Book Fighters
« Bienvenue à tous pour notre émission hebdomadaire Les livres ont une histoire. Aujourd’hui, nous allons traiter de deux ouvrages reconnus pour la qualité des plumes de leurs auteures ainsi que pour la finesse d’analyse de notre monde. En effet, nous avons la chance d’accueillir ici la créatrice du best-seller Rambo a écrasé une coccinelle, roman d’anticipation dépeignant un monde où la seule valeur est le travail envers la nation ainsi que la jeune écrivaine ayant produit le roman a succès J’étais demain, je serais hier, histoire d’un orphelin tenant compagnie aux poubelles en recherche du grand amour. Je demande d’applaudir bien fort nos deux invitées du jour, Jeanne Dalout-Villesandre et Karia Miltis. »
Applaudissements. Les deux écrivaines se font face à face assises sur leurs chaises respectives. Karia est très jeune, assez souriante, portant des lunettes de soleil et soulevant sans arrêt ses longs cheveux platinés. Jeanne, au contraire, a des traits plus marqués, une toison capillaire déjà grisonnante, ainsi qu’une attitude plus ratatinée, la faisant paraître plus acariâtre. Chacune tenait un exemplaire de leur chef-d’œuvre. Le choc des générations littéraires va commencer sur ce plateau.
« Bien. Commençons maintenant. Honneur à la Jeunesse. Madame Miltis, pouvez-vous nous toucher deux trois mots sur votre livre ?
— Bien sûr. Il s’agit de l’histoire d’un adolescent en recherche de valeurs oubliées. En effet, elle se pose plein de questions, mais ne trouve pas de solutions. Sans support familial ou amical, elle va essayer de les rechercher à travers l’amour, l’amour de cette belle jeune femme qu’elle va trouver au lycée. Mais cet amour brutal et primitif va devenir sa cage aux barreaux dorés. Je n’en dis pas plus ou je vais raconter tout le livre. Termine-t-elle en riant.
— Très bien. Une histoire violente de passion d’amour à ce que je vois. Et vous Madame Dalout-Villesandre ?
— Simplement une réalité des régimes totalitaires mêlant absurde et engagement, où la foule est inhumaine et monstrueuse. Rien à rajouter, le synopsis n’a pas besoin d’être approfondi plus que ça.
— Hmm bien… Vous êtes sûr de ne pas nous donner quelques éléments plus… croustillants ? Pour motiver nos auditeurs à mordre à pleines dents dans votre histoire ?
— Inutile, le lecteur n’a pas à juger le discours de son auteur. Seuls les mots entre les pages parleront.
— D’accord, si vous le souhaitez. Madame Miltis ?
— Oh, voyons, appelez-moi Karia, je vous prie.
— Très bien, comme vous le voulez. Karia, avez-vous quelque chose à nous dire en rapport avec l’histoire de ce livre ? Comment vous est venue cette idée ? De quoi vous vous êtes inspiré ?
— Il faut avouer que je me suis pas mal inspiré de ma vie d’adolescente. En effet, j’ai repris pas mal de fait qui me sont arrivés. Mes parents qui refusent de m’écouter, ce petit ami qui me menait en bateau, mes professeurs qui…
— Oh pitié ! Interrompit Jeanne Dalout-Villesandre. Arrêtez d’essayer d’amadouer tout le monde avec romance inspiré de « faits réels » à la con imprégné de fausse philosophie ! Ces stratégies commerciales, ce n'est que du pipeau !
— Pardon ? Vous savez que vous venez d’insulter toute mon adolescence ? Vous vous en rendez compte j’espère ?
— Oui, je m’en rends compte et je commence en avoir marre de ces faux écrivains qui racontent leur vie de merde en la romançant jusqu’à la moelle des squelettes narratifs datant de l’antiquité en appelant des questions ultra-métaphysiques que tout le monde connaît pour dire « Oulala, j’ai de la culturrrrrre ! Je vais révolutionner notre littératurrrrrre ! »
— J’écris comme je veux ! Ce n’est pas une vieille bique réac’ comme vous qui va m’interdire d’écrire ma vie.
— Vous osez dire que c’est de l’écriture ? Ce sont des torchons ! Du gâchis de papier ! Au mieux, des antisèches d’écolier. Mais vous ne pouvez pas dire, vous ne pouvez pas oser dire que c’est de la littérature. Ce n’en est pas !
— Mesdames, un peu de tenue je vous…
— Ta gueule ! Crièrent-elles en chœur. »
La présentatrice se tut. Kalia remis de l’eau dans le moulin à insultes.
— Et moi, Madame avec un nom de famille composé parce qu’elle veut se la péter, je vais vous dire que vous n’avez jamais connu l’amour pour dire ça. Vous n’êtes capable que d’écrire sur des pendaisons, sur des enfants voyant des horreurs, sur des humains sans morale et honneur, sur des mondes qui n’existeront pas parce que vous voyez tout en noir. Car moi au moins, je l’ai lu, votre bouquin, et il m’a tellement dégoûté que je l’ai jeté dans la poubelle noire. Rien n’était recyclable.
— Ah ! Vous croyez que cela m’affecte de quelques manières ? Vous n’avez pas de bon goût tout simplement. Et en plus, vous n’avez aucune originalité. Vous allez ajouter quoi à votre histoire d’amour d’adolescent solitaire rejetée de la société. Un vampire peut-être, pour mettre votre cliché sur pattes dans un cercueil ?
— Vous vous croyez originale avec votre monde totalitaire où l’on tue sans raison ? Il y a des bourreaux qui l’ont fait plus discrètement que vous, vieille bique.
— Pardon ? Osez répéter ce que vous venez de dire.
— Vieille bique. Je rajoute sourde aussi.
— Clown Cloné !
— Ancêtre mal embouchée !
— Fille mal élevée !
— Carcasse du siècle dernier ! »
La présentatrice se dissimule sous son bureau. C’est la bagarre générale. La troisième guerre mondiale vient d’éclater sur le plateau. Le conflit des générations dépasse de loin les tensions géopolitiques de tous les horizons. Les insultes fusent comme des boulets de canon. La colère éclate des deux côtés. Les belligérantes en vinrent rapidement aux mains au vu des bruits de fracas.
Pour cesser cela, un père de famille tourne simplement un bouton. Bruits et voix se taisent. La radio est éteinte. Son petit garçon, assis à côté de lui, a les yeux dans le vague. Il balance légèrement la tête de gauche à droite, au gré de la route. La vieille voiture dans laquelle ils se trouvent se traîne dans les bouchons, d'où un concert cacophonique de klaxons et de jurons en toute sorte retentit.
Alors le père, toujours la main sur le volant et les yeux sur la route, caresse gentiment la tête de son fils. Un simple geste affectueux, accompagné de paroles douces :
« Excuse-moi. Le monde est plus violent que ce qu’il paraît. »
Le petit garçon hoche la tête, sans dire un mot. Il ne regarde même pas son père, et regarde toujours dans le vide. Ce dernier pleure.
Mot : Radio => Radio
Annotations
Versions