Épisode 7 : Karl (1/2)

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Deux mois plus tôt. Paris

Jeudi soir. Soirée de repos pour Sydney. Depuis une semaine, elle travaillait comme baby-sitter pour une famille aisée de la capitale. Elle avait pu obtenir ce job d'été grâce à des amis de son père. L'entretien s'était déroulé par visioconférence. La famille Delcourt avait tout de suite apprécié la jeune femme. Son sérieux et sa maturité avaient été soulignés.

Avant le début du mois de juillet, il y avait eu un week-end test avec les deux enfants. Là aussi, Sydney avait fait l'unanimité.

Sydney ressentait de la gratitude pour ce travail. Son contrat lui permettait d'être logée et nourrie. Avantage supplémentaire : durant son temps libre, elle pourrait découvrir les merveilles de Paris.

Ce soir-là, pourtant, Sydney ne souhaitait pas sortir, mais plutôt lire dans son lit, au calme. Les enfants avaient été particulièrement pénibles et elle n'avait plus de force pour autre chose.

Mais Sydney ne resta pas au calme très longtemps. Son téléphone portable sonna. Laure l'appelait.

  • Alors, ma chérie ? Comment ça se passe à Paname ?
  • Plutôt bien. Les enfants sont adorables la plupart du temps, sauf aujourd'hui. Ne me demande pas pourquoi ! Je vais me reposer avec un bon livre ce soir.
  • Tu vas te reposer avec un bon livre ?! Sydney, tu es à Paris. Alors d'accord, c'est à peine plus grand qu'Isle, mais tu es loin de notre île. C'est le moment parfait pour te décoincer un peu. Tu peux faire des choses que tu ne fais jamais. Personne ne le saura. Va te détendre.
  • Je devine que par détente, tu veux dire sortir dans un bar, séduire un homme et passer la nuit avec lui.
  • C'est exactement ce que je veux dire. Tu as tout compris.
  • Je ne suis pas comme ça, Laure.
  • Tu ne t'autorises pas à être comme ça, nuance. Allez, Syd ! Fais l'expérience au moins une fois ! Tu n'es pas obligée de donner ton vrai prénom. Tu peux même t'inventer une nouvelle vie. Mets de la fantaisie dans ton été ! Au pire, tu reviens dans deux heures et là, tu pourras lire tranquillement dans ton lit.

Sydney réfléchit. Laure marquait un point. Elle ne s'accordait jamais un faux pas. Son sérieux était devenu le trait le plus saillant de sa personnalité, et elle commençait à s'agacer qu'on la considère uniquement comme une jeune femme réservée et un peu coincée.

  • Ok, je vais faire ça.

Laure exprima sa joie par un cri d'encouragement.

  • Tu me raconteras tout, n'est-ce pas ? Je suis certaine que tu vas faire tourner des têtes.
  • Seulement si tu es sage.

Sydney raccrocha. Elle prit une douche, s'habilla d'une robe légère aux motifs fleuris et se maquilla légèrement. Après un dernier regard dans le miroir, elle s'élança hors de la maison, prête pour l'inconnu.

Elle choisit un bar au hasard. Le Nelson. De l'extérieur, elle le jugea plutôt branché et semblait bien fréquenté. Avant d'ouvrir la porte, une pointe de peur se manifesta dans son plexus solaire. Elle hésita à faire demi-tour, mais elle s'abstint. Boire juste un verre ne la tuerait pas.

Elle entra et se dirigea directement vers le comptoir.

  • Un Mojito, s'il vous plaît, demanda-t-elle au barman.

Ce dernier n'eut aucun mal à croire en la majorité de la jeune femme. Sydney - et elle le savait parfaitement - possédait un visage plus mûr que son âge réel. Il n'était pas rare qu'on lui demande le travail qu'elle pratiquait.

En attendant d'être servie, elle balaya le lieu du regard. Chaque espace était occupé, mais pas au point d'être les uns sur les autres. Certains discutaient. D'autres dansaient sur le rythme de la musique électro qui passait à ce moment-là.

