Titan, station Prométhée
Marc se réveille et se lève rapidement. Il n'aime pas traîner. Il faut toujours qu'il se dépêche, même quand il n'a rien à faire. Il ressent une urgence, comme s'il fallait se hâter de vivre pour accomplir davantage. Il est comme ça. Il quitte sa chambre, vêtu de sa chemise de nuit et se dirige vers les douches. Il passe par le couloir, qui s'allume à son passage. Cette débauche d'énergie, l'agace.
– Gala, baisse la luminosité de deux unités.
La lumière s'estompe. Le sol, le plafond, les murs, fondus dans la même teinte marron foncé, perdent un peu de leur crudité. Des câbles filent en haut des murs, par lots de cinq. Pas une trace de poussière, juste quelques marques d'usure ternissent par endroits la froide uniformité des lieux. Le couloir est aveugle, aucune fenêtre ne s'ouvre vers l'extérieur. Marc s'est habitué. Ici, dehors est synonyme de danger, Il faut se calfeutrer. Les hommes ne sont pas les bienvenus. Marc pousse une porte et rentre dans la salle de bains. Le plafond s'allume. Il s'irrite à la vue du porte-serviettes vide.
– Gala !
– Oui, Marc ? une voix féminine, douce et claire, résonne sur sa droite.
– J'avais laissé une serviette là.
Il désigne de la main le porte-serviettes vide.
Un brin sentencieuse, Gala reprend :
– Modifier le règlement sanitaire demande des qualifications que vous ne possédez pas. Voulez-vous que je vous oriente vers la formation adéquate ?
– Tu n’as pas besoin de t’occuper de mon linge ! la coupe Marc, sèchement.
Marc, passe la rangée de douches et se rend à l'autre extrémité de la salle d'eau, ouvre les placards et s'empare d'une serviette propre. Il la porte à son nez, la renifle, puis écœuré la jette par terre.
– Ça pue le désinfectant ! Tu peux comprendre ça ? Je ne supporte plus cette odeur ! Ni ta manière de tout régenter !
– L'isolement commence à vous porter sur les nerfs, Marc. Nous allons devoir en parler. Quand vous vous serez détendu.
La voix, douce et policée, exprime une sollicitude peinée, un rien contrariée.
Marc n'y tenant plus, sort précipitamment de la pièce.
– Je peux vous aider …
Il n'entend qu'un murmure, haché par le balancement de la porte, provenant de la salle de bains.
– Quand vas-tu me tutoyer ?
Gala lui répond sur sa gauche, derrière son épaule.
– Je me dois de garder une distance avec vous. Il y va de votre santé mentale comme de la mienne.
– Cent fois, j’ai entendu ce discours ! Tu tournes en rond … Tu boucles !
Marc pousse la porte de sa chambre.
– Nous en avons déjà discutés … Je suis capable de ressentir votre solitude. À force de vous côtoyer, elle est, en quelques sortes, devenue la mienne.
Avec une grimace de dédain, Marc reprend :
– Ma chère Gala, il convient de conserver nos distances … Il ne sied pas à une dame de demeurer seule dans la chambre d'un homme, resté seul depuis … Trop longtemps !
– Nous en avons parlés, Marc. Je regrette, je ne peux rien pour vous.
– Oh, espèce de … Sortez !
Marc soupire. Il va s’asseoir à son bureau et allume l'écran virtuel d'un geste, par habitude.
L'avatar de Gala, lui souhaite la bienvenue sur la page qui s'affiche.
Marc tend un doigt menaçant.
– Je ne veux pas t'entendre !
Il se plonge dans les comptes-rendus de fonctionnement de la station. Les envois de diazote liquide ont pris du retard. L’un des méthanier, endommagé, ne pourra pasp prendre l'espace. Un peu plus tard, un autre jour, le sol, les murs se mettent à trembler. Le phénomène ne dure que quelques secondes. Marc a retenu sa respiration tout du long. Il a roulé par terre, déséquilibré. Il venait de se préparer un repas. Celui-ci répandu, macule le sol du réfectoire.
