2. Début de l'enfer
— Tu n'as pas le droit ! Comment as-tu osé prendre une décision à ma place ?!
Il affiche une expression malheureuse. Il pleure, presque, ses yeux brillent.
— Je suis désolé, mais c'est la seule solution, et tu le sais aussi bien que moi !
— Non. Je ne le ferais pas. Si tu me fais ça, jamais je ne m'en remettrais !
Et c'était vrai. Ce n'était pas du chantage. Je le savais, au plus profond de moi. J'avais déjà vécu de bien sombres épreuves à cause de pervers narcissiques à la chaîne, dont un qui m'avait poussée à faire un suicide moral qui a duré 6 mois interminables. Duquel je me suis relevée, sans aucune aide. Je me souviens un jour de m'être réveillée dans ma voiture, après un énième jour à fuguer de chez mes parents parce que je ne supportais plus cette pression qui me tuait à petits feux. Comme tous les jours, j'attendais que le temps passe, le cerveau auto anesthésié et saboté par moi-même, pour ne plus penser, ne plus réfléchir, ne surtout plus rien ressentir. J'errai, telle un fantôme.
Jusqu'au jour où je me suis soudain réveillée sur ma banquette arrière et que, perturbée, je me suis sincèrement demandée qui j'étais. Avoir oublié mon prénom et mon âge m'avaient affolée, je me suis efforcée de m'en souvenir, en décidant que cela suffisait : qu'il était temps de me relever, que je ne pouvais pas continuer comme ça.
Et lui, qui me fait face en cet instant, est alors apparu dans ma vie un an ou deux plus tard. Et m'a convaincue que j'étais la femme de sa vie, après quelques temps à se fréquenter, même de loin, en me faisant me sentir aussi merveilleusement bien que jamais.
Mais aujourd'hui, mon amour pour lui se brise en mon coeur et j'ai mal. J'angoisse, j'ai peur, j'ai mal. Si mal que je m'effondre à genoux à ses pieds dans le hall étroit de cette maison que nous louons. Je pleure à torrents.
Lui aussi il pleure.
— Tu es forte. Tu surpasseras cette épreuve, j'en suis sûr.
— Non... Non ! Je te jure que non, celle-là, je ne m'en remettrai jamais, je le sais !
— Mais si... tu es très forte, tu sais.
Je finis par le regarder.
— Ok, tu as raison. Tu as le droit de ne pas vouloir d'enfant, et je n'ai pas le droit de t'en imposer. Mais toi, tu n'as pas le droit de m'imposer d'avorter ! Alors maintenant, choisis, et honnêtement ! Soit on se sépare, car comme dit, je n'ai pas le droit de t'imposer cet enfant. Si on reste ensemble, c'est pour l'aimer !
Il n'écoute pas. Et me voilà traînée de force dans sa voiture.
Il pleut à torrent. La moitié des routes sont inondées, des branches et des troncs d'arbre barrent les routes. Nous faisons des détours énormes. Au fond de moi, j'espère que ça le décidera à rentrer, à céder.
Il ne cède pas. Sa volonté est d'acier, quitte à nous mettre en danger. Nous faisons ainsi plus d'une heure de route et nous arrivons chez la sage-femme.
Je pleure.
— Je ne veux pas...
Il pose sa main sur ma jambe et me regarde, larmoyant.
— Je sais, mais il le faut, tu le sais bien. Tu sais, je suis un peu croyant, et j'espérais un signe qui me dise que je me trompais.
Je le regarde avec rancoeur. Je ne suis pas croyante, mais...
— Et tout ça, ce n'est pas un signe, peut-être ?!
— Ça me fend le coeur autant qu'à toi.
Il m'emmène. Je n'en reviens pas. Les doutes m'assaillent. Vais-je réussir à surpasser ? Mais en même temps, je suis certaine que non.
J'entends à peine la sage-femme, hébétée. Après examens à l'hôpital une semaine plus tôt, on m'a dit que j'étais enceinte de 7 semaines. J'ai détesté cette auscultation. Une femme austère m'avait auscultée et m'a regardée comme si j'étais une cassos. Quel mal y a-t-il à vouloir un enfant ? Pourquoi ne pourrais-je pas, moi aussi, avoir droit à ce bonheur ?
J'ai le médicament dans la main. Ce minuscule comprimé qui changerait ma vie. Je suis figée. Une alarme se déclenche en moi, mon sixième sens, mon instinct qui me dit que je risque de faire la pire erreur de ma vie.
Oui, c'est ça. Il est juste stressé, angoissé, et l'exprime très maladroitement. Il n'y a pas de raisons qu'il déteste ce bébé, après tout. Nous apprendrons. Moi aussi, je n'y connais rien. Mais je veux bien relever ce défi, même si accoucher m'angoisse à un point extrême.
La sage-femme pose une main sur la mienne et reprend le cachet.
— Je pense que vous avez besoin de quelques jours de réflexion. Rappelez-moi dans une semaine si vous comptez toujours procéder à l'IVG.
Nous rentrons, dans un silence tendu, à la limite du supportable.
Il m'en veut, mais moi, je suis soulagée. J'en suis sûre, désormais : je l'aurais regretté à vie et je me battrai pour ce bébé qu'on me reproche. Je n'aurais jamais supporté de vivre avec un "Et si je l'avais gardé ? Aurais-je réussi à l'avoir ?". Je ne voulais pas prendre le risque de ne plus jamais en avoir derrière.
Que l'on se le dise, je soutiens l'IVG. Mais j'estime ce droit uniquement réservé aux femmes. Et ce droit a failli m'être enlevé. En inversé, mais retiré quand même. Et m'en rendre compte me brise.
Pourtant, je me dis encore qu'il a fait cette erreur par amour pour moi. Après tout, cela fait 3 ans que l'on vit dans le bonheur. Pourquoi cela se passerait mal ? Puis il a décidé de rester avec moi. Cela signifie donc qu'il a accepté ce bébé, non ?
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