  • Et voilà pour vous !

Sydney se retourna et récupéra le verre que lui tendait le serveur.

  • Merci.

Elle en but aussitôt une gorgée. Sa tête commençait déjà à tourner, mais la faute ne revenait pas à l'alcool. Elle se sentait mal à l'aise. Elle ne savait pas quelle attitude adopter. Rester devant le comptoir jusqu'à ce qu'un homme veuille bien l'aborder ? En choisir un et prendre les devants ? Sydney ne possédait pas l'aplomb de Laure.

Elle continua à descendre le Mojito.

"Je finis le verre et je m'en vais. Ce n'est pas fait pour moi".

Elle termina son verre quelques minutes plus tard. Elle le posa ensuite sur le comptoir et se précipita vers la sortie. Sur le chemin, elle bouscula un homme et le verre de ce dernier se renversa sur lui. Surpris, il regarda une Sydney horrifiée par son propre geste.

  • Oh, je vous demande pardon ! Je ne voulais pas...

Son sourire l'arrêta. Elle ne s'attendait pas à une réaction aussi joyeuse.

  • N'ayez aucune inquiétude ! Personne n'est blessé.
  • Je suis quand même confuse. Je n'ai pas fait attention...
  • Je vous pardonne si vous acceptez de boire un verre avec moi.
  • Oh...euh...

Il la déstabilisait, d'autant plus qu'il ne manquait pas de charme. Des yeux bleus. De beaux cheveux châtains. Une barbe de quelques jours. Une carrure d'athlète. Le charme opérait déjà.

  • Alors qu'est-ce que vous prenez ?
  • Un Mojito serait bien, merci.
  • Je m'appelle Karl.
  • Sydney.

***

Quelques minutes plus tard, assis autour d'une table, Sydney et Karl apprenaient à mieux se connaître.

  • Donc tu es journaliste, c'est ça ?
  • Oui, confirma Sydney. Pigiste pour le moment, mais je ne perds pas espoir de trouver un poste à temps plein dans un grand journal.
  • Tu vises un journal en particulier ?
  • Pourquoi pas Le Monde.

Sydney croyait presque à ses propres mensonges. Elle s'étonnait de cette capacité à mentir, elle qui habituellement se montrait plutôt honnête.

  • De l'ambition, c'est bien, commenta Karl. Des sujets préférés ?

La jeune femme fit mine de réfléchir, profitant de cet instant de silence pour étoffer son histoire.

  • J'aime parler de littérature, faire découvrir de nouveaux écrivains. Mais je touche un peu à tout.
  • Nous avons donc un point commun : l'amour de la littérature. Je suis enseignant de Lettres.

Malgré elle, Sydney sentit une pointe d'excitation. Une élève et un professeur, voilà qui ne manquait pas de piquant et qui ne laisserait pas Laure de marbre.

Habituellement, la jeune femme écoutait les aventures de ses amies ou en était spectatrice. Aujourd'hui, elle jouait le rôle principal. Et, curieusement, cela ne lui déplaisait pas. Être plus décontractée. Oser plaire. Être quelqu'un d'autre. Ces sensations apportaient de la nouveauté dans son existence.

Et puis le sourire de Karl... Sydney rêvait déjà de sa bouche contre la sienne.

Sa rêverie prit une tout autre dimension lorsqu'ils continuèrent de discuter de livres, de leurs auteurs préférés ou encore de comment accompagner les personnages dans leurs aventures les aider à grandir. Au fil des mots, Sydney réalisa qu'elle n'imaginait plus un simple flirt ou un coup d'un soir. Non, elle se voyait déjà vivre une histoire avec Karl digne d'un roman sentimental. Dans son esprit défilaient déjà des scènes où Karl lui offrait des roses rouges, l'amenait au cinéma, dansait avec elle...

Sans rien monter à son prétendant, la jeune femme remarqua qu'elle était en colère contre elle-même. Elle ne pouvait malheureusement pas changer en un claquement de doigts. Son côté romantique reprenait le pas. Oublié, l'amusement. Oubliée, la désinvolture.