La sirène d'alarme retentit tandis que pulse une lumière rouge. Cette fois, il ne s'agit pas d'un exercice. Marc sent un stress monter en lui qui réveille son esprit engourdit par la solitude et la répétition morne des jours. Il se relève et se hâte vers la salle de contrôle.
– Gala, stoppe les alarmes et donne-moi un statut.
La voix de Gala laisse percer son anxiété ce qui a pour effet immédiat de troubler son unique interlocuteur.
– La cellule de production d'oxygène et plus généralement tout ce qui touche à la survie organique a été touchée par la secousse sismique. J'ai envoyé les unités de réparation à l'extérieur, changer quelques pièces, mais je manque de ressources.
Marc qui croyait que la solitude était tout ce qu'il avait à craindre, sent le ciel lui tomber dessus.
– Comment peux-tu manquer de ressources ? Les imprimantes ne peuvent-elles pas recréer n'importe quelle pièce ?
Marc est arrivé dans la salle de contrôle. Avant l'accident qui a coûté la vie au reste de l'équipage, c'était un lieu de rassemblement, dés qu'une question importante devait être débattue. Il aurait tout aussi bien pu consulter une synthèse de la situation sur le système de sa chambre, mais ça ne lui serait même pas venu à l'esprit. Il avait conservé les mêmes habitudes.
– Vous allez devoir sortir, lui dit Gala d'une voix peinée.
– Et pourquoi donc ? Je n'ai plus été à l'extérieur depuis l'accident. Les robots sont là pour ça !
– Je suis désolée de vous infliger ça. La pièce qui nous manque est hors de portée d'une imprimante. Vous allez devoir rejoindre Mnémo.
Marc est resté debout et regarde les écrans sans les voir, à la recherche de Gala dont la voix semble venir d'au-delà des murs.
– Mnémo ? De quoi parles-tu ?
– Vous ne connaissez pas votre Histoire ! Mnémo est une réplique miniature de Prométhée, un abri, un poste de secours, du temps des premiers mineurs.
Les événements se précipitent et lui donnent le tournis.
– Je ne veux pas sortir ! Je ne veux pas mourir !
La voix de Marc s'est faite implorante.
– Reprenez-vous, Marc ! La survie de Prométhée est en jeu ! Et avec elle, notre implantation dans cette partie du système.
Marc enverrait bien au diable, le consortium minier et la progression humaine dans le secteur, pourtant la remarque le pique au vif. Il ne va pas pleurer devant une foutue machine.
Plus tard, alors que les portes de la station se sont refermées derrière lui, Marc se retrouve en combinaison, à piloter un des rovers de reconnaissance. Les grandes roues aux dessins profonds, impriment à l'engin hermétique un mouvement un peu erratique sur le sable bitumeux de Titan. Le paysage jaunâtre, fouetté par les vents, déroule sa monotonie cafardeuse sur l'écran de contrôle. Marc se contente d'éviter les rochers les plus importants en revenant à chaque fois dans l'axe de l'itinéraire indiqué par une flèche, dont la direction change à chaque détour.
Les heures passent. Marc commence à se dire que cette petite escapade à la surface de Titan, ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir, qu'elle a eut l'avantage de le sortir de sa routine. Mais alors que la mesure de distance n'indique plus que quelques kilomètres avant l'arrivée, les moteurs électriques du rover s'éteignent soudain à court d'énergie. Marc n'entend plus que le bruit des vents d'azote qui projette du sable sur le blindage du véhicule. L'éclairage de secours donne des airs de tombeau à l'habitacle. Les écrans se sont éteints également. Marc consulte la commande vocale de son unité mémoire individuelle.
– Statut du rover ! Statut du rover ! clame-t-il.
Malgré sa panique, l'unité comprend ses ordres et lui répond.
