Pour quelques kilos d'iridium

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Le vaisseau Jack Vance se trouvait en orbite géostationnaire.
Le saut d'hyperdrive l'avait d'abord placé à proximité de la planète puis poussé à portée de son attraction, comme un navire glissant sur son erre. Au travers de la baie du poste de pilotage, la terre prenait nettement le pas sur les océans. Au travers d'une couche nuageuse clairsemée, de longues bandes ocres, zébrées d'arêtes rocheuses parfois piquetées de forêts se déroulaient jusqu'à l'horizon. Vers le quarantième parallèle, une chaîne de montagne crevait le sol, formant une barrière naturelle avec le nord d'altitude plus élevé et largement recouvert de glace.


Dans un salon attenant au poste de pilotage, Jarol, Maury et Khadrani préparaient l'expédition au sol. Jarol, le capitaine, un grand brun longiligne au visage osseux, parlait avec animation. Khadrani, la pilote l'écoutait, l'air perplexe et les bras croisés. Maury, le mécanicien, cuistot et coiffeur à l'occasion, la tenait par l'épaule dans un geste d'apaisement. Celle-ci leva la main pour interrompre Jarol.
– Je ne nous ai pas emmenés jusqu'ici pour faire demi-tour, mais…
Elle reprit une grande bouffée d'air.
– Tu le dis toi-même, nous y sommes ! répliqua Jarol, un grand sourire enjôleur sur les lèvres.
– C'est un monde preTech ! Tu prends des risques et je dirais que ça devient une habitude chez toi !
Maury s'écarta d'elle et prit part à la conversation :
– C'est sans risque, Khadra ! De l'argent facile !
Il était enthousiaste comme toujours. Il adorait suivre Jarol dans ses frasques.
– PreTech ou pas, nous avons besoin de nous refaire ! reprit Jarol.
– On met les robots au boulot et à nous l'iridium !
Agacée, Khadrani leva les bras dans un geste de dépit.
– Comme tu veux. Mais si tu me fais perdre ma licence je te tue !


Khadrani se mit à son poste et décrocha de l'orbite. L'entrée dans l'atmosphère avec la surchauffe due au frottements n'inquiétait pas la pilote, par contre, le vol restait un moment délicat. La manœuvre consistait à faire voler une pierre dont la tendance bien connue était de tomber directement vers le sol. L'engin utilisait ses puissants réacteurs afin de décélérer.
Le Vance se posa pourtant sans heurt, au bout d'une plaine herbeuse. C'était le matin. À l'est, un soleil unique débordait sur l'horizon dans un mélange d'or et de carmin.
– La terre au commencement des temps ! soupira Khadrani, rêveuse.


Jarol et Maury, moins attendris, s'apprêtaient à quitter la salle de pilotage. Ils emportaient de l'outillage ainsi que trois robots ouvriers sortis des soutes.
À travers la baie, sur la gauche, une colline rocheuse dessinait un relief doux, gagnant en marches successives un modeste sommet.
Sur la droite, vers le sud-est, une forêt parsemait la plaine qui lui cédait progressivement la place.
Seule ombre à ce portrait idyllique, la gravité un peu forte de la planète obligeait à l'effort.
– Bon si tu t'ennuies, tu nous causes, dit Maury en soufflant un baiser volant.


La rampe s'abaissa et le petit groupe débarqua enfin. De hautes herbes ondulant sous une légère brise arrivaient à mi-cuisses. Les deux hommes portaient une combinaison de protection transparente. Une ceinture large, ornée de boutons rectangulaires, leur ceignait les reins, tandis qu'un pistolet laser pendait à leurs côtés.
Les lourds robots portaient sans effort les mallettes et traînaient une foreuse montée sur roues.
C'était le début de l'automne. L'air riche en oxygène, saturé de senteurs végétales, tournait la tête.
Jarol transmit oralement des instructions à un robot soldat, le chargeant de garder le vaisseau et convenant d'un mot de passe.
– Pourquoi un mot de passe ? railla Maury. Tu lis trop de romans historiques !
Jarol haussa les épaules.
– En cas de black-out, on ne sait jamais…
Il suivait les indications d'un appareil qu'il tenait en main. Il désigna un point en direction des collines.
– C'est par là, ne traînons pas, on …
– On ne sait jamais ! enchaîna Maury que cette sortie rendait plus disert qu'à l'accoutumée.


