Le week-end était arrivé, et avec lui l'illusion du temps libre. Depuis le matin Jon sciait des branches et comptait le nombre d'arbrisseaux qu'il devrait amputer avant d'en voir le bout.

Le projet de cabane avait mûri en famille au fil de la semaine. Pour se libérer de la contrainte de l'espace disponible, et avoir une chance de tenir sans trembler la comparaison avec le palace d'architecte de la petite Laila, il avait été décidé que la cabane des Cobol serait érigée directement dans la "forêt".

L'emplacement choisi était stratégique : enfoncé dans les taillis mais proche du chemin. Il permettait un accès rapide tout en restant caché et en offrant en une vue imprenable sur les jardins de la dernière rangée de pavillons. La discrétion et la possibilité d'espionner les alentours constituaient les critères principaux et non négociables édictés par les enfants.

A force de tractations on avait quand même abandonné l'idée d'un étage mais en contrepartie on s'était engagé à ce que la cabane comporte deux chambres séparées de taille strictement identique, et une entrée secrète. Une belle surface au sol donc, et de beaux volumes, qui nécessitaient nombre de branchages que Jon s'acharnait à scier.

- Je te remplace ?

Il n'avait pas entendu Chloé s'approcher, mais la relève était bienvenue.

- Ouais je veux bien. J'ai mal aux mains.

- Ça ne va pas s'arranger, en échange il reste des noeuds à faire.

Les deux parents s'échangèrent la scie contre la cordelette, et un baiser au passage.

- Ils sont où ?

Entre eux il n'y avait pas besoin de préciser qui ce "ils" désignait.

- Sur le chemin, ils cherchent des cailloux pour décorer la cabane.

Lucille revenait justement. Des morceaux de granits coincés entre ses bras croisés et son torse elle avançait maladroitement, jetant des coups d'oeils par dessus son chargement pour voir où elle mettait les pieds.

Contournant les piquets plantés dans le sol, qui allaient constituer l'ossature de la cabane, elle déversa tout en une avalanche poussiéreuse au milieu de sa future chambre.

Jon s'était mis à fixer une première traverse à hauteur de hanche entre deux piquets. Lucille le regarda faire puis fit plusieurs allers-retours sous la barre ainsi posée, pour vérifier qu'elle n'avait pas à se baisser pour entrer dans la cabane.

- C'est bon c'est assez haut.

- Pour cette année oui, mais l'année prochaine il faudra vous en construire une autre plus haute.

- Tu le feras.

- Ah non, vous regardez comment on construit celle-là, et les prochaines c'est vous.

La petite fille jeta un oeil sur le noeud que Jon était en train de finaliser, un solide brêlage qui nécessitait encore quelques tours de frappe pour être totalement robuste.

- C'est un noeud que j'ai appris chez les scouts quand j'avais 15 ans.

- Oui je sais, c'est là où t'as connu Maman. Vous alliez dans la tente toilettes pour vous cacher.

Jon sourit, le temps qu'il se retourne vers sa compagne, leur fille était déjà repartie chercher des cailloux.

- Il faut qu'on renouvelle nos anecdotes.

- Tant qu'ils ne nous demandent pas plus de détails sur ce qu'il se passait dans la tente de toilette.

Jon mima un air offusqué et serra définitivement son noeud avant de passer au suivant.

- Tu m'as pas raconté ton nouveau projet au boulot.

- Oh, pour l'instant c'est juste le début. C'est pas très clair, ils savent pas ce qu'ils veulent, comme d'hab. Mais ils nous ont fait signer un accord de non divulgation.

- Genre t'as pas le droit de m'en parler ?

- Non, genre on s'en fout. J'en ai déjà signé pour d'autres projets, ça change rien c'est juste administratif.

Jon reporta un instant son attention sur le noeud qu'il était en train de serrer, avant de relancer.

- Et toi, ça donne quoi sur ...

- Toujours aussi compliqué.

L'irruption d'une gamine échevelée et haletante abrégea l'échange.

- Maman, Papa, venez voir ! Hector a trouvé quelque chose !