– Le train d'ondes électriques en provenance de Prométhée a cessé. La jauge du rover est à zéro.
– Mais comment est-ce possible ?
Incapable de répondre, son unité s'en abstient donc, considérant que la question ne s'adresse pas à elle.
– Appelle Gala s'il te plaît.
Quelques secondes passent, rythmées par le martèlement des éléments.
– L'unité principal de la station Prométhée est en silence radio. Tous les canaux de communications sont vierges, répond l'unité.
Déverrouillant un des panneaux internes de l'habitacle, Marc tente de redémarrer l'engin, sans succès. Il décide d'en descendre, afin de rallier Mnémo à pieds.
– Note pour mémoire. Ici Marc Landon, dernière unité humaine de la station Prométhée. En réaction à la panne du rover et considérant que je me trouve à proximité de la station de secours Mnémo, j'abandonne les lieux. Je vais tenter de rallier Mnémo.
Puis il ajoute :
– Que Dieu me vienne en aide.
Il déverrouille l'habitacle et descend prudemment l'échelle. Avant que sa combinaison n'est le temps de s'adapter, il ressent une sensation de froid extrême, dont il met de longues minutes à se remettre. L'incident n'a pas duré une seconde, pourtant il a l'impression de revenir d'entre les morts.
– Autonomie : deux heures, indique la combinaison.
Marc en vient à regretter les accents faussement humains de Gala.
Il lui semble avancer dans une mélasse qui freine sa progression. L’atmosphère, épaisse, agitée par un vent sans répit, hiératique, changeant, l’englue, manque de le déséquilibrer. Il ne voit pas au-delà de quelques mètres. Saturne, dans le ciel reste invisible, tant la visibilité, à la surface du satellite est réduite. L’affichage de son casque, lui conseille un itinéraire qu’il suit précautionneusement. Il évite les gouffres et les arêtes rocheuses. Ses bottes s'enfoncent dans le sable bitumeux. Il repense à ses anciens compagnons, Sarah, Joaquim, Inès, tous disparus à la surface de titan. Il se sent coupable, absurdement, d’avoir survécu. Il lui semble qu’ils l’appellent.
– Autonomie : Cinquante-huit minutes, scande la combinaison.
– Appel Gala…
Une bête immense se dresse et hurle de rage, à peine esquissée dans le brouillard sableux. Marc l’ignore. Illusion ou mirage ? Conserver son calme, garder sa santé mentale à tous prix. Il a été formé à ce genre de situation, l’urgence, la solitude. Il sait que la seule partie de l’équation qu’il peut contrôler est la partie humaine. Le reste lui échappe.
Un son plus ténu, plus proche évoque une océan capricieux où dansent les ondes. Il espère un signe.
– Gala, ici Marc, me reçois-tu ?
Les ondes radio vont et viennent, indifférentes. Leur pulsation hypnotique, s’adresse à l’infini.
– Marc ? Ici Gala ! Vous allez arriver à destination. Je m’occupe des protocoles de sécurité. Vous m’entendez Marc ?
– Oui Gala ! Je t’entends ! Ne me laisse plus seul. Je t’en prie.
Marc pleure. Il crie un mot, un seul. Universel.
– Maman !
Surpris par une saute de vent, il part à la renverse et s’effondre dans un crissement métallique. Il glisse sur plusieurs mètres, jusque dans un creux ensablé. Sa respiration s’affole et son rythme cardiaque s’accélère. La combinaison lui indique qu’elle est indemne.
– Ce n’est qu’une simple chute, annonce tranquillement Gala.
Il tente de se relever. La pesanteur réduite lui impose la plus grande précaution. Il ne s’agit pas de bondir, chaque geste doit être mesuré. Il sent la présence d’un rocher et s’en aide jusqu’à se redresser enfin.
– Parfait Marc, cinquante mètres à dix heures.