Après une heure de montée, la petite troupe arriva à l'endroit où les scanners du Vance avaient repéré le gisement d'Iridium. Les robots se mirent aussitôt à la tâche et installèrent la foreuse laser. Une fois branchée sur le flux de micro-ondes du vaisseau, elle commença à attaquer la roche au-dessus du filon.
– Une tonne suffira, dit Jarol. Il ne faudrait pas trop attirer l'attention.
– Dommage, soupira Maury, cinq tonnes ne nous feraient pas de mal !
– Une tonne pas plus, Maury, n'insiste pas. J'ai acheté un contrat de forage sur un groupe d'astéroïdes de la ceinture externe du système. Une arrivée trop importante d'Iridium sur le marché mettrait les autorités en alerte. Tu penses bien qu'ils feraient tout de suite le lien avec cette planète.
– Je te trouve un peu timoré, c'est tout…
Le visage de Jarol s'empourpra.
– Dyson ne m'a pas confié le Jack Vance pour qu'il finisse saisi par la régulation des mines !
– Ne te fâche pas, mais Dyson, lui, n'aurait pas hésité !
– Je suis le Capitaine ! La discussion est close.
Le bip du communicateur vint mettre un terme à la conversation.
– Oui ?
Couvrant la voix de Khadrani, des bruits d'explosions sortaient du haut parleur.
– Khadrani ?!
– J'ai dû décoller … Je vais planquer le vaisseau au … 49.49, -2.51. Je vous recontacte…
La communication fût interrompue.


Jarol et Maury quittèrent à la hâte leur mine improvisée, ne chargeant les robots qu'avec quelques kilos de minerai. Malgré la pesanteur accrue, ils pressèrent le pas afin d'atteindre le plus rapidement possible le lieu de rendez-vous. Ayant traversé une courte zone forestière, ils s'arrêtèrent au bord d'un lac. La berge constituée de roches moussues et de dalles branlantes invitait à la prudence.
Courbés, les mains en appui sur les genoux, ils reprennaient haleine sous le regard indifférent de leurs acolytes d'acier.
Maury examinait les alentours avec une moue dubitative.
– Curieux ! Bizarre pour une récupération. Pas d'erreur dans les coordonnées ?
Jarol secoua la tête en signe de dénégation.
– Nous y sommes à cinquante mètres près.
– C'est peut-être sous l'eau, plaisanta Maury.
Agacé, Jarol prit contact avec l'astronef.
La voix de Khadrani sonnait fort et clair.
– Tout va bien ? Pas de blessures ?
– Nous n'avons rencontré personne. Qu'est-il arrivé ?
– Il y a eu contact ! Une espèce autochtone agressive.
Les questions se bousculaient dans l'esprit de Jarol. Un contact avec une espèce pré-tech constituait une circonstance aggravante à leur présence sur la planète.
– Quelle est la profondeur du lac ? Le fond est stable ? questionna Jarol.
– Je vais pouvoir me poser. Je vous ai en visuel. Je suis là dans 5 minutes !
– Entendu, nous…
Jarol s'interrompit au milieu de sa phrase.
– Que se passe-t-il ? demanda Khadrani inquiète.
Jarol tenta de masquer son anxiété.
– Nous avons un contact également, Khadrani. Reste au large !
– Leur tech est sommaire : quelques bouches à feu, des fusils primitifs, rien de bien inquiétant. Précisa, Khadrani. Mais éloignez-vous tout de suite, nous sommes totalement hors-la-loi ! Tant pis je vais descendre !
– Ceux-là ne sont pas armés ! Reste à l'écart !


