Chapitre 9 :
Downtown, Boston, Massachusetts
Fox :
Les yeux à demi-ouverts, j'observe le café fumant sur la table. La tasse est ébréchée. Une fissure s'étire vers le bas, la porcelaine n'est pas loin de céder dès que je l'empoigne avec trop d'ardeur. Malgré mon allure fatiguée, mes paupières bleues et les cernes noirs qui les encerclent, je suis survolté. Mon corps est épuisé, surmené par des journées de travail et trop peu de temps de sommeil, sûrement lassé de ces excès nocifs qui m'aident à ne pas sombrer mais, mon cœur est sujet à des embardées d'exaltation depuis qu'il m'a touché. Il prend un rythme effréné lorsque, esseulé, je menace de craquer. Comme un garde-fou, dans l'ombre de ma triste existence, je m'accroche à cet inconnu tel une bouée en plein naufrage. Suis-je devenu cinglé de le désirer, de le laisser me caresser sans parvenir à l'oublier ? S'est-il déjà immiscé en moi, coulant dans mes veines comme un poison dont on ne parvient pas à guérir ?
La porte du bureau s'ouvre à la volée, me faisant sursauter, puis se ferme en grinçant bruyamment. Les salles de réunion du commissariat sont dans un état lamentable. Je me demande bien comment ils parviennent à faire leur job dans un endroit si pittoresque, c'en serait presque risible si ce n'était pas si désespérant. La peinture sur les murs craquelle, les tables et assises sont sûrement aussi vieilles que les fondations de l'immeuble et les panneaux d'affichage peinent à rester droit sur leurs trépieds. Benson Tolken expire longuement en jetant sous mes yeux un dossier duquel s'échappe quelques feuilles de papiers. Ses traits sont si tirés qu'il m'apparaissent comme figés dans du marbre. La lassitude est présente dans son regard où ne demeure aucune lueur.
— Une nouvelle victime a été retrouvée tôt ce matin sur un sentier de promenade au sud de la ville. Un joggeur nous a alerté à six heures moins le quart, la scène était d'une rare sauvagerie, m'apprend-il d'une voix sans émotion. D'après Micha, le légiste, la mort remonte aux environs d'onze heures hier soir.
— Y a-t-il un rapport avec notre dégénéré ?
— Le mode opératoire semble similaire. Le corps a été démembré, les incisions sont nettes et susceptibles d'avoir été commises avec le même outil que lors des meurtres précédents, pourtant un détail me chagrine.
— Lequel ? m'enquiers-je en m'emparant des clichés.
— Le crime n'a pas été commis dans ce parc, le meurtrier a déplacé les membres et les as positionnés d'une étrange façon.
J'acquiesce en détaillant les images lugubres que j'ai préalablement étalées sous mes yeux. Un frisson désagréable me parcourt alors que je découvre l'atrocité de la scène. Si habituellement, seuls les bras ou les jambes sont détachés du tronc, ainsi que quelques doigts et orteils coupés, notre nouvelle victime est délaissée de chacun de ses membres. La tête de l'homme est disposée sur un amas de morceaux sanguinolents et semble fixer dans le vague avec horreur. On peut presque lire la terreur sur ses traits émaciés, comme si, l'instant de sa mort était gravée sur son visage et tatouée dans ses yeux écarquillés.
Je ferme un instant les paupières lorsque les réminiscences du corps mutilé de mon frère se superposent aux photographies qui me replongent dans un passé que je tente de comprendre.
— C'est une première, fais-je remarquer. Nos victimes ont toujours été découvertes sur le lieu du crime. Pourquoi celle-ci déroge à la règle ? Ce pauvre homme a-t'il été identifié ?
— Craig Jenkins, trente-huit ans, manutentionnaire pour une entreprise de meubles en kit. Mon collègue se charge d'interroger ses proches. Pour le moment, nous ne disposons que de très peu de renseignements.
— Il s'est écoulé presque sept heures entre l'heure du décès et la découverte de notre victime. Ça signifie que notre gars a eu le temps de le démembrer, probablement nettoyé les traces de cette boucherie, déplacé le corps jusqu'au parc, disposé les morceaux avec minutie et disparaître, et tout ça sans que personne ne le remarque, énuméré-je pensivement. Est-ce possible ?
— Ça l'est, approuve sinistrement Benson. Le laps de temps est assez restreint mais pour quelqu'un d'expérimenter, c'est tout à fait faisable.
— Y a-t-il un lien entre lui et les précédentes victimes ?
