Le voyageur imprudent

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Sur le thème du voyage temporel, en hommage à Barjavel

Georges Valmont n'avait qu'une hâte, sortir dans le jardin. Lorsqu'il ne s'y trouvait pas, toutes ses pensées étaient tournées vers ce lieu. Certes, il devait le partager avec les autres, mais ceux-là ne comptaient pas. Ils vaquaient à leurs occupations futiles. Lui, il poursuivait l'œuvre de sa vie ?

– J'ai tourné d'un quart de tour à droite et sauté deux fois, effectué une roulade avant. Et après ?

Il parlait tout seul, cela l'aidait à se concentrer. Il retenait le parcours. Jamais il n'aurait pris le risque de prendre des notes.

– Pour me faire voler mon secret ? Pas question !

Il se leva et quitta son lit. La porte de sa chambre s'ouvrit au moment même où il allait l'atteindre.

– Le timing est parfait ! Comme toujours !

La ponctualité participait de la précision et cette qualité était indispensable à ses travaux. Il sortit, et rejoignit le couloir central. L'affluence était telle qu'il dû se frayer un chemin jusqu'à la grande porte du bâtiment. Les autres scientifiques le jaugeaient mais il n'en avait cure.

– Valmont, vous n'êtes qu'un énergumène plagiaire ! lui lança un grand homme maigre à la figure osseuse, en partie cachée par ses cheveux noirs en broussailles. Il le repoussa vivement.

– Bouchard ! Vous ne découvrirez jamais le grand secret !

La presse, le bruit des piétinements, les interpellations, tout ce brouhaha sordide, l'angoissait. Il déboucha enfin dans le jardin et mis aussitôt à profit l'espace pour retrouver le chemin.

Un couple le surveillait depuis la terrasse. L'homme prenait des notes qu'il horodatait en consultant fréquemment sa montre.

– Je me demande si nous ne prenons pas trop de risques avec le Professeur. s'inquiéta la femme.

Ils appelaient toujours Valmont ainsi, peut-être impressionnés par son acharnement à poursuivre ses recherches.

– Nous en avons déjà discuté, Mélanie. Il faut qu'il aille jusqu'au bout du processus.

– Et si nous le perdions ?

Son compagnon eut un sourire moqueur, secouant doucement la tête en signe de dénégation.

– Il n'ira pas loin ! J'ai ma montre et je n'ai encore remarqué aucune distorsion spatio-temporelle !

– Vous riez ! Moi je m'inquiète pour sa santé.

Pendant ce temps, Valmont poursuivait sa lente progression, à la manière d'un adepte du tai chi déroulant sa série centimètre par centimètre. La comparaison ne tenait, cependant, pas longtemps. En effet il s'interrompait régulièrement, étendant ses bras, déployant ses mains aux doigts effilés, à la manière d'antennes.

– Un quart de tour à droite, deux sauts…

– Remarquez Benjamin, ses gestes ne varient pas. Il ne se trompe jamais. Maintenant il va faire une roulade avant ! Il va y arriver !

L'homme la reprit vertement.

– En ce qui le concerne, je crois à l'adage : Ce n'est pas la destination qui compte mais le voyage ! Que deviendrait-il s'il arrivait au bout de sa logique ?!

Valmont venait de disparaître.

– Ah zut ! reprit Benjamin. Où est-il passé ? dit-il irrité.

– Il n'a pas pu aller bien loin, tu l'as dit toi-même ! se moqua-t-elle.

Le professeur sentit le sol se dérober sous ses pieds. Un vertige le prit et lorsqu'il recouvra ses esprits, le jardin avait disparu ! A la place se tenait une large place dallée. Elle était entourée de gradins de pierres taillées et des hommes et des femmes, revêtus de toges, le regardaient avec étonnement. Il ne fût pas surpris, car il œuvrait depuis des années pour cet accomplissement. Il était enfin parvenu à trouver le chemin vers le passé. Ses mouvements inlassablement répétés, lui permettaient désormais de voyager dans le temps !

Était-ce un auditorium ? Il reconnut un concile, ces assemblées de citoyens romains qui discutaient de politique.

L'orateur que son apparition avait interrompu, s'adressa à lui en latin. L'accent le surprit au début. Les "R" étaient moins roulés que ce qu'il avait appris lors de ses séjours au sein de groupes de latin vivant. Il lui répondit et à sa demande prit la parole devant l'assemblée romaine.

– J'ai fait un long voyage et j'ai de nombreux secrets à vous révéler…

Son discours, captivant, les entraîna tous vers une heure avancée de la nuit. Il fût invité à dormir dans une des villas des spectateurs.

Il s'endormit, bientôt heureux d'être enfin ce savant accompli qu'il avait toujours rêvé d'être. Il n'avait jamais renoncé et il avait gagné, lui le premier voyageur temporel !

Il se réveilla dans sa chambre et, découvrant qu'il était revenu à son époque, se mit à hurler et à se taper la tête contre les murs.

Immédiatement, les infirmiers firent irruption et le maîtrisèrent. Les deux médecins entrèrent à leur tour.

– Comment m'avez-vous repris ? criait-il à leur adresse. Vous n'aviez pas le droit, pas le droit… Sa voix allait decrescendo.

Le docteur Mélanie Brévon se précipita à son chevet.

– Il entre en catatonie ! Je vous l'avais dit Benjamin. Nous l'avons laissé aller trop loin. Il ne reviendra pas.

Le visage figé dans un état de stupeur, le regard fixe, le professeur murmurait.

– Je reviens, mes amis, me voilà ! disait-il en latin.

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