Mhhhh?
Les arbres fantomatiques laissaient pendre des tissus de mousse blafarde. C’était la nuit dans la forêt de Troopairdue. La lune gibbeuse pointait le bout de son nez. La forêt est un domaine terrifiant lorsqu’il fait nuit. Les ombres s’y perdent, les phobies y vivent et les gens y disparaissent.
Néanmoins, cela ne semblait pas effrayer un jeune couple qui a décidé de faire un pique-nuit de minuit dans la forêt. La jeune fille se prélassait sur le jeune garçon. Ils étaient débordants d’amour. Ils s’embrassèrent parmi les miettes de leur repas. La peur n’avait aucune emprise sur eux, leur amour les protégeait. Leurs mains se caressèrent. Leurs yeux pétillèrent. Leurs corps s’emplirent d’une folle énergie. Rien ni personne ne peut briser la folle protection de l’amour.
Les deux amants se regardèrent plus attentivement. La fille avait des cheveux ondulés d’une rousseur agréable, plantés par des yeux bleus. Son chemisier lui donnait son air sérieux si irrésistible, appuyé par son pantalon bleu-outre mer. Le garçon semblait plus fantaisiste, sa coiffure désordonnée et ses yeux châtains lui donne immédiatement cet aspect si rêveur. Sa chemise à carreau et son pantalon jaune asseyait immédiatement le personnage.
« Et si on allait dans les buissons, pour faire… ce que tu sais ? Dit-elle mystérieuse.
— Mais bien sûr mon amour ! »
Alors ils se levèrent en riant. La fille entraîna son époux d’un jour vers les fourrés presque morts. Les végétaux formèrent une coupole semblable à un nid. Le couple fou d’amour s’y abrita pour cacher leurs ébats. Et pendant que les vêtements perdirent leur propriétaire petit à petit, la lune se colora d’une teinte rousse.
Mais, pris dans leur élan, les amants ne purent voir la fatalité qui s’abattait sur eux. Un orage se formait au-dessus de la forêt morte. Et les grondements commencèrent, la colère d’un revenant. Les nuages noirs s’allumèrent de temps à autre. Le couple s’arrêta un moment, et commença à prendre peur.
« Jean-François, je… je crois qu’il faudrait partir.
-Ne t’inquiète pas, Marie-Catherine, il s’agit uniquement que d’un vulgaire orage. »
Sur ces mots, le tonnerre s’abattit sur les arbres. Un éclair presque aussi lumineux que le soleil explosa en plein dans la forêt. Le silence revint. La face des deux amants exprimaient l’effroi le plus total. Ils regardèrent partout autour d’eux, à moitié dénudé. Des craquements de branches se firent entendre. Le couple en fut effrayé. Une soudaine lueur pouvait se faire apercevoir entre les arbres et les fourrés.
« Oh ! Jean-François, protège-moi. Je crains qu’il ne s’agisse d’un de ces maudits feu follet.
— Un feu fo-quoi ?
— Un feu follet ! Il s’agit d’un esprit enflammé hantant les lieux où ils sont morts et ne désirant qu’une vengeance aveugle. Nombreuses sont les personnes ayant disparu suite à leurs apparitions.
— Oh, ne t’inquiète pas pour ça. Il ne s’agit que d’une légende. Je vais aller voir. Il s’agit sûrement de quelques brindilles qui se sont enflammées suite au coup de tonnerre. »
Sur ce, Jean-François, torse nue, alla voir la manifestation lumineuse, laissant la belle plantée dans son nid. Plusieurs minutes passèrent. Marie-Catherine se rongeait les ongles. Elle avait peur et froid. Elle ne souhaitait que partir, mais ne pouvait pas abandonner son cher amant ici. Alors elle attendit, en grelottant.
Soudain, Jean-François hurla :
« Marie-Catherine ! Fuuuiiiiiis ! ARRRRRGHHH !
— Jean-François ! »
Elle se précipita à sa rescousse. Elle se fraya un passage vers son bien-aimé, courant entre les arbres et sautant par-dessus les racines. Elle fut essoufflée, mais l’adrénaline lui permit de continuer à courir.
L’apparition lumineuse avançait petit à petit. Mais elle lui sembla si lointaine. Soudainement, ce feu dans la nuit s’approcha bien plus rapidement. Marie-Catherine arrivait à voir plus distincement cette créature. Elle ressemblait effectivement à un feu follet. La sauveuse continua à courir et atterrit dans une clairière.