— D'après nos informations, les personnes retrouvées mortes avec ce même mode opératoire ont toutes été condamnées à une peine de prison pour diverses raisons. La drogue en est la cause principale. Ce Jenkins a purgé une peine de six ans pour transport de substances illicites.
— Je vois, ce tueur à la machette serait donc possiblement mêlé à un trafic de drogue. En est-il l'instigateur ou est-il un pion sur un échiquier d'une plus grande envergure ?
— Nous n'avons pas de réponse pertinente pour le moment. Nous travaillons sur cette piste ainsi que celle que nous avons évoquée antérieurement. Les plaies sont propres, bien trop pour qu'il s'agisse d'une personne n'ayant aucune compétence à l'utilisation d'armes blanches. Le profil établi de notre tueur en série est celui d'un homme d'au moins un mètre quatre-vingt pour une centaine de kilos. Il est méticuleux et agit tranquillement, sans angoisser, comme s'il se pensait inatteignable.
— Ça me paraît cohérent, acquiescé-je, le nez toujours plongé sur les clichés. D'après ce que j'ai lu de vos comptes-rendus précédents, aucune trace ADN n'a été trouvée. Les doigts et orteils ont-ils été sectionnés ante-mortem ?
— Nous l'ignorons pour le moment, nous attendons le rapport d'autopsie complet de Micha.
— Puis-je comparer les photographies des différentes scènes de crimes ?
— Faites, m'autorise-t-il, les yeux rivés sur l'écran de son téléphone. Excusez-moi, je dois prendre cet appel.
J'opine alors que la porte du bureau se referme déjà. De nouveau seul, je m'empare du dossier et commence à trier les clichés par angle de vue. Les similarités entre les meurtres sont flagrantes, tous se ressemblent à l'exception du dernier. La tête est tranchée et le positionnement des membres est étranger au mode opératoire habituel. J'ignore ce que cela peut signifier. Les images défilent sous mes yeux durant un moment, jusqu'à ce que les victimes changent de visage. Si jusqu'ici j'ai tenté de le chasser, c'est désormais celui de Wolfgang qui apparaît sur chacune des prises. Je ne parviens pas à l'effacer. C'est angoissant, oppressant, si bien que l'odeur illusoire du sang me monte au nez. Les souvenirs dramatiques, que j'essaie tant bien que mal de mettre de côté depuis que je suis sur cette affaire, ressurgissent. Les émotions que j'ai ressenti suite à son décès, la tristesse, la peur, la colère se lèvent en moi aussi brutalement qu'un cyclone. C'est une tempête dans mon esprit, mes poumons sont en feu alors que des larmes investissent mes yeux avec acharnement.
Les paupières closes, je laisse mon front choir contre la table en bois. Une vive douleur m'assaille mais disparaît trop rapidement pour que les réminiscences s'apaisent. J'inspire profondément, tente d'éloigner les chimères qui me hantent et semblent me lacérer la peau en me focalisant sur Adone et les sentiments puissants et déroutants qu'il me fait ressentir. Mon cœur s'emballe brusquement alors que les bribes de ma jouissance d'il y a trois jours me reviennent en mémoire.
Mon coeur est sur le point d'imploser tandis que mon torse est écrasé contre un mur en brique. La poigne de mon John Doe est dominatrice alors qu'il maintient puissamment mon bras prisonnier. Son souffle brûlant érafle ma peau, je suis à sa merci et je n'en demande pas moins. J'ignore d'où il est sorti, pourtant, j'ai senti sa présence avant qu'il ne me touche. J'ai ressenti son aura, sa chaleur parcourir mon corps alors qu'il se contentait de me suivre tranquillement dans la rue. J'ai bifurqué dans cette ruelle avec l'envie de me mettre à genoux devant lui, mais désormais, ce sont ses doigts qui enserrent ma queue et me font gémir d'impatience.
" Tu vas mourir, Fox. "
Oui.
De frustration.
D'incompréhension.
De désir pour toi, Adone.
— Dois-je avoir peur ? m'enquiers-je en un soupir.
Une part de moi s'offusque face à ma stupidité. Comment puis-je poser une telle question alors que la réponse serait évidente et aberrante pour le commun des mortels ? Évidemment que je dois trembler de peur après avoir entendu ce qui semblait être une affirmation, cependant ce n'est pas le cas. Je suis en train d'agoniser, mon envie de le sentir glisser en moi jusqu'à me déchirer les entrailles me rend malade.
— Est-ce une menace ? insisté-je, pantelant.
Son érection palpite contre mes fesses, je halète, frémissant d'impatience. Si je dois mourir aujourd'hui, faites que ce soit la jouissance qui m'étouffe.
