Rambo a écrasé une coccinelle.
« Hé Charlie ! Vient il y a une nouvelle exécution aujourd’hui !
— Hein ? Quoi encore ! Mais ça fait la troisième fois cette semaine ! J’suis fatigué moi !
— C’est pas de ma faute si les adultes sont tous nuls dans leur boulot !
— Il a fait quoi celui-là ?
— Il s’est fait virer par son patron parce qu’il écrivait n’importe quoi.
— Ah ouais, c’est chaud quand même. »
Les deux enfants discutent gaiement dans la petite ruelle de la capitale internationale. Les usines crachant leurs fumées noires les encerclent. Des affiches scandent le slogan du pays : « Passion, Nation, Action ». Leurs pieds s’enfoncent dans la boue des rues pavées. Le duo descend vers l’avenue principale en rigolant. Quelques personnes sortent de leurs maisons pour prendre le même chemin que les enfants. Par l’effet de foule, la masse de gens grossit de minute en minute.
« C’était qui ?
— Un auteur qui devait faire le nouveau film du parti.
— Ah bon ?
— Oui, mais apparemment on l’a viré parce qu’il a osé montrer des gens qui « font l’amour ».
— Ça veut dire quoi ?
— Chais pas.
— Ah. Je demanderais à Maman dans ce cas.
— Elle ne s’est pas fait capturer ta mère ?
— Ah si. Bah à Papa dans ce cas. »
Les deux enfants pouffèrent. Ils étaient maintenant sur la grande place de la république. Au centre se tenait une potence. Il était difficile pour les enfants de voir le condamné avec tout ce monde. Ils se frayaient un passage en montrant leur présence avec leur bonnet rouge qu’ils agitaient avec leurs mains. Les adultes les laissaient passer. Ils étaient si mignons avec leurs taches de rousseur et leur grand sourire. Des vrais futurs « Nouveaux Humains » en somme.
Soudain, un petit homme au large sourire, presque effrayant, portant un haut-de-forme presque aussi haut que lui (bien qu’il ne soit bien pas bien grand) arriva sur l’estrade de la potence. Il ressemblait à un ballon, tellement sa veste l’arrondissait de tous les côtés. Il tenait sous le bras un large livre manuscrit à la couverture de cuir usée.
À côté se trouvait une montagne de chair et de muscles. Un mégaphone coincé sur la tête, la chemise blanche et boueuse, le pantalon totalement déchiré, il devait avoir froid en cette période. Mais il ne grelottait pas et surtout, il ne disait rien. La corde au cou, il attendait que ses pieds ne touchaient plus le sol.
Le petit homme ouvrit son livre et déclama son texte :
« Aujourd’hui, à la date que vous savez tous, cet homme a trahi sa contrée. Il s’est désengagé de sa fonction, a dénaturé le sens du mot « Travail » et a ainsi trahi sa patrie. Pire encore, il a affronté son supérieur, refusant de se plier à ses ordres plus que justifiables. Pour cela, le peuple tout entier appelle à la vengeance. Exigeons ensemble la peine capitale ! »
Le petit garçon chuchote à l’oreille de son ami :
« Ça veut dire quoi ?
— Ça veut dire juste dire qu’il en a pas foutu une. »
Quelques-uns de leurs voisins pouffèrent en entendant les paroles innocentes, mais si juste des enfants.
« Mmhhhh ? »
Le condamné émit une plainte. L’orateur de sa sentence n’en tint pas compte. Le futur pendu eut simplement le droit à une pierre dans le tibia de la part du public.
« L’ensemble de la cour de justice, contrôlée par la grande guide Marie-Anne, a rendu sa décision aujourd’hui et accuse de tous les crimes précédemment cité le compagnon Werber Malitou. Avez-vous des derniers mots ?
— Mhhhhh !
— Mais enlevez ce mégaphone de votre tête bon sang ! On ne comprend toujours pas ce que vous dites !
— Mhhh !
— Très bien. Vous continuez à tenir tête ! On aurait dû vous étrangler avec votre cordon ombilical dès la naissance. Vous êtes un débris de la nation. Un déchet qui veut bouffer les entrailles de la terre qui l’a élevé. Mais en tant que compagnon de la patrie, je vous laisse une dernière chance. Pendant que l’on récite la peine capitale, je vous donne ce papier et ce stylo pour vous inscrire vos derniers mots, qui seront lus devant cette assemblée. »
On lui donna le matériel nécessaire pendant que la foule récitait leurs mots terribles, dans une union macabre. Des mots massifs, des phrases lapidaires, effondrant la montagne musclée. Le bras armé de la patrie abattait leur ennemi. Une machine tout en muscle, contractant mâchoire, biceps, triceps, pectoraux écrasait le pauvre insecte en face d’eux. Et les enfants s’en donnèrent à cœur joie :
« À mort ! À mort le traître de la patrie !
— Mhhh !
— Qu’on lui mette la corde au cou !
— Mhhhh !
— Que la nation lui reprenne ce qu’elle lui a si généreusement donné !
— MHH !
— Et que le peuple laisse sa dépouille aux yeux de tous pendant qu’il se fera bouffer par les larves et les corbeaux !
— Mhh !
— Silence, voici les derniers mots du compagnon Werber Malitou… »
Il s’arrêta, constatant les inscriptions du criminel sur la feuille. Et puis finalement :
« Le condamné n’a pas souhaité s’exprimer. À mort le traître de la Grande Gaulle !
— À mort le traître ! »
La trappe s’ouvre, le choc est brutal. Le cou de la victime est cassé net. Pas un mot. Et des applaudissements retentirent de la foule, pensant avoir accompli l’acte de détruire l’ennemi commun, et éviter une guerre intestine. Les enfants s’enlacèrent et jetèrent leurs chapeaux rouges. Sur le papier, pas un mot, juste du vide, tout ce qu’était capable d’exprimer le scénariste. On fêtait la mort d’un homme. Les sirènes beuglaient dans toute la ville telles les trompettes de la renommée. Et chacun dansa autour dépouille immense de Werber.
C’était le soulagement, les seules festivités qui étaient possibles en ce pays. Le seul moment où l’on pouvait contester le régime aux bras d’acier. Ce n’était pas une acclamation de la mort, mais déjà un petit acte de révolte. L’allumette va bientôt s’enflammer, mais l’explosion ne se fera que des années plus tard.
Enfin, laissons-les s’ébattre. Ils croient avoir rendu la nation victorieuse d’une guerre mondiale, mais leur geste est anodin ; un acte presque comparable à Rambo écrasant une coccinelle.
« C’est qui Rambo ? Dit Charlie.
— Qu’est-ce que tu racontes ? On a jamais parlé d’un Rambo. »
Mot : Bulky => Volumineux/Large
Annotations
Versions