1.IV // Un désastre écologique

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Cela faisait quelques jours que Cassandra avait été licenciée. Si elle avait bien récupéré ses affaires, elle n’avait toutefois aucune information à propos d’un éventuel nouveau poste. Ses appels au service des ressources humaines de la centrale restant sans réponse, elle se contentait d’attendre, non sans anxiété, d’être recontactée.

Toujours préoccupée par l’état de santé des arbres, elle regardait d’un œil plutôt distrait le très traditionnel – et non moins fade – journal télévisé du soir. Son attention fut soudain happée par le large écran plat lorsqu’elle entendit une actualité fort peu banale : les arbres des centrales d’Unelma et Vinelma étaient tous tombés malades ! Les images avaient de quoi effrayer n’importe quel Sagittarien habitué à la verdure omniprésente de la planète : sous chacune des verrières s’étendait un paysage de mort et de désespoir. Ces espaces forestiers, si longtemps restés intacts, étaient devenus gris et dépourvus de feuilles.

— Edwige, regarde, la télévision ! Les arbres, ils… ils…

— Ils sont… tous morts !? bafouilla Edwige qui n’en croyait pas ses yeux.

— C’est une véritable catastrophe, je… Non, ce n’est pas possible ! Edwige, reste là ; il faut que je voie ça par moi-même.

Cassandra refusait d’y croire. Elle enfila rapidement ses chaussures et, puisqu’il faisait encore bien jour, courut jusqu’à la centrale. Arrivée au contact de l’immense verrière, elle ne put que constater la triste réalité : une scène d’horreur s’offrait à ses yeux mortifiés. Hormis quelques spécimens qui devaient être plus résistants, tous les arbres étaient bel et bien morts, et la production d’oxygène de toute la planète, compromise.

La population allait certainement ressentir très rapidement les conséquences de ce désastre écologique… Comment allait-on faire pour approvisionner tout le monde en énergie ? Il y aurait sans doute quelques réserves, mais il allait falloir trouver très rapidement une solution à ce problème.

Cassandra était désormais convaincue qu’elle n’était pas responsable de ce fléau, qui avait continué à se propager après son départ et touché Vinelma de la même manière. Comment avait-on pu la licencier sans vraiment chercher à comprendre le problème ? Mais surtout, pourquoi l’avait-on accusée elle ?

Il fallait qu’elle en parle à Edwige ! Elle était certes jeune, mais très intelligente, alors elle serait sensible à tout cela. Ainsi, Cassandra pourrait partager, peut-être égoïstement, son émoi avec quelqu’un. Elle fit d’ailleurs le trajet retour vers chez elle au pas de course, de la même façon qu’à l’aller.

Le phénomène semblait intrinsèquement lié aux centrales. En effet, les arbres aux abords de la ville étaient, eux, toujours en pleine forme. La biosynthèse – ce procédé que tout le monde avait reconnu comme exempt de risques – avait-elle finalement des conséquences imprévues sur le long terme ?

C’est à bout de souffle que Cassandra atteignit son domicile dont elle poussa vivement la porte.

— Alors… ? demanda Edwige d’un ton hésitant.

L’adolescente paraissait plus soucieuse que d’ordinaire. Après tout, elle qui rêvait sans cesse d’évènements inattendus et hors-normes, il y avait largement de quoi éveiller sa curiosité dans ce mystère.

— C’est un cauchemar, Edwige. Les arbres… sont bel et bien morts. Tous morts. La centrale ne peut plus fonctionner.

L’air inquiet dans un premier temps, l’intéressée se redonna rapidement une contenance avant de reprendre sur un ton plus blasé :

— Bah… ça va aller, répondit-elle enfin. L’humanité n’a jamais manqué de ressource même face à des situations bien plus désespérées… Il suffit de voir l’Exode.

Cassandra chercha dans un premier temps quelque chose à ajouter, comme si elle voulait sciemment mettre la pression à sa fille afin que celle-ci se sente davantage concernée. Mais aucune parole pertinente ne lui vint. En même temps, était-ce bien judicieux que de chercher à faire paniquer autrui dans le but de le rallier à sa cause ?

Essayant petit à petit de clarifier ses pensées, la mère se demanda si c’était elle qui réagissait de façon excessive, ou si c’était Edwige qui nageait trop dans l’insouciance et l’indifférence. Peut-être qu’elle n’était pas la bonne interlocutrice après tout. Oui, voilà ; elle devait juste trouver quelqu’un d’autre à qui parler de tout cela. Pourquoi pas les biologistes ? Le laboratoire serait fermé ce soir, mais elle n’aurait qu’à s’y rendre demain à la première heure.

Ainsi, dès le lever du jour, elle ne perdit pas de temps pour revêtir sa combinaison, se chausser, et filer avant même qu’Edwige ne prenne le chemin de l’école. Elle aurait ses réponses, ou au moins, elle parviendrait à plaider non coupable. Comment aurait-elle pu être responsable de la mort de tous les arbres de Vinelma, où elle n’avait jamais mis les pieds ? Cela n’avait aucun sens. Elle avait beau ne rien comprendre aux détails techniques du fonctionnement des centrales, son innocence était trop évidente que quiconque insiste à la nier.

