Partie 1.3
Andréa sortit sa clé de sa poche et rentra dans la maison.
- C’est moi maman !
Pas de réponse. Elle se déshabilla et s'avança alors vers le salon où elle trouva sa mère, assise à son bureau, son ordinateur devant elle.
- Qu’est-ce que tu fais ? demanda la jeune fille en déposant un baiser sur sa joue.
Sa mère se tourna vers elle et lui fit un sourire.
- Encore une énième traduction, lui répondit-elle en désignant l’écran d’un geste las de la main. Ça fait des heures que je suis dessus !
- Je te laisse travailler alors...
Elle retourna dans le couloir et saisit ses affaires au passage. Elle rentra dans sa chambre pour découvrir ses trois chats, Muffin, Automne et Fantôme profondément endormis sur son lit. Elle laissa ses affaires choir à côté de son bureau et s’approcha du panier géant improvisé de ses félins.
- Debout là dedans ! lança-t-elle d’une voix forte en claquant dans ses mains.
Elle rit en voyant les trois chats se réveiller en sursaut et regarder autour d’eux pour chercher l’origine du bruit. Le premier à descendre fut Fantôme, un mâle blanc dont les pattes ne firent aucun son en touchant le sol. Muffin, un imposant mâle roux et blanc, suivit quelques secondes après.
- Automne, pousse toi de là, râla Andréa en titillant la minette écaille de tortue pour qu’elle daigne bouger ses pattes.
Pour toute réponse, la chatte se coucha sur le dos en bâillant nonchalamment.
- Automne ! souffla la jeune fille, exaspérée.
Elle retroussa ses manches et fit craquer ses doigts, résolue à passer à la méthode forte. Elle empoigna la chatte en dessous des pattes avant et la souleva du lit. Automne se mit à se débattre furieusement, crachant et griffant à tout va. Lorsqu’elle se retrouva au sol, elle fit le dos rond avant de détaler hors de la pièce.
Andréa remit en place ses manches en ignorant les griffures laissées par la chatte.
- Bon, il est temps de passer aux choses sérieuses, dit-elle en récupérant un livre.
Elle le tourna dans tous les sens, l’observant sous toutes les coutures.
- C’est bon, il n’a rien, remarqua la jeune fille. J’ai eu peur qu’il soit abîmé après la façon dont Jules l’a jeté hors de mon sac tout à l’heure, expliqua-t-elle à Muffin qui la regardait fixement.
Elle se pencha ensuite et sortit quelque chose de volumineux de sous son lit. Elle le posa sur l’édredon avec le livre et s’installa. Muffin sauta sur la couette et vint se frotter à l’écran de l’ordinateur en ronronnant.
- Non, Muffin, tu va mettre des poils partout dessus, râla-t-elle.
Andréa repoussa l’animal d’un geste de la main et entreprit de relire rapidement le résumé du livre. De la fantasy, comme elle aimait. Celui-ci lui avait beaucoup plu et elle s’était sentie transportée. Rien de tel pour s’évader loin de la réalité.
Une fois l’ordinateur allumé, elle lança internet et cliqua sur l’un des onglets.
- Alors, voyons voir s’il y a du nouveau aujourd’hui, espéra-t-elle en cliquant sur les commentaires.
Pendant le chargement de la page, elle caressa Muffin qui était venu se coller à elle, réclamant de l’attention. Lorsqu’elle tourna la tête vers l’écran de son ordi, son visage quelque peu souriant se changea en une grimace de contrariété. Les seuls nouveaux commentaires qu’elle avait lui venaient de ses deux meilleurs amis, Stella et Tristan. Elle ne les voyait pas souvent mais ils ne manquaient jamais une occasion de montrer qu’ils la soutenaient d’une manière ou d’une autre.
Muffin miaula et s’assit sur le livre, comme pour lui rappeler qu’elle devait rédiger sa critique pour la poster sur son blog.
- Oui, oui, ne t’inquiète pas, je n’ai pas oublié.