Le corps de son défunt époux était au sol, sans sa tête. Un haut-le-cœur opprima l’estomac de la survivante. Une puanteur piscifère abonde dans l’atmosphère. Et l’être enflammé se tenant au centre de la clairière tenait dans ses mains la tête de la victime, une tête pathétique, la langue pendante, presque comique.
Marie-Catherine pleura à chaudes larmes. Elle ne pouvait supporter cette injustice. Elle fut tellement absorbée par la mort de son bien-aimé qu’elle ne constata même pas le physique atypique du meurtrier. Lorsqu’elle s’en rendit compte, une seconde secousse la parcourut. Ce n’était pas un feu follet, mais une infirmière aux vêtements enflammés. Pire encore, une infirmière au corps de poisson enflammée. Cette dernière ouvrit sa bouche ronde pour dire :
« Je suis ta belle-mère.
— Nooooooooon ! Hurla la pauvre veuve »
Elle se retourna en hurlant, appelant au secours et fit le chemin inverse. Mais le poisson-infirmière-feu-follet n’abandonna pas si vite, et se mit à la poursuivre, abandonnant sa précédente victime. Prédateur bien plus rapide que sa proie, elle eut tôt fait de rejoindre la pauvre esseulée. Mais au moment de lui mettre la main dessus, un geste l’interrompit.
« Coupez bordel ! Coupez ! Appelez-moi ce crétin de scénariste, hurla un homme dans son mégaphone
— Tout de suite monsieur le réalisateur. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Pendant que les comédiens se vêtirent d’une façon plus décente. Le scénariste, grand Goliath aux épaules carrées, arriva sur le plateau face au petit réalisateur.
« Que se passe-t-il monsieur le réalisateur ?
— Il se passe que vous êtes une triple andouille, Werber, et une sacrée triple andouille !
— C’est le scénario qui ne vous plaît pas ? »
Le petit directeur respira profondément. Il demanda à un technicien de prendre un escabeau et de le placer devant son scénariste. Il se mit à grimper pour arriver à la hauteur de l’employé, le mégaphone à la main, mais au lieu de s’en servir pour porter sa voix, il l’abat sur la tête du pauvre Werber pour en faire une camisole de force improvisée :
« Vous êtes totalement crétin, Werber ! Vous volez des répliques d’autres films, vous vous servez uniquement de clichés pour faire un roman d’amour à l’eau de rose dans un film d’horreur et votre créature est l’une des plus stupides que je n’ai jamais vues dans ma carrière !
— Mhhh Mhhh ! Dit-il en se débattant.
— On est mort de rire rien qu’à la voir, ce bidule-truc-infirmière-en-feu, et on ne parle même pas du nom des personnages. Avec des dénominations pareilles, on devrait mettre les parents en prison juste pour avoir appelé leur progéniture comme ça.
— Mh ?
— Vous êtes un bon à rien ! Un crétin ! Une triple buse ! Un scénariste de pacotille ! Jamais je n’ai rencontré pareil cas dans ma carrière. Vous ne faites que des navets, Werber ! Mieux, vous les cultivez ! Alors dégagez avant que je vous en colle une pour de bon.
— MhhhMMhh MMHH !
— Mais vous allez vous la fermez deux secondes oui ? Vous êtes viré ! Et articulez quand vous parlez on ne comprend rien.
— Mhhhh !
— Sortez tout de suite ou je vais vous indiquer où se trouve la porte de avec mon pied dans votre derrière.
— Mhhh… »
Alors le massif scénariste avança à tâtons pour trouver la porte, le mégaphone toujours coincé sur sa tête. Il sentit du bois sous sa main, et s’élança pour ouvrir ce qu’il pensait être la porte. À la place, il détruisit le décor de la forêt. Le réalisateur s’avance donc vers lui, le relève, l’oriente et s’en sert de ballon pour faire un magnifique but dans le cadre de la porte.
« Ne restez pas planté là. Vous avez la main verte, alors rejoignez les paysans. Les autres, au boulot».
Le réalisateur ferme brutalement la porte, laissant le pauvre scénariste assis dans une flaque d’eau, la tête toujours coincée dans le mégaphone, totalement désemparé.
« Mhhhh ? »
Mot : Wisp => Feu Follet
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