacLeod, à Dunvegan, sur l'austère île de Skye. Le premier soir, nous n'avions guère avancé. Jennie souffrait et marchait moins vite qu'à l'habitude. Nous avions dormi à l'abri d'un fossé, sous un grand arbre. Le deuxième jour, nous avions atteint un petit port et avions trouvé un passeur pour nous conduire sur l'île. Il avait fallu le dédommager d'une des pièces d'or de notre père. Ensuite, nous avions entamé la traversée de l'île, remontant toujours vers le nord à travers les montagnes abruptes, longeant des rivières qui avaient creusé leurs lits dans des paysages arides et désertiques.

Ce fut au matin du quatrième jour qu'on nous trouva. Trois cavaliers du clan rentraient à Dunvegan. On nous prit en selle et nous arrivâmes ainsi au château. L'un des cavaliers, Angus, avait reconnu Jennie qu'il avait vue une fois, il y a quelques années, lorsqu'il s'était rendu à Inverie.

A peine étions-nous arrivés qu'une femme prit Jennie en charge. J'appris quelques heures plus tard qu'elle s'appelait Madame Barach'n. Moi, on me conduisit à la cuisine pour un repas frugal, mais bienvenu. Je mourais de faim. Madame Barach'n me rassura quant au sort de Jennie, puis m'obligea à prendre un bain et à changer de vêtements avant d'être conduit devant mon oncle dont j'allais faire la connaissance car je ne l'avais jamais vu de ma vie.

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Oncle Craig. Craig MacLeod, laird du clan des MacLeod, deuxième enfant de Dungan et petit-fils d'Arthur. A cette date, il avait une quarantaine d'années. Il était le deuxième des fils, mais c'était lui, et non mon père, que les hommes du clan avaient choisi pour devenir laird. J'ignorais si mon père qui était l'aîné en avait tiré quelque chagrin ou jalousie. Tout ce que je savais, c'était que nous faisions partie du même clan, que mon frère Alec avait prêté allégeance à Craig et qu'à ce titre, nous pouvions bénéficier de sa protection, de la protection de tout le clan. C'était la raison pour laquelle j'avais voulu conduire Jennie jusqu'à Dunvegan.

Craig me reçut dans une pièce un peu particulière. Elle tenait du petit salon privé, mais était encombrée de livres. Un secrétaire lui permettait d'écrire à la lumière d'une belle fenêtre donnant au sud. Un feu brûlait dans une cheminée de petite taille, mais qui diffusait une douce chaleur. La pièce elle-même était assez accueillante et je m'y sentis bien, en confiance.

- Alors, mon garçon, commença-t-il. Raconte-moi ce qui est advenu. De ce que j'en sais déjà, il est arrivé quelque chose de très grave.

- Oui, mon oncle, oui. Je... Alec... Jennie...

A cet instant, les mots me manquèrent et ma gorge se serra. Je sentis les larmes poindre. Je n'avais pas pleuré une seule fois depuis notre départ d'Inverie, j'avais repoussé loin mon chagrin, même s'il demeurait comme une pierre brûlante dans mon cœur. Je n'avais pensé qu'à mettre Jennie à l'abri. Rien d'autre. Et là... Il me fallait raconter.

Mon oncle eut un sourire bienveillant. C'était un homme assez grand, de belle prestance. Son regard était intelligent, son front dégagé et son sourire aimable. Il ne portait pas encore de barbe et se rasait soigneusement tous les deux jours. L'admiration que je lui vouais naquit ce jour-là, quand il me réconforta.

- Tu dois tout me dire de ce qui est arrivé, Kyrian. C'est très important. Je dois le savoir pour pouvoir réagir en conséquence. Donne-moi le plus de détails possibles. Allons, petit, je t'écoute.

J'entamai alors mon récit. A plusieurs reprises, mon oncle m'encouragea, me rassura aussi. Il était assis face à moi, dans un fauteuil semblable au mien. Il lui arrivait de me prendre la main et de la serrer pour m'inciter à poursuivre. Il me posa quelques questions précises, pour compléter mon récit. A la fin, il demeura silencieux, comme plongé en pleine réflexion. Je n'osai l'interrompre.

- Bien, dit-il enfin. Je vais envoyer quelques hommes à Inverie. Ils auront pour charge de s'occuper... des morts. J'attendrai leur retour, pour entendre leurs dires. Et je ferai nommer un intendant, pour prendre en charge le domaine.

Il marqua une courte pause, puis ajouta :

- Avant que tu ne sois en âge de t'en occuper.

Par ces paroles, je compris confusément que mon oncle me laissait, à l'avenir, la charge des terres entourant Inverie et qu'il ne souhaitait pas les prendre à son compte, ce qu'il était en droit de faire. Mais je ne savais pas encore ce que tout cela signifiait, j'étais trop jeune pour comprendre.

Mon oncle m'observa un moment, puis reprit :

- Alec était bien jeune pour s'en occuper, mais nous n'avions pas le choix... La mort de ton père a précipité les choses et j'aurais dû... lui adjoindre un homme de confiance, plus aguerri.

- Il ne voulait pas payer la taxe... Elle est injuste !

- La taxe des vainqueurs est toujours injuste, mon garçon, soupira-t-il. L'Acte d'Union lie désormais le destin de l'Ecosse à celui de l'Angleterre, c'est ainsi. Peut-être que nous en tirerons des avantages, à l'avenir.

- Je hais les Anglais ! m'exclamai-je soudain. Ils ont tué père, ils ont tué Alec. Ils ont violé Jennie... Et vous-même, mon oncle, ils vous ont blessé.

Ses sourcils se froncèrent un instant.

- Qui t'a raconté cela, petit ?

- Alec.

Il eut un geste sec du menton, mais ne dit rien. Puis un léger sourire éclaira son visage et il dit :

- Ta sœur et toi serez en sécurité ici, mais il te faudra participer aux tâches quotidiennes. Tout en apprenant à t'occuper d'un domaine. Observe, écoute, prends-en de la graine. Je te trouverai aussi un maître d'armes pour t'apprendre à manier l'épée, le poignard. Un homme accompli doit aussi être un bon soldat.

- Bien, mon oncle.

- Va, maintenant. Nous nous reverrons au dîner.