Elle récupéra le livre et le posa à côté de l’animal. Celui ci lui lança un regard noir et retourna s’asseoir confortablement dessus. Elle rit et le caressa vigoureusement. Andréa reporta ensuite son attention sur son article. Elle possédait un blog ou elle postait des billets d’humeur, des critiques de livres, de courtes nouvelles, des résumés de l’actualité. C’était son petit refuge à elle. Personne ne savait qui elle était et elle pouvait s’exprimer librement sur ses passions et croire en son rêve : devenir journaliste ! Elle y postait également ses questionnements, des phrases philosophiques, toutes les choses qui lui passaient par la tête, toutes ses interrogations… etc.
Pendant de longues minutes, elle rédigea sa critique du bouquin de fantasy, relisant parfois des extraits, notant des passages, des répliques. Elle y ajouta l’image de couverture du livre et cliqua sur "publier". L’article s’afficha sur l’écran, elle sourit en voyant son pseudo. Andora. Un dérivé de son propre prénom. Ni trop proche ni trop loin du sien. Et qui sonne un peu univers de fantasy, se dit la jeune fille en remontant les commentaires de ses précédents postes.
- Écoute ça Muffin. C'est d’une certaine Maryleen. « J’ai adoré ta critique sur ce livre. Je ne connaissais pas vraiment la fantasy – je suis plutôt du genre science fiction – et tu m’as donné envie d’essayer. Et j’ai été conquise. La plume de l’auteur nous fait directement rentrer dans l’univers et on reste en haleine durant tout le livre. Merci beaucoup à toi Andora et continue de faire d’autres articles. Je les attends avec impatience ! »
La jeune fille fit un grand sourire et baissa la tête vers le chat. Celui ci ronflait allégrement, les pattes tendues et la queue tressautant au fil de ses rêves.
- C’est génial, murmura-t-elle pour elle même. Bon, il ne me reste plus qu’à mettre un billet d’humeur et j’aurai fini…
Elle ouvrit une autre page et resta un moment devant l’écran. Elle réfléchissait à ce qu’elle allait écrire. Elle faisait toujours attention à ce qu’elle écrivait. Elle ne voulait surtout pas qu'on la reconnaisse.
- Lorsque tout vous semble hostile, il est préférable de courber le dos pour mieux revenir à l’assaut, exposa-t-elle à son chat en même temps qu’elle écrivait. J’applique cela tous les jours et pourtant cela ne suffit pas. Cela ne suffit jamais. Le monde autour de moi est toujours gris, je ne vois que ça. Nulle lueur du jour, rien que les ombres qui gagnent du terrain. Elles sont là en permanence, parfois reflets de mes souvenirs, récents ou non, douloureux. Parfois elles sont bel et bien présentes, me plantant mille et un poignards dans le cœur, dans mon âme. Me blessant jour après jour. N’affichant que rires et visages moqueurs. Des ombres, ce ne sont que des ombres. Voilà ce que je me répète inlassablement pour ne pas sombrer. Jour après jour, je sais qu’elles me guettent au détour du chemin, toujours présentes. Mais qu’y puis je ? Tout était blanc, maintenant tout est gris. Tout est gris depuis si longtemps. Le gris m’enveloppe et les ombres en profitent. Je ne suis rien face à elles mais je suis encore là. Et je reste…
Andréa essuya les quelques larmes qui coulaient sur ses joues et posta son billet. Suffisamment précis pour évoquer son ressenti, ses déboires et son profond mal être. Mais assez vague pour que personne ne puisse remonter jusqu’à elle. La jeune fille éteignit son ordinateur et s’allongea sur son lit. Elle attrapa Muffin, le réveillant au passage. Celui-ci poussa un miaulement surpris et indigné mais se laissa tout de même faire. Elle le serra contre elle, le regard rivé sur le plafond. Elle partit petit à petit dans ses pensées, bercée par les ronronnements de Muffin qui vint se lover sur son ventre.
Annotations