Edwige, quant à elle, restait perturbée par ces évènements, bien qu’elle se fût forcée à rester de marbre face à sa mère. Et si… Et si ce jour-là, plutôt que d’aller à l’école, elle enquêtait aussi de son côté ? L’école n’avait pas grand-chose à lui apprendre, après tout, mais une expédition en terre inconnue, si.

À son tour, elle enfila sa combinaison immaculée et s’étira à de longues reprises. Elle frissonna un instant en pensant à ce qu’elle allait faire tandis qu’elle fermait la porte. Ce serait la première fois qu’elle ne suivrait pas les règles et qu’elle agirait de son propre chef. Ce n’était pas rien pour elle, ni pour aucun Sagittarien en fait : tout le monde ici faisait ce qu’il avait à faire, chaque jour, sans se poser de question. C’était sans doute pour cela que le quotidien était si monotone.

Atteindre l’orée de la forêt n’était pas vraiment le problème puisque celle-ci bordait intégralement la ville. Y pénétrer, c’était autre chose. Personne ne le faisait. Et pourtant, Edwige était persuadée qu’elle pourrait trouver des réponses derrière les immenses troncs qui barricadaient, tel un sanctuaire interdit et impénétrable, la vaste forêt sagittarienne.

Elle resta un long moment statique face aux arbres, impressionnée. À juste titre d’ailleurs, tant les géants pourtant immobiles avaient quelque chose d’intimidant. Rien ne saurait bien décrire leur immensité et leur stature, mais disons qu’ils avaient la hauteur du séquoia, la circonférence du baobab et la densité de feuilles du saule pleureur : des colosses, en somme. Tous n’étaient toutefois pas immenses, et quelques arbustes parvenaient à trouver leur place parmi les plus grands, mais la forêt, sans même y pénétrer, paraissait étouffante de gigantisme.

Et pourtant, après avoir jeté un dernier regard en arrière afin de s’assurer que personne ne verrait ce qu’elle s’apprêtait à faire, Edwige se faufila dans une brèche du rempart végétal et pénétra dans la forêt. La pénombre et le calme verdoyant apaisèrent tout de suite son esprit. Les rayons de l’Anari filtraient à travers l’épais feuillage des arbres et faisaient presque briller la végétation au sol. Edwige déambulait lentement, regardant en permanence tout autour d’elle. Et pour cause, elle était en train de découvrir un environnement inconnu jusqu’alors, quand bien même il n’était qu’à quelques centaines de mètres de la maison où elle vivait depuis onze ans.

Trop concentrée sur l’univers qui s’offrait à ses yeux, elle ne prenait pas suffisamment la peine de regarder devant ses pieds. Une racine massive ne manqua pas de lui rappeler son inattention, la faisant trébucher et chuter lourdement au sol. Edwige se releva péniblement, étourdie par la chute. Elle s’était fait mal au poignet droit. Une entorse peut-être. Comment expliquerait-elle cela à sa mère ? Difficile d’imaginer qu’une bousculade pût avoir lieu dans les écoles de Sagittari : tout le monde était bien trop civilisé pour cela. Elle n’aurait qu’à dire qu’elle était tombée dans les escaliers. Heureusement, sa combinaison ne viendrait pas trahir son mensonge : aucune trace de végétation n’était venue tâcher l’uniforme, que sa structure plastifiée protégeait de ce type d’aléa.

À bien y réfléchir, depuis qu’elle avançait, l’environnement avait changé, sans qu’elle le réalisât avant sa chute. Il faisait beaucoup plus sombre, presque aussi noir qu'en pleine nuit, mais ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité, si bien qu’elle ne s’en était pas rendu compte immédiatement. Le feuillage des arbres était si dense qu’il étouffait toute lumière naturelle. Les racines, comme celle responsable de sa chute, s’enchevêtraient de plus en plus et rendaient sa progression plus difficile. Le vert omniprésent à l’orée de la forêt avait laissé sa place à des teintes plus ternes et à d’étranges fougères mordorées quelque peu phosphorescentes ; c’était d’ailleurs de celles-ci que provenait l’essentiel de l’éclairage salvateur pour Edwige. Et ce silence… Pas un insecte qui vrombît, pas un bruit d’animal qui s’enfuît dans les buissons. Un silence… absolu. La ville était-elle loin ? Il n’y avait pas le moindre son en provenance de celle-ci, non plus. Edwige fut soudain prise d’une vive angoisse à l’idée de s’être complètement égarée. Elle n’avait à aucun instant envisagé cela, faute d’expérience de ce type d’environnement.

Mais plus angoissant encore, elle avait cette sensation d’être observée depuis qu’elle avait chuté. Il était pourtant évident que rien ni personne n’arpentait cet écrin de silence qui avait été scanné maintes et maintes fois, alors… qu’est-ce qui pouvait bien lui créer cette désagréable sensation ? Était-ce la végétation, ou quelque plante intelligente que ce fût ? Ou bien était-ce… la forêt toute entière ?

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