Les autochtones au nombre d'une trentaine ne paraissaient pas dangereux. Ils ressemblaient à des peluches animées. Un pelage court et dru, allant du jaune soufré à l'orange éclatant, recouvrait la totalité de leurs corps à l'exception de leur faces, rondes aux grands yeux. Ils se déplaçaient sur deux courtes jambes et leur torses comportaient deux paires de bras.
Surpris, un peu attendris par l'apparence des habitants de la planète, les deux hommes se laissèrent toucher docilement. Cependant, les arrivants s'agaçaient du contact avec le champ de force des combinaisons. Certains retiraient vivement leurs mains glabres, étonnement humaines, piqués par les décharges statiques.
Khadrani, toujours en communication, reprit la parole.
– Respectez la procédure ! Éloignez-vous d'eux !
– Ils sont inoffensifs, ne t'inquiète pas !
Des rires montèrent à travers la connexion audio.
– Eloignez-vous ! Je vais ouvrir le feu pour les effrayer.
Alors que Jarol, conscient du rappel à l'ordre de Khadrani, allait obtempérer, Maury se laissa emmener par la troupe des peluches.


Il leur emboîta finalement le pas, oubliant Khadrani, le vaisseau et tout le reste.
Le groupe s'enfonça dans la forêt et disparu bientôt dans une partie plus dense.
Dans le ciel, la pilote les suivait toujours, à l'aide des signaux de leurs ceinturons.
Hors de vue, le Vance vira de bord et prit la direction de la plaine, lieu du premier affrontement.
La voix de Jenny, l'IA de bord, sortit des hauts-parleurs.
– Jarol et Maury ne sont pas dans leur état normal. Leurs ondes cérébrales indiquent qu'ils éprouvent une euphorie sans objet. Si tant est qu'il existe un état normal chez les humains.
– Peux-tu préciser ta pensée, en oubliant ton humour douteux ?
– Je pensais qu'une plaisanterie détendrait l'atmosphère. Je vous demande d'excuser ma maladresse.
Dans un grand fracas, le Vance venait d'atterrir.


Quelques instants plus tard, Khadrani sortit, accompagnée du robot de combat.
Au milieu d'une dizaine de véhicules à chenilles, des tentes avaient été montées. Des êtres assez semblables aux autochtones du lac mais à la toison brune ou noire pointaient des canons montés sur deux roues, dans sa direction. Sur son ordre, le robot détruisit un arbre situé non loin du campement. Le rayon sortit de son avant bras, embrasa sa cible immédiatement la réduisant en cendres en quelques secondes. Le spectacle arracha des cris de désarroi à la petite armée. Les soldats furent impressionnés mais tinrent leur rang.


A mesure que la distance diminuait, les silhouettes se précisaient. Tous portaient des vêtements usagés, hétéroclites et manifestement peu adaptés à leur morphologie. Des ouvertures avaient été pratiquées afin de laisser passer la seconde paire de bras. Tous portaient des armes rudimentaires. Alors que l'écart entre les deux camps s'était réduit à moins de trente mètres, l'un d'entre eux épaula son fusil et fit feu sur Khadrani. Le projectile explosa sans dommage contre son champ de force individuel. Elle répondit à la question muette de son Méca par la négative et celui-ci abaissa son avant-bras, tout en prenant soin de se placer devant sa maîtresse.


