Chapitre 7 :

6 minutes de lecture

Downtown, Boston, Massachusetts

Fox :

— Je vais t'arracher les yeux ! braille Greta en pointant un doigt accusateur dans ma direction.

— Je suis navré, j'étais souffrant.

— Souffrant ou ivre mort dans un caniveau ? Tu te rends compte de l'image que tu renvoies ? C'est de mon journal qu'il s'agit ! Un faux-pas de plus, Fox, et tu peux dire adieu à ta place. Suis-je suffisamment claire ?

J'acquiesce avec nonchalance tout en avalant une goutte de café. Je croule sous la fatigue, mes yeux sont marqués de cernes noirâtres et mes membres sont si lourds que je peine à me déplacer sans avoir l'air d'un mort-vivant. Mon indolence n'est pas exagérée afin de mettre ma patronne en rogne, je suis tout simplement épuisé. Harassé de cette vie et de ces sentiments qui se heurtent en moi, si brutalement que mon coeur fait un vacarme intolérable.

J'ai erré dans les rues de Boston pendant des heures alors que le ciel était aussi obscur que mes pensées, pour calmer mes insomnies, mais surtout dans le but de retrouver la trace de ce fameux Adone afin qu'il comble mes envies emplies d'ardeur et de désespoir. Mes efforts sont restés vains. J'ai passé des journées et des nuits entières à sentir sa présence, son aura autour de moi, telle une brume vaporeuse que j'inhale à chacune de mes inspirations sans même craindre d'être suivi et épié par un inconnu qui pourrait être un psychopathe en cavale. Pourtant, il semble désormais s'être volatilisé et étrangement, je me sens esseulé. Délaissé de son regard noir qui suit chacun de mes mouvements, de son ombre qui s'élance sous les réverbères, tel un spectre venu d'ailleurs. Mon cœur s'emballe, puis se calme et s'enrage la seconde suivante lorsque je réalise qu'il est là, tapi dans un coin à surveiller mes actions et observer ma petitesse, mais, il s'est comme envolé après m'avoir adressé des mots incompréhensibles. Je peine à comprendre la raison qui me pousse à regretter la présence d'un homme que je ne connais pas. Est-ce une fascination malsaine qui s'éveille en moi, qui m'échauffe la peau et brûle mon âme ? Suis-je malade, de lui et de ses mains ? Malade des fantasmes qui se bousculent dans mon esprit en songeant à ses lèvres violacées sur mon derme frémissant ?

" Je glisserai sous ta peau diaphane, sois-en certain. "

Sa voix résonne encore. Semblable à un vynile rayé sur un tourne-disque fissuré, cette phrase vogue autour de moi. Je l'entends, la ressens, la lis sur chaque journal que j'ouvre, l'écris sur chaque article que je tente de rédiger. Il est partout et nulle-part à la fois. Comment peut-il me faire cette promesse et disparaître l'instant d'après ?

— Fox ! s'égosille Greta en faisant claquer sa tasse de café sur le bureau.

Pendant une seconde, je l'imagine exploser et répandre le breuvage brûlant sur la tonne de paperasses qui traîne ici et là. Je vois les éclats de verres s'éparpiller jusqu'à venir me lacérer la chair mais rien ne se produit.

— Tu y es allée fort, tu n'as pas peur qu'elle se brise ?

— C'est ta tête que je vais briser ! Reste concentré, l'agent chargé de l'enquête sur le tueur à la machette sera là d'une minute à l'autre.

Mon téléphone vibre dans la poche de mon jean. Je le récupère en acquiescant à ma patronne qui semble exaspérée. Un texto de Rayan s'affiche sur l'écran, il me demande comment je vais et si nous pouvons nous voir ce soir. Je l'ignore, tout comme j'ai ignoré l'appelle de Winnie il y a quelques heures. Je n'ai pas envie de parler, ni à mon plan cul ni à la serveuse du bar qui a connu énormément de mes débauches. Je suis un ami lamentable, je le sais mais je ne m'en préoccupe pas plus que ça. Ils savent comment je fonctionne. Je déteste que l'on m'accule, je viendrai à eux lorsque j'en ressentirai le besoin. Pour le moment, une seule personne m'importe et elle porte le nom d'un homme dont Aphrodite s'est éprise.

— Tu es à jour ?

— J'ai épluché tous les documents que tu m'as transmis. Ce tueur à la machette est un véritable psychopathe. Il dissémine ses victimes comme une bohémienne étale ses cartes de tarot !

— Cartomancienne.

Les sourcils froncés, je pivote vers l'entrée du bureau où se trouve un quarantenaire à la stature imposante. Son attention se darde sur moi tandis que je le dévisage en tapant du pied. Je n'ai pas entendu la porte s'ouvrir et qu'il n'ait pas annoncé sa présence me dérange.

