2.I // Retour au présent

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Partie 2 - Modernité désuète
« Gris sur fond vert. »

Cinq ans. Cela faisait cinq ans que les centrales nucléaires fonctionnaient et que la production d’électricité battait son plein. La société avait su changer progressivement ses équipements pour s’adapter à cette nouvelle source d’énergie. Les médias avaient en outre massivement relaté l’apparition de l’étrange créature dans la mine, pour une fois qu’un évènement extraordinaire se produisait, et chacun avait fait preuve d’une vigilance accrue dès lors. Mais aucun warzeul – car c’est ainsi qu’ils furent nommés entre-temps – ne s’était montré depuis, et l’extraction de minerai se faisait majoritairement avec des machines, ce qui évitait sans doute bien des mauvaises rencontres.

Petit à petit, les gens finirent par oublier cet évènement, et reprirent le cours de leur vie comme s’ils étaient toujours les uniques occupants de cette planète. Le gouvernement avait tout de même mis en place un petit corps d’armée, que Gaël avait complété par une milice privée, pour « doubler la sécurité », selon ses propres termes.

Antelma s’était bien agrandie. Pas tant en termes d’habitations, à dire vrai, mais plutôt de zones industrielles. Le passage de la biosynthèse au nucléaire avait demandé bien du travail et occasionné quelques changements : les bus à oxygène n’existaient plus, par exemple, et les nouveaux moyens de transport étaient électriques. Gaël avait profité de la transition pour forcer la législation à accepter les véhicules personnels, afin que lui-même fût dans les règles. Ces voitures, assemblées à la chaîne, nécessitaient de grandes usines, ainsi que la production de batteries pour les faire fonctionner. Celles-ci étaient conçues à base de lithium qu’on puisait lui aussi dans des mines, différentes de celles d’uranium. On avait sciemment limité leur profondeur et là aussi utilisé des machines en guise de main d’œuvre, ne sachant pas avec quel type de créatures la population devait cohabiter depuis l’incident cinq ans plus tôt. De toute façon, les températures souterraines devenaient difficiles à supporter en creusant trop profondément, et il était devenu presque impossible de recruter des mineurs non conscients des dangers souterrains.

Les déchets, eux, qu’ils fussent issus de produits radioactifs sur les centrales ou de batteries usagées, étaient confinés dans de grands containers en céramique qu’on jetait ensuite dans l’océan. Compte tenu de la taille de ces derniers et de la faible production de détritus pour une aussi petite communauté que celle de Sagittari, on savait très bien que la quantité rejetée n’aurait que très peu d’impact sur l’environnement.

Ainsi vivaient désormais les Sagittariens, et si des tensions sociales étaient apparues depuis que Gaël s’était mis en avant cinq ans plus tôt, notamment à cause des privilèges qu’il s’était octroyés, chacun menait une existence paisible et épanouissante.

Edwige avait seize ans, et elle allait toujours à l’école. Cassandra, de son côté, travaillait comme prévu au traitement des déchets de la centrale nucléaire d’Unelma. Enfin, sauf ce jour-là, où elle avait son rendez-vous annuel avec la médecine du travail.

— Allez-y, madame. Installez-vous dans le scanner. Ça ne fera pas mal, ne vous en faites pas ! la rassura l’assistant-médecin.

Cassandra se serait bien passée du fait qu’on la prenne pour une enfant. Après s’être dévêtue, elle s’installa non sans peine sur le fauteuil en faux cuir glacial, et la vitre amovible se rabattit sur elle. Il ne fallut que peu de temps avant qu’une lumière violacée ne la parcourût de la tête aux pieds, puis des pieds à la tête.

— Et voilà, c’est déjà terminé ! Vous voyez ? Rien de si terrible.

— À part la température du siège, sans doute rien de trop terrible, non ! plaisanta l’intéressée par politesse. Quels sont les résultats ? demanda-t-elle alors, d’un ton bien plus inquiet.

— Je doute qu’il y ait quoi que ce soit, répondit l’assistant-médecin avec le sourire. Vous m’avez l’air en pleine forme ! Mais patientez ici, je vais voir le docteur.

Cassandra se redressa et se frotta la nuque en faisant une grimace. Elle ne pouvait pas s’empêcher d’être crispée lorsqu’on l’enfermait dans une machine. De l’autre côté de la vitre séparant la salle du scanner et celle du médecin, elle pouvait voir celui-ci avec son subalterne en train de discuter face à l’écran, sans toutefois entendre quoi que ce fût. Les deux s’échangèrent alors diverses radiographies, en y pointant du doigt, de temps à autre, certains éléments. Plusieurs fois, le docteur se frotta le menton, l’air concerné. Était-il possible qu’il eût identifié quelque chose de grave suite à ce scanner ? Cassandra sentit l’inquiétude la gagner, et ne manqua pas d’en faire part à l’assistant lorsqu’il revint vers elle.

— Alors… ? demanda-t-elle, hésitante.

— Les résultats vous seront adressés dans quelques jours, madame, le temps que le docteur rende son analyse. Ils vous seront envoyés directement chez vous, ne vous en faites pas ! Vous pouvez vous rhabiller.

***

Edwige, adossée contre la paroi de pierre blanche, regardait les yeux froncés en direction du portail métallique vert sombre. C’était la période où les nouveaux arrivaient. La majorité d’entre eux avait dans les onze ans et venait de quitter la petite école.