Arrivée à moins de dix mètres, elle stoppa le robot et s'assit devant lui. Son visage dépassait à peine les hautes herbes de la plaine. Elle se sentit un peu ridicule, inquiète que son geste soit pris pour de la faiblesse, mais décida de poursuivre sa stratégie d'apaisement.
Elle vérifia une dernière fois sa liaison neuronale avec l'IA de bord.
Jenny ? émit-elle en pensées.
Ici Jenny, voulez-vous un flux apaisant ? Je vous sens nerveuse.
S'il ont les mêmes capacités hypnotiques que leurs collègues du lac, j'aurais surtout besoin d'augmenter ma résistance à la suggestion. Si je perds le contrôle, assomme-moi et fais moi ramener par la sentinelle.
Face à la placidité de l'étrangère, un soldat confia son arme et s'approcha prudemment. Comme Khadrani lui faisait signe de s'asseoir, il s'accroupit devant elle. Il commença à lui parler dans une langue inconnue.
Manoeuvrant discrètement un curseur de son ceinturon, elle amplifia ses ondes cérébrales et les propulsa en direction de son interlocuteur. Celui-ci fut réceptif au-delà de ses espérances. Un flot d'images et de sons passèrent alors d'un esprit à l'autre. Ces êtres se désignaient comme les Himens, Ils étaient originaires de la chaîne de montagnes située au nord et vivaient dans des conditions difficiles. Ils enviaient les Voms des plaines et leurs conditions de vie, plus faciles.
L'Himen, du nom de Ciffan, chef de la troupe se remit à parler
– Êtes-vous venue pour remettre en question nos accords ?
L'IA traduisait ses paroles au fur et à mesure avec un léger décalage. Khadrani pouvait déjà juger de la qualité de la traduction car l'échange mental avec Ciffan lui avait déjà appris les bases de leur langage.
– J'appartiens à la même espèce que vos visiteurs mais je ne suis pas dans leur camp. Je suis descendu des étoiles pour … elle hésita … connaître les Himen…
Le chef fit une grimace qu'elle ne sut pas interpréter.
– La visiteuse…
– Khadrani…
– La visiteuse Khadrani est très puissante, avec son serviteur de fer et son oiseau géant et pourtant elle ment très mal !
À ce moment, elle comprit qu'il riait.
– La visiteuse Khadrani est venue pour la même raison que les autres maîtres, elle veut les pierres de puissance !
Comme Khadrani piquait un fard, il poursuivit.
– Les autres visiteurs nous ont offert des armes pour soumettre les Voms en échange des pierres de puissance. Qu'avez-vous à nous offrir de plus ?
Khadrani reprit contenance. Ne sachant comment expliquer simplement la notion de radioactivité, elle improvisa.
– Les pierres de puissance sont dangereuses pour les visiteurs aussi bien que pour les Himens. Il ne faut pas les toucher avec les mains ! C'est le travail des machines !
Elle désigna le robot.
Elle ouvrit son esprit et Ciffan sut qu'elle ne mentait pas.
– Si vous m'aidez à récupérer mes amis aux mains des Voms, je vous donnerai une médecine pour vous soigner et je ferai punir les visiteurs qui vous ont menti ! Je peux aussi faire peur à vos ennemis ! Ciffan se mit à rire à nouveau. Devant la surprise de l'étrangère, il s'expliqua.
– Faire peur aux Voms est notre travail. Nous ne voulons pas leur faire du mal. Elles sont les femmes de notre espèce ! Nous voulions seulement les impressionner afin qu'elles acceptent de renouer avec nous et de nous pardonner nos brutalités passées.
– Il me semble que la force ne nous apportera pas le pardon mais la crainte !
Le soir même, une assemblée fut organisée entre les Voms et les Himens. Les humains furent relâchés à la condition qu'ils quittent la planète.


Jarol et Maury reprirent leurs esprits beaucoup plus tard. Le Vance se trouvait à proximité des astéroïdes pour lesquels Jarol avait acheté une concession de minage.
– J'ai prévenu les autorités et ces escrocs, ces sales voleurs d'Iridium ont été appréhendés !
Jarol bafouilla.
– Nous ne valons pas mieux qu'eux !
Khadrani se mit à rire.
– À votre place j'installerais le matériel de minage, histoire de justifier notre cargaison d'Iridium quand l'équipe d'inspection débarquera !
Maury ouvrit grand les yeux.
– Tu as pu récupérer le minerai ! Combien Khadrani ? Combien y en a t-il ?
– Une quinzaine de kilos.
Et devant sa déception.
– Quinze kilos pour un astéroïde, ce n'est pas si mal !

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