— Pardon ?

— Ce n'est pas une bohémienne qui lit l'avenir avec un jeu de tarot mais une cartomancienne, rectifie-t-il d'un ton posé.

— Quelle est la différence ?

— Ravie de vous revoir, lieutenant, intervient Greta.

Un sourire poli se dessine sur les lèvres pleines de l'enquêteur qui progresse dans la pièce. Sa démarche est assurée, son menton est révélé mais son regard clair, bien que franc, laisse apercevoir quelques traces d'épuisement.

— Fox River, je présume ? s'enquiert-il en me présentant sa paume. Je suis le lieutenant Benson Tolken de la BDP¹, en charge de l'affaire du...

— ... tueur à la machette, le coupé-je. Il fait la une des journaux, une véritable vedette du crime.

Ma main enserre la sienne dans une poigne ferme. Ses yeux se plissent et deviennent calculateurs alors qu'il m'examine avec minutie.

— Madame Jones m'a fait vos éloges. D'après elle, vous êtes le plus à même à gérer une telle situation. J'espère que vous savez dans quoi vous vous embarquez. Nous avons besoin d'un point de vue externe et votre profil me semble fiable mais le cas du tueur à la machette est particulièrement malsain et barbare. Vous sentez vous capable de rester objectif et d'avoir le cœur suffisamment forgé pour vous rendre sur le terrain ?

— Fox est le meilleur investigateur et rédacteur de ce journal. Son expérience, qu'elle soit personnelle ou professionnelle, est en parfaite adéquation avec vos attentes, assure Greta avec vigueur.

Mes muscles se contractent alors que je me tourne lentement dans sa direction. C'est un regard meurtrier que je lui lance lorsque je l'aperçois sourire.

Connasse, ferme-la, tu veux !

— Personnelle ou professionnelle..., répète Benson.

— En effet, articulé-je durement, madame Jones vous a parfaitement renseigné.

— Qu'en est-il de ces connaissances intimes ?

— Comme vous venez de le préciser, lieutenant, il s'agit de mon intimité. De ce fait, je n'ai pas l'obligation de vous en dire davantage. Par contre, pour ce qui est de mon expérience professionnelle, j'ai commencé ma carrière de journaliste avec la rédaction d'un article concernant l'affaire du lugubrement célèbre Copycat.

Tolken opine en passant ses doigts sur sa barbe mal taillée.

— Je me souviens parfaitement de ce dégénéré qui avait développé une étrange fascination pour une poignée de tueurs en série. Il reproduisait certains des crimes de ces ordures en respectant parfaitement leur mode opératoire. Combien étaient-ils déjà ?

Fascination. Encore ce mot dérangeant. Suis-je fanatique moi aussi, d'Adone et de son accent envoûtant ?

— Trois. Trenton Chase dit le vampire de Sacramento. John Wayne Gacy, le clown tueur. Et enfin, Dean Corll, le fameux candy man.

— C'est exact. Cette saleté s'est suicidée six mois après son emprisonnement à perpétuité.

— Vous voyez, intervient ma patronne, Fox est l'homme qu'il vous faut !

— Oui, souris-je faussement, un expert en la matière.

Un sourcil haussé, le lieutenant me dévisage longuement avant de tirer une chaise afin de s'asseoir. Je l'observe, scrute ses vêtements parfaitement repassés en songeant rapidement à ce qu'il se cache en dessous. Ses épaules sont larges et carrées tandis que ses bras aux muscles développés pourraient retenir n'importe qui.

— Pas si impressionnant que mon John Doe, marmonné-je en inclinant la tête.

— Pardon ?

Son regard vert d'eau trouve à nouveau le mien alors que ses lèvres se pincent en une moue interrogative.

— Rien de pertinent, éludé-je en attrapant le dossier orange titré : Le tueur à la machette. D'après les rapports du médecin légiste, tout porte à croire que le coupable est doué pour les incisions. Le démembrement des victimes est net et sans bavure. Il fait ça avec minutie et sans aucune hésitation. Se pourrait-il qu'il exerce, dans le domaine professionnel, un métier relatif à l'utilisation d'instruments tranchants ?

— C'est une bonne remarque, approuve-t-il en acquiescant, nous avons pensé à un médecin, chirurgien plus précisément. Il découpe les corps avec aisance, il sait ce qu'il fait.

— Un chirurgien, noté-je. Vous êtes vous penché vers la piste d'un ouvrier d'abattoir ou d'un boucher ?

Benson Tolken plisse les yeux, le regard rivé sur moi et l'air pensif.

— Quel détail vous a amené à cette hypothèse ?

— Je ne sais pas. Je ne comprends simplement pas ce qui pourrait inciter un homme de soin à massacrer des pauvres gens de cette odieuse façon.

¹ : Boston Police Department.

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