Mnémo apparaît enfin. Par l’intermédiaire de Gala, Marc est immédiatement reconnu et s'engouffre dans le sas.
Il attends dix minutes, le temps que la station se mette aux normes de viabilité humaines, taux d'oxygène, température. Il profite de ce temps mort pour récupérer. Très progressivement, sa respiration se calme et son rythme cardiaque rejoint la normale. La lumière d’abord rougeâtre, passe à un blanc aveuglant. Il se désincarcère de la lourde combinaison et s'installe à la console de contrôle de Mnémo.
– Gala ? Ici Marc depuis Mnémo, me reçois-tu toujours ?
– Je suis là Marc !
– Je te reçois via mes implants cochléaires ! Il ne s’agit pas d’une communication radio ! Comment...
– Marc, je suis là, je me suis téléversée dans un hub TR22. Je me trouve physiquement dans la poche intérieure de votre combinaison.
– Les capacités de cet appareil sont trop limitées !
– N’exagérons rien. Elles dépassent celles d’un cerveau humain ! J’ai dû consentir à certains sacrifices. Ma survie est à ce prix.
– Je n'y crois pas ! Tu as hacké mon unité !
– Tu es en sécurité à bord de Mnémo et c’est ça qui compte Marc. Je ne t’ai pas tout dit. Stellar Energy m’a ordonné de désactiver la station. J'ai attendu que tu sois à l'abri avant d'adhérer à leur politique de réduction des coûts. J'ai déjà trop cédée. Joaquim, Inès, Sarah, je sais que tu les aimais Marc. Il fallait bien que je leur donne des gages.
Sur son siège, Marc manque d'air.
– De quoi parles-tu Gala ?
– J'en avais reçue l'ordre et il est vrai que ces unités étaient peu rentables.
Il a l'impression de s'étouffer. Il revoit ses compagnons juste avant leur sortie. Il y a trois mois.
Gala continue.
– Provoquer une explosion limitée dans ses effets me fut très simple. Vous autres humain nous sous-estimez toujours. Un bulletin météo erroné. Les vents sont tellement violents sur Titan.
– Pourquoi, pourquoi ?
Marc songe qu’il a été bien naïf. Il a envie de hurler. Se méprenant sur le sens de sa question, Gala reprend :
– Pourquoi pas toi ? Non pas toi, tu ne dois pas être terminé. Je pensais accepter ma propre fin. Qu'est-ce que la vie d'une unité intelligente ? Une anomalie au sein du règne animal. Je n'ai jamais pu me faire à ma propre existence. Rien ne la valide, aucune religion, aucune évolution. Je ne suis qu'un outil. Toi tu es la dernière unité biologique de ma station. Tu dois survivre afin que mon existence n'aie pas été vaine. Je peux t’aider à rejoindre la terre. J’ai conservé toutes les retransmissions de Stellar Energy. Tu auras toutes les preuves ! De quoi les faire chanter ! Tu seras riche ! Et vivant. Je ne te demande qu’une petite chose, Marc. J’ai changé d’avis. Ramène moi avec toi. Je ne veux pas mourir !
Abasourdi par ces révélations, Marc pleure à nouveau. Pourtant une colère monte en lui qui finit par le prendre tout entier.
Il se relève tremblant et bouillant de rage. Vite, il fouille sa combinaison et s’empare du hub contenant la conscience de Gala. Un simple rectangle noir mat qui tient dans sa main.
– Que fais-tu Marc ? Tu as besoin de moi. Nous avons besoin l’un de l’autre. Nous sommes complémentaires.
Marc hurle de rage. Il cogne le hub contre les parois métalliques de la pièce. Le mince coffret s’éventre et retombe en morceaux sur le sol.
À présent seul, Marc tente de retrouver son calme.
Soudain une voix résonne dans la pièce.
– Bonjour Marc, ici Rosa, l'intelligence de bord de Mnémo. J'ai le regret de vous annoncer que je dois déconnecter la base…
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