Cependant, elle souhaitait aller jusqu'au bout de l'expérience. Malgré ses états d'âme, elle continua dans son mensonge, dans la séduction et accepta de passer la nuit avec Karl.

Elle lui dirait ensuite qu'elle ne voulait pas plus, que pour elle ce n'était rien d'autre qu'une simple aventure sympathique.

Mais lorsque le lendemain, le bellâtre lui fit part son envie de la revoir, elle ne put que répondre :

  • Je suis libre dimanche.

***

Ils se retrouvèrent donc le dimanche suivant puis chaque jour où ils étaient libres. Ils se rendirent au cinéma, au restaurant, se promenèrent dans le bois de Vincennes, main dans la main.

De temps en temps, une ombre sur le tableau apparaissait. Karl posait des questions plus poussées sur son travail, voulait même jeter un coup d'oeil à l'article que Sydney écrivait actuellement ; mais la jeune femme inventait systématiquement une excuse pour éviter que son secret soit dévoilé.

Quinze jours après leur rencontre, Karl lui proposa d'organiser une rencontre avec ses amis. Sydney refusa sur un ton sec qu'elle ne se connaissait pas. Ce n'était pas encore le moment. Elle n'était pas prête pour un plus grand engagement. Un froid entre les deux nouveaux amants s'ensuivit avant que la belle illusion ne reprenne ses joyeuses couleurs.

Les jours précédents son retour à Isle, Sydney devint de plus en plus tendue. Karl le remarqua, chercha à savoir, mais Sydney repoussait le moment fatidique où elle devrait rompre. Elle ne le désirait pas, mais avait-elle le choix ? Si elle prenait la décision de lui dire la vérité, c'est lui qui la quitterait. Autant partir avec un minimum de dignité.

Et le moment redouté arriva la veille de son départ. Karl ne le savait pas, mais ils avaient fait l'amour pour la dernière fois. Alors qu'après l'acte, le jeune homme partit sous la douche, Sydney se rhabilla puis s'assit sur le bord du lit et attendant patiemment le retour de Karl dans la chambre.

  • Est-ce que ça va ? On dirait que tu as appris une mauvaise nouvelle, remarqua-t-il lorsqu'il revint dans la pièce.
  • Il faut qu'on parle.
  • Oh, ça ne s'annonce pas bon.

L'instant fut perturbant pour Sydney. Ce n'était pas la première fois qu'elle quittait un homme, mais ses précédents petits amis elle ne les avait jamais aimés même si, à eux, elle n'avait montré que des vraies facettes de sa personnalité. Les bases de sa relation avec Karl n'étaient que des mensonges, mais son amour naissant pour lui, elle l'éprouvait vraiment.

  • Il y a quelque chose que je ne comprends pas, continua Karl. Ces jours passés ensembles, ils étaient incroyablement bons ou j'ai rêvé notre complicité, notre attachement l'un à l'autre, notre respect mutuel.
  • Tu n'es pas le problème, Karl. C'est moi. Je te l'ai dit. J'ai... J'ai des difficultés à m'engager. J'ai apprécié nos moments. Vraiment. Mais je ne suis pas prête pour plus.
  • Je suis en train de tomber amoureux de toi, Sydney. Et je sais... je sais que toi aussi. Je suis certain que je n'ai pas imaginé tes regards, la façon dont tu me touches, tu me parles.
  • Pourtant tu les as imaginés, Karl. Parce que moi, je ne suis pas en train de tomber amoureuse de toi. J'en suis même très loin.

Elle jouait la froideur, mais les larmes essayaient de se frayer un chemin jusqu'à ses yeux.

  • Je suis désolée, Karl, mais c'est fini. Tu trouveras une autre fille, bien meilleure que moi, j'en suis sûre.

Elle le voyait trop sidéré pour répondre. Ses yeux brillaient. Il était abattu par la violence des mots de la jeune femme.

Il ne la regarda pas partir.

Lorsqu'elle quitta la résidence, Sydney trouva un coin isolé pour pleurer et se maudire.

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