Chapitre 5 :

6 minutes de lecture

Hyde Park, Boston, Massachusetts

Fox :

Un rire dément m'échappe alors qu'un courant d'air chaud fait ondoyer les boucles brunes de l'inconnu. J'ignore d'où provient mon hilarité, probablement née de ma folie furieuse ou de l'absurdité de l'instant, pourtant, mes éclats tonitruants résonnent dans le silence de la nuit. Les larmes enfin taries, l'amusement prend le dessus mais n'attenue en rien le désir qui échauffe ma peau. Un feu ardent se répand dans mes veines et éveille mes sens qui, à l'agonie, réclament d'être satisfaits.

Les paupières plissées, John Doe m'examine en pinçant les lèvres. Les cicatrices sur son visage semblent s'animer lorsqu'il incline la tête afin de me toiser. Son ombre danse dans la nuit et m'impose une terreur subite et paisible. La peur éclot lentement et mon envie irrépressible de sacrifices se manifeste aussi brutalement qu'un coup de reins enragé. Mon âme s'enflamme, mon esprit alcoolisé s'emballe davantage que mes pulsations cardiaques tandis qu'appréhension et indolence se battent en duel. Un combat à mort qui anéantira sans l'ombre d'une hésitation la sagesse et ses lumières qui ne me sourient plus suffisamment. Si l'horreur de ses mains ne m'a effleurée qu'une seconde lorsque je me suis approché, c'est avec excitation que je réalise que sa paume autour de mon cou serait capable de me broyer la trachée. N'est-elle pas l'unique raison qui m'a poussé à avancer ?

— Pourquoi tu me suis ? m'informé-je en déglutissant.

— Ce n'est pas ce que je fais.

— Tu es pourtant partout où je pose les yeux depuis une semaine.

— Dramatique coïncidence, murmure-t-il en une respiration.

— Devrais-je m'en inquiéter ?

— N'est-ce pas déjà le cas ?

Un sourcil haussé, je le dévisage, impatient d'entendre sa voix grave et veloutée s'élever à nouveau. Son souffle brûlant parcourt mon épiderme et je l'imagine rouler sur l'extrémité humide de mon sexe dressé par sa beauté sauvage.

— Ton pouls est extrêmement élevé, si bien que tes veines dansent sous ta peau qui s'affole et frissonne. Ton diaphragme se contracte et s'étire si puissamment que tes épaules tréssautent. Je peux presque percevoir chaque battement de ton cœur.

Son index se pose sur ma joue alors qu'un frisson me recouvre l'échine. Il glisse avec une lenteur atroce vers ma nuque et termine sa course en se dirigeant sous mon oreille. Le souffle désormais court, je me pétrifie, pantois des gestes d'un inconnu au milieu d'une rue qui semble s'être endormie pour nous englober dans une bulle d'intimité. Y a-t'il que nous sur ce trottoir mal éclairé ou suis-je si fasciné et terrifié que mon cerveau éreinté brouille ma perception ?

— Boum. Boum. Boum..., souffle-t-il en marquant le rythme avec son doigt.

— Qui es-tu pour te permettre de me toucher ? articulé-je difficilement.

— La moitié de Boston t'a baisé et tu ne m'accordes pas cette insignifiante faveur ?

— Tu sembles plutôt bien informé pour quelqu'un qui prétend ne pas me suivre, réponds-je en tentant de masquer mon trouble.

— Ton regard est trop épuisé, ton corps est malmené par des assauts qui, en y songeant, font dresser ma queue. Un aveugle serait capable d'apercevoir la débauche qui dégouline de tes lèvres.

Mon être se tend alors qu'il se penche davantage vers mon visage. Son parfum qui jusqu'ici m'était inconnu, s'épanouit autour de moi et m'enivre atrocement. Une odeur de santal fait vibrer mon cœur et tressaillir mon membre affamé. La surprise m'enlace en réalisant qu'il n'a pas tort, à une exception près, ma bouche est immaculée de toute dépravation.

— Tu sembles aimer le danger, mais es-tu seulement préparé à ce qu'il t'attend ?

Sa question me prend de court et me fait reculer de quelques pas. Je peine encore à me recentrer, hésitant quant à ce qui est en train de se passer. L'alcool, la solitude et la douleur sont-ils responsables de ce qu'il se joue face à moi, façonnant sous mon regard enfiévré un homme capable de me faire chavirer ?

— Pardon ?