— No, bellezza, è una promessa¹, susurre-t-il d'un ton chaud contre mon oreille.
Je ne parle pas italien, mais c'est avec facilité que je déchiffre ces mots. Ma triste existence prendra-t-elle fin sous l'atrocité de ses mains ?
— Pourquoi n'as-tu pas peur ? s'informe-t-il en déboutonnant mon pantalon. L'excitation suinte de chaque pore qui te constitue, c'est fascinant et si désespérant.
Lorsque sa paume glisse sous mon caleçon, mon cœur cesse de battre. Sa peau rugueuse rencontre ma verge à la texture satinée et me procure un soulagement qui me fait gémir. Ma respiration se raréfie tandis que mon corps se liquéfie. J'aimerais bouger, donner des coups de reins afin de me masturber dans sa main mais son torse, compressé contre mon dos, entrave tous mes mouvements.
— Tu n'aspirais qu'à ça. Ton regard est hanté par la barbarie mais, au-delà de ça, je peux déceler ton obsession. Chaque partie de ton corps réclame l'apaisement. Est-ce que tu le trouves lors de tes baises brutales ?
— Pas suffisamment, me plains-je alors que son pouce appuie contre mon extrémité. Mais peut-être qu'avec toi, ce sera différent.
— Pourquoi ce le serait ?
— Je t'imaginais me remplir avant même de connaitre ton prénom, Adone. Adone. C'est beau, j'aime la douceur qu'il répand sur ma langue quand je le prononce. Toi aussi, tu aimes l'entendre sortir d'entre mes lèvres ?
— Répète-le.
— Adone.
— Encore !
Son poignet s'active enfin, ses doigts coulissent sur mon érection alors qu'il frotte la sienne contre mes fesses. Sa poigne est ferme, moins que celle qu'il exerce toujours sur mon bras, mais suffisante pour me faire vriller. Ma tête s'échoue sur son épaule alors qu'il me caresse avec aplomb. Mon regard tombe dans le sien, tempétueux, aussi profond et sombre que l'abysse.
— Adone...
— Tes râles de plaisir sont aussi beaux que ta peau. Elle est parfaite, si bianca, comme la neige.
Je ferme les yeux, envahi par un sentiment de plénitude, puis les rouvre en réalisant que je préfère plonger dans son abîme plutôt que dans l'obscurité qui tapisse mes paupières.
— Regarde-moi, tu as raison. Si je hantais déjà tes nuits, désormais je vais dompter ton esprit.
Sa voix me fait chavirer, son accent brûlant et chantant me rend fébrile. Pourquoi suis-je si faible dans ses bras ?
— Tu veux jouir, ?
— Oui, soufflé-je entre deux inspirations chaotiques.
— Alors dis le.
— Fais-moi jouir.
Son sourire se dessine contre ma gorge alors qu'il y appose ses lèvres. Dans l'immédiat, je me fiche bien de prendre mon pied dans une ruelle alors que la nuit n'est pas complètement tombée, je désire seulement ressentir la brûlure qui caractérise le plaisir brutal. Je n'ai jamais apprécié les préliminaires, les parties de jambes en l'air me semblent fades et sans saveurs, elles me servent à oublier, à m'égarer. Pourtant, sa paume qui enserre ma queue me rend plus désireux que jamais. Est-ce le danger qui émane de lui qui m'excite au point de divaguer ou simplement le fait d'exister, enfin, de me sentir vivant contre son corps fort et puissant ? Il serait susceptible de me briser les os, et c'est peut-être ce qu'il a fait de mon bras qu'il n'a toujours pas lâché, mais, je désire qu'il me baise jusqu'à ne laisser de mon âme qu'un amas de chair écrasée.
Ses dents se plantent dans ma peau, si férocement qu'un cri de douleur m'égratigne les cordes vocales en même temps qu'un filet de sang s'écoule le long de mon cou. Mes muscles se tendent, mon cœur s'emballe dans ma poitrine brûlante alors que mon plaisir explose entre ses doigts. Ma jouissance est si intense qu'elle me fait vaciller.
— Adone...
— Je suis là, chuchote-t-il à l'orée de mon visage. Je vais où tu vas. Je respire le même air que toi, Volpe, en permanence.
Il hume mon parfum, délaisse mon membre pour apporter ses doigts près de son visage. Mon souffle disparaît alors qu'il lèche lentement son index duquel dégouline ma semence.
— Tu es à moi.
¹ : Non, beauté, c'est une promesse.
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