Notes sur le septième jour

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J'achève à l'instant la relecture des dernières pages de mon cher journal et j'avoue que j'ai un peu honte : manifestement, je n'ai pas dessoûlé de la semaine. Ma tête a disparu. A la place, un « Mengele » de « film » d'horreur s'est amusé à me greffer une enclume. Et il y a un mec qui s'en sert, le con ! Je sais pas ce qu'il forge – Mjolnir, Excalibur, un bouclier d'airain – mais il cogne dur. Bref. J'ai une gueule de bois à me faire porter pâle la semaine à venir.

Rien de tel, cependant, pour se sentir vivre. Quand on a mal à ce point, on existe forcément, non ? La sensation de douleur, si vive dans ma chair nébuleuse, participe de mon ancrage dans cette réalité, n'est-ce pas ?

Voilà que j'adopte la métaphysique de mes convives. Eux aussi, quelle bande de guignols... Mike, Raf et Dan n'ont pas pour habitude de débarquer les mains vides – il faut croire que je les ai bien éduqués – et je ne leur reproche rien de ce côté-là. C'est cette foutue manie qu'ils ont de commenter mes moindres faits et gestes, de les emberlificoter d'une espèce de fatras mystique dans lequel je n'arrive vraiment pas à me retrouver. Je sais très bien ce qu'ils me répondraient si je leur balançais une réflexion de ce genre, mais je crois bien que mon problème avec l'alcool vient de là.

Je ne me rappelle pas tout. Bien entendu, au début, on a ri comme des bossus. Dan s'est mis à imiter l'autre pauvre tache – la queue en triangle, les yeux noir transylvain, l'odeur de soufre, comme bête à cornes, il se pose là – et si j'avais eu des côtes, j'aurais été forcé de me les tenir. Puis Mike l'a rejoint dans le délire et j'ai eu droit au parfait pastiche du neuvième cercle. Après ça, je ne me souviens que de moments flous, épars, dont la trame incohérente jure avec le reste de mon autobiographie.

Ce n'est pas ça qui me chiffonne, pourtant. Lors de ces soirées improvisées, je suis toujours le seul à rire tout mon saoul. Aucun des autres ne se laisse jamais aller à déployer sa gorge, à écarteler sa mâchoire. Je comprends et j'accepte les raisons de cette déférence, mais ça commence sérieusement à me les briser menu. Jamais un mot plus haut que l'autre en ma présence, jamais de vanne au second degré. J'ai beau leur répéter que nous sommes amis avant tout, qu'ils ne risquent rien dans le privé, que leur bannissement n'est pas à l'ordre du jour... Pfff, autant causer à un cumulo-nimbus.

Ah, tiens ! Une image qui me revient : Raf nous a pondu un paradoxe. Très involontairement, ça va de soi. Il était là, à flotter en position de lotus, et roulait ses... ses « machins » selon des formes... disons « indéfinies » mais le terme qui convient le mieux, c'est « inexistantes ». Or, nous autres, hilares quoique surpris – et en ce qui me concerne, un tantinet jaloux, je l'admets – on pouvait pas nier que ces espèces de...

(de quoi, au juste, merde !)

prenaient corps sous nos yeux, puis s'inséraient parfaitement entre nos lèvres pour se fondre, selon un protocole dont je n'ai pas encore saisi toutes les subtilités, dans l'essence de nos poumons à la germination auto-spontanée. Alors évidemment, comme je peux pas vraiment me permettre de laisser traîner les paradoxes, j'ai recommencé à inventer à tort et à travers – Mike parle volontiers de « création », mais il a toujours ce côté poète à deux roubles qui m'agace tout autant qu'il me charme. « Ogives », « cônes », « garniture », « amour des plantes », autant de concepts branlants, et je passe sur les plus douteux, qui doivent leurs premiers pas aux facéties de Raf. On ne le remerciera jamais assez.

Les autres l'ont sifflé, raillé, moqué, mais personne ne niera que c'est une véritable « bombe » qu'il nous a fait « fumer ». Encore un produit qui sort de moi, et dont j'ignorais tout. Je dois apprendre à me contrôler. Si un de ces quatre matins, j'accouche de quelque chose de réellement nuisible, je me mets dedans bien profond. J'ai beau accumuler les pouvoirs, je ne me sens pas pour autant le droit d'oblitérer sur un simple coup de tête les conneries des soirs de gigue. Hélas, les notes qui précèdent indiquent que je me suis surpassé en la matière. Quand je sombre dans cet état d'ébriété totale et illimitée – puisque je refuse catégoriquement et par principe de m'imposer la moindre limite – je ne sais pas ce que je fais. Je suis capable de n'importe quoi.

Ce carnet regorge de mots nouveaux : « lumière », « jour », « nuit », « monde »... Il semblerait que mes entrailles, lorsque je les régurgite, provoquent d'étranges mutations. Mes rêves d'alcoolique façonnent des « continents », des « océans », des tas d'éléments de relief qui, à mon avis, passent très bien sur une maquette, mais qui, en dur, n'évoquent pour moi que fioritures et « vernis à ongle ». J'aurais peuplé ce monde de choses vivantes, organismes indépendants et dissemblables, différents types de créatures à la mécanique interne à la fois complexe et bancale. J'aurais créé les mots qui s'inscrivent à présent sur ce papier nouveau-né et l'encre qui les trace est une goutte de ma bile mélangée à mon sang mêlé de vomissures.

...

Il me ressemble étrangement. (…) Une anomalie. C'est ainsi que Mike se réfère à ce « curieux reflet » – selon l'expression de Dan. [Je crois qu'il est jaloux. C'est idiot. Y a vraiment pas de raison.] ...

Il incarnera mes fantasmes, mes peurs et mes rancunes.


Note pour moi-même : penser à détruire ces deux pages.

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