« Onze ans, » pensa-t-elle, rêveuse. « Déjà cinq ans que je suis ici. »

Elle posa son regard sur l’arbre au centre de la cour. Il était mort, comme nombre d’autres, mais on ne l’avait pas déraciné, lui, car il n’y avait pas d’intérêt à récupérer ce terre-plein. Ce n’était pas le cas partout : la majorité des arbres qui étaient passés de vie à trépas autour de la ville avait été abattus, la plupart du temps à l’initiative de Gaël, dans le but de libérer de l’espace pour sa construction d’usines.

Bien qu’un grand nombre de personnes eût condamné cette pratique de déforestation, il fallait bien dire qu’il n’y avait pas grand intérêt, ni visuel ni humain, à conserver de grands bosquets d’arbres gris et flétris. La forêt restait malgré tout bien présente, une étude à l’échelle planétaire ayant montré que les trois quarts des arbres de Sagittari étaient toujours en pleine forme.

« Peut-être que les finils ont réussi à se débarrasser des warzeuls, » songea Edwige. Elle avait tenu sa promesse à elle-même, et n’avait jamais parlé d’eux à qui que ce fût. À vrai dire, elle pensait même être la seule Sagittarienne au courant de leur existence, sans toutefois pouvoir le prouver. Parfois, elle avait envie de retourner dans la forêt, voir s’ils étaient encore là, savoir comment ils s’en sortaient dans la protection de la planète, et ce malgré leur attitude plutôt farouche cinq ans plus tôt.

— Hé, Edwige ! Faut aller en cours.

Comment l’avait-il appelée ? C’est vrai, les jeunes générations s’étaient mises à utiliser les prénoms et cela avait eu un effet boule de neige dans toute la société. Tout ça parce que les enfants commençaient à se montrer plus laxistes, et n’arrivaient pas à retenir tous les chiffres des numéros d’identité de leurs camarades ! Cela dit, ils n’avaient pas tort : les prénoms étaient tellement simples et pratiques. Pourquoi s’était-on embêté avec des numéros ?

— J’arrive.

***

— Monsieur le directeur ? Un appel de monsieur le Président.

— Dites-lui de laisser un message, Victor. Et que je n’ai rien à lui dire tant qu’il refusera de me recevoir au gouvernement.

— Oui monsieur, répondit le majordome en hochant la tête.

Gaël se frotta vigoureusement le visage des deux mains et se repencha sur le dossier posé sur son bureau. Des groupes d’individus, qui se faisaient appeler « associations », se montraient de plus en plus intrusifs dans ses activités industrielles. Certaines lui reprochaient la gestion des déchets des centrales, ou bien des batteries au lithium, et le sommaient de mener une véritable réflexion ainsi qu’une campagne de communication plus sincère vis-à-vis des risques potentiels encourus par l’environnement. D’autres le rappelaient à l’ordre sur ses actions de déforestation, jugées excessives, même sur des bosquets décédés. Ils estimaient en outre que les terres devaient être laissées telles quelles dans l’espoir que la végétation pût s’y installer à nouveau, plutôt que de profiter de chaque espace défriché pour construire une nouvelle usine.

D’un vif revers de coude, l’homme d’affaires jeta au sol l’ensemble des courriers qui contestaient chacune de ses décisions, et vida d’une traite le verre d’alcool qu’il avait soigneusement évité de renverser dans le processus.

— Maudite soit cette racaille, vociféra-t-il. Ils sont bien contents d’avoir de l’électricité et des véhicules, mais s’attaquent à celui qui leur apporte tout le confort qu’ils apprécient chaque jour !

Gaël s’approcha de sa baie vitrée. Le monde avait bien changé en cinq ans. Des usines aux cheminées plus hautes que sa villa ou que le siège du gouvernement avaient remplacé les contours sylvestres d’Antelma. Il fallait bien des évacuations aériennes pour les émissions de dioxyde de carbone : le réseau de captage souterrain était à l’abandon depuis que la biosynthèse appartenait au passé. Cela ne posait aucun problème d’après lui, puisque l’atmosphère de Sagittari pouvait amplement absorber les émissions d’une unique ville de quelques centaines de milliers de personnes. Ces « associations d’écologistes » n’étaient décidément qu’un ramassis d’idiots jaloux de son succès et de sa fortune.

Et si cette planète venait vraiment à mourir ? Et si ces imbéciles disaient vrai ? Gaël frotta nerveusement son menton mal rasé. Il lui fallait un plan de secours, juste au cas où, pour l’unique pour cent de chance que ces abrutis eussent raison.

***

Le scientifique hésita un instant à décrocher le téléphone en voyant qui l’appelait. Mais sous le regard pesant de ses collègues intrigués, il finit par presser le bouton vert.

— Monsieur le directeur, que me vaut l’honneur… ? demanda-t-il d’un ton blasé.

Un long silence suivit. Certains des autres hommes en blouse blanche tendirent l’oreille pour essayer de comprendre les murmures inintelligibles sortant du combiné, en vain.

— Très bien, monsieur, je fais le nécessaire, dit l’homme avant de raccrocher.

Il jeta un regard à chacun de ses collègues, l’un après l’autre. Certains semblaient inquiets, d’autres simplement curieux. Quelques minutes s’écoulèrent dans le silence le plus total avant qu’il ne reprenne la parole :

— Il… veut une équipe qui travaille sur un vaisseau spatial, du même type que celui utilisé pour l’Exode, dit-il enfin à ses collègues, les laissant sans voix.

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