Épisode 19 : L'Ogre (11/14)
– T...Tu as mangé Lou ?
Alexia avait posé la question d'une faible voix. Sydney pouvait déceler sur son visage toutes les manifestations de la peur. Son regard fixe, son visage figé et crispé ne trompaient pas.
Elle reculait comme pour échapper à l'homme devant elle.
– Tu n'aurais pas dû voir ça.
La voix, presque inhumaine la glaça. Sydney connaissait cette voix, mais elle ne parvenait pas à l'identifier. Néanmoins, la scène confirmait qu'Alexia connaissait intimement l'Ogre.
Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir davantage. La vision se modifia. Elle se retrouvait désormais dans la forêt face à un chalet. Elle vit Jean-Paul tenir la main à Alexia. Ensemble, ils entrèrent dans le chalet.
Il eut un silence pesant comme s'il marquait un temps mort avant une redoutable attaque.
Par la fenêtre à gauche de la porte d'entrée, Sydney vit une silhouette se déplacer d'une manière vive. Les cris suivirent et l'horreur s'empara de la jeune femme. C'étaient ceux d'Alexia. L'Ogre venait de frapper.
Sydney se réveilla sur cette sensation. Un nouveau réveil brutal. Si sa vie continuait ainsi, elle vieillirait avant l'heure.
Elle jeta un œil à son réveil. Huit heures. Elle avait raté l'alarme de sept heures trente. Si cela avait été une matinée comme les autres, elle angoisserait, car il serait certain qu'elle manquerait le premier cours de la journée. Or, une chose lui importait à cet instant : sauver Alexia d'une mort imminente.
Elle sauta du lit, courut vers la salle de bain pour une préparation minimum et s'habilla avec la même hâte.
Lorsqu'elle se rendit au rez-de-chaussée, elle remarqua que ni ses parents ni Joseph ne s'y trouvaient. Si son père travaillait, les deux autres devaient encore dormir. Tako, elle-même se reposait sur son coussin dans le salon. Elle enverrait un SMS à sa mère sur le chemin.
À toute vitesse, elle sortit de la maison et se mit à courir jusqu'à la résidence des Legrand. Elle sonna à la porte sans interruption. Pas de temps pour les bonnes manières.
Au bout de quelques instants qui parurent interminables pour Sydney, Christopher vint lui ouvrir. Surpris, il mit quelques secondes à lui demander :
– Sydney ! Que fais-tu là ? Quelque chose est arrivée à tes parents ?
Sans y être invitée, la jeune femme pénétra à l'intérieur.
– Alexia est ici ?
– Non, elle n'est pas là et Laurianne est partie travailler. Qu'est-ce qui t'arrive ?
– Je vais vous dire des choses qui vont vous paraître invraisemblables, mais je vous assure que je ne mens pas. Alexia est en danger. Actuellement, à Isle, il y a un homme qui enlève des enfants, qui les tue et les mange. Sa prochaine victime sera Alexia et j'ai des raisons de penser que cet homme soit Jean-Paul. Il va l'emmener dans un chalet en forêt. Il ne faut pas la laisser seule avec lui.
Christopher resta figé. La jeune femme n'arrivait pas à savoir ce qu'il pensait ; son visage ne laissait aucune émotion apparaître, mais elle s'attendait à ce qu'il la traite de folle d'une seconde à l'autre. Soudain, le visage de Christopher s'assombrit.
– Alexia n'est pas à l'école aujourd'hui, dit-il. Elle était toujours secouée par ce qui t'est arrivé hier. Nous avons un chalet dans la forêt d'Isle. Nous y allons quelques fois. Jean-Paul ne travaillait pas ce matin. Je lui ai demandé d'amener Alexia là-bas pour qu'elle puisse prendre l'air. Je souhaitais passer la journée avec Alexia, mais j'ai une réunion importante ce matin. Je dois les rejoindre à midi pour prendre le relais.
Le sang de Sydney se glaça.
– Ils sont partis il y a combien de temps ? demanda-t-elle.
– Il y a une vingtaine de minutes.
– Nous devons partir tout de suite.
– Sydney, comment peux-tu être sûre de ce que tu avances ? Ce sont des accusations graves. Je connais Jean-Paul depuis longtemps. Il n'a jamais eu une geste déplacé envers n'importe quel enfant.
– Je sais que ça peut paraître fou, mais je sûre de ce que je dis. Je vois des choses, je fais des rêves sur des événements avant qu'ils ne se produisent. Ce n'est pas un hasard si je suis tombée sur le cadavre de Marilyne.
Christopher continuait de la fixer. Il semblait assimiler ce qu'elle venait de révéler. Puis, il finit par dire :
– Allons-y !
Ils sortirent de la maison et montèrent dans la voiture.
– Nous devrions y être dans une quinzaine de minutes, l'informa Christopher.
Dès que la voiture démarra, Sydney envoya un message à sa mère et à Christian. Une fois fait, elle se concentra sur la route. Elle paniquait pour Alexia. Et s'ils arrivaient trop tard ? Elle n'osait pas imaginer trouver une Alexia sans vie. Elle ne s'en remettrait pas et culpabiliserait jusqu'à la fin de ses jours.
– Je ne saisis pas encore tout ce que tu m'as dit, Sydney, fit Christopher alors qu'ils s'éloignèrent davantage du centre de la ville, mais je te crois. Pour tes visions, je veux dire. Enfin, tu le sais, sinon on ne serait pas dans cette voiture. Non pas que je sois ouvert à la voyance et tout ce genre de trucs, mais tu es une fille sérieuse. Et puis, lorsque tu m'as parlé de Jean-Paul et de disparitions d'enfants, une connexion s'est faite dans mon esprit : au cours de l'année écoulée, il y a eu effectivement plusieurs enfants qui participaient aux activités de l'association qui ont disparu sans laisser de traces. J'espère juste que…
– Que je me trompe ? termina Sydney.
Christopher hocha la tête.
La forêt commencèrent à apparaître dans leurs champs de vision. Encore elle. À la fois si belle et si meurtrière.
Puis, une sensation la saisit : quelque chose n'allait pas. Elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus…Une chose la dérangeait, mais quoi ?
Elle jeta finalement un œil discret vers Christopher. Son attitude ne collait pas. Elle ne l'avait jamais connu expressif, mais ses réactions étaient lisses. Un peu trop au goût de la jeune femme. Elle avait toujours été mal à l'aise en sa présence, mais pour elle sa froideur en avait toujours été la cause. Et si… Non, elle devenait paranoïaque. Alexia adorait son père et Christopher ne lui ferait jamais de mal. Pourtant, alors que sa fille se retrouvait en danger, il restait dans un calme olympien.
Sydney tourna la tête vers la fenêtre et là elle sursauta. Elle retourna dans la vision de la nuit précédente. À nouveau, elle voyait Alexia effrayée.
– T...tu as mangé Lou ?
– Tu n'aurais jamais dû voir ça.
L'homme, qu'elle semblait déjà reconnaître, se montra complètement. Christopher ! Sydney se retint de hurler et de vomir. Derrière lui, un écran où des images d'horreur défilaient. Ce malade, s'était filmé en train de préparer le jeune Louis à la casserole.
L'image changea. Elle vit Jean-Paul essayait de protéger Alexia alors que Christopher fonçait sur eux, un couteau de cuisine dans chaque main.
– Donc, c'est toi celle dont Lilith nous parle depuis quelques temps.
Tremblante, Sydney se tourna vers lui. Dans ses yeux, elle pouvait désormais voir la noirceur de son âme et l'emprise de Lilith. Avec un monstrueux sourire, il rajouta :
– On va bien s'amuser.
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