Un sourire en coin se dessine sur ses lèvres qu'étonnamment, j'aimerais mordre jusqu'à sang. Un pas l'approche de nouveau vers moi. Ses yeux aussi sombres que les tréfonds de l'enfer se dardent sur ma bouche entrouverte de laquelle peine à s'échapper mon souffle saccadé.

— Ça t'excite, s'enquiert-il à voix basse, de te faire pénétrer par des types de passage qui se servent de toi comme d'une poupée gonflable ? Ne crois-tu pas qu'un d'entre-eux soit susceptible de te réduire en morceaux afin de faire de ton corps de prostitué un puzzle à assembler ?

Mon sang se glace au point de me faire trembler. Malgré moi, d'ignobles images s'imposent dans mon esprit, de celles que je tente d'oublier tout en les observant jour après jour depuis d'inlassables mois. Paradoxalement, un poids invisible m'est ôté alors que la douleur s'impose en moi tel un acte d'une violence inouïe. Que fais-je de cette vie qui m'est si étrangère qu'elle ne semble plus m'appartenir ? J'en suis abaissé à si peu, à des baises brutales qui me font mourir et vivre, qui me font oublier et me souvenir de la petitesse à laquelle je suis réduit. Je suis une pute qui se lamente sur son triste sort sans pour autant se battre pour s'en sortir. Je suis une salope au cœur fragilisé qui se complaît dans le désespoir.

Du sang se répand sur ma chair, celui d'un homme que j'aimerais jusqu'à mon dernier souffle et qui m'a été si tragiquement arraché. Un corps démembré s'esquisse sous mon regard affolé et efface la splendeur ténébreuse de mon John Doe si désiré. Ma respiration se raréfie à mesure que le chaos s'étale. Une douleur innommable me tiraille la poitrine et mes tempes battent au rythme des hurlements qui s'élèvent dans un brouillard noir. Les paumes sur les oreilles, je tente d'atténuer les cris de ma folie, de celle qui me noie et m'opprime. Mes genoux lâchent, s'écrasent contre l'asphalte alors que les ombres dansent sous mes yeux. Je me débats au cœur d'un cyclone infernal nommé désespérance. Mon âme tangue et se blesse contre des épines acérées et empoisonnées, où sont passées les roses sublimes aux corolles ensanglantées ?

— Tu es si bousillé, murmure une voix à l'accent endiablé. Regarde-moi, je me revois en toi.

— Je rêve de toi même lorsque je ne parviens pas à dormir, avoué-je en sanglotant. Dis-moi pourquoi. Je ne te connais même pas.

L'objet de mes envies coupables est encore là bien que je ne l'aperçois plus. Son odeur glisse sur ma peau, son souffle est chaud, aussi brûlant que le désir et la terreur qui me submergent horriblement.

— J'imagine ton corps me brutaliser quand je suis prostré dans une ruelle mal éclairée. C'est ta peau qui claque contre la mienne quand je crie de douleur. Qui es-tu et pourquoi ne me quittes-tu pas alors que j'ignore si tu es réel ou une simple brume dans le désastre de mon existence.

— Je glisserai sous ta peau diaphane, sois-en certain.

— Maintenant, ordonné-je.

— Ton corps empeste la décadence, qui t'a baisé avant moi ?

— Cette nuit il n'y aura que toi.

— Et hier, qui était-il ? Connais-tu au moins son nom ? Et demain, qui sera‐t-il ?

Les larmes m'empêchent de le distinguer. Pourtant, je connais désormais chaque trait de son visage que je me plaîs à fantasmer.

— Je l'ignore également, ton prénom.

Un doigt se pose sur ma bouche, son touché m'électrise alors que je demeure paralysé sur le bitume. Son index passe entre mes lèvres que j'entrouvre par automatisme, puis s'appuie contre ma langue en une pression douloureuse.

— Je sais qui tu es, je connais tes idées sombres, tes envies suicidaires. Tu me désires, tu espères un peu de brutalité pour égayer tes obscures pensées, mais je ne te sauverai pas. J'attendrai patiemment que tu me supplies et je laisserai tomber le coup de grâce quand tu souhaiteras vivre à nouveau.

— Pourquoi tu me suis ? demandé-je à nouveau, le cœur au bord des lèvres.

— À bientôt, Volpe¹.

— Ton prénom ! exigé-je.

Un courant d'air m'effleure alors que je sens son corps s'éloigner. Son parfum disparaît, son souffle s'évapore tandis qu'une sueur froide me parcourt l'échine.

— Adone, déclare-t-il dans le lointain.

¹ : Renard en italien.

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