Comme une luciole dans la nuit
Fébrile, peu rassurée par les allées-et-venues des femmes sur lesquelles elle essayait de calquer son pas, Marielle observait pour la première fois celles qui se trouvaient déjà dans la rue, en quête d'une passe. Toutes faisaient les cent pas, arpentaient la rue qui leur était attitrée, d'un air morne, les yeux ourlés de noir, la démarche néanmoins assurée de celles qui ont des années de tapin dans leur dos.
Elle avait placé la photo de sa mère sur son coeur. Elle prit son courage à deux mains et aborda la première fille qui lui faisait face.
— Bonjour, dit-elle aimablement. Je cherche ma mère qui a travaillé ici, il y a vingt-deux ans. L'aurais-tu vue ? Elle lui montra rapidement la photo.
— Non, désolée, ça me dit rien. Tu es nouvelle ?
— Oui, je cherche à me faire une clientèle. Je viens de Paris.
— Ici, c'est la rue de Sergio, fais gaffe, il nous surveille. Maintenant, pars ou tu auras des problèmes, assura-t-elle.
Marielle fit mine de s'éloigner. Elle longea le trottoir, peinant à marcher avec les escarpins neufs qui lui sciaient les orteils. Elle se retourna et remarqua que la fille à laquelle elle avait parlé s'engouffrait dans une voiture luxueuse. Le premier homme de sa longue nuit, sans doute.
Elle avisa une vieille femme plutôt ronde, à l'allure élégante malgré les rides et son dos voûté. Elle fumait une cigarette, tout en claquant ses chaussures sur le sol pour se réchauffer.
— Bonsoir madame, j'ai une question importante à vous poser.
— Oui, que veux-tu mon chaton ?
— Ma mère a été enrôlée dans ce quartier il y a vingt-deux ans, je la cherche. Tenez, j'ai une photo. La connaissez-vous ?
La femme se pencha sur la photo.
— Elle est jolie. Non, je ne l'ai jamais vue. Si cela fait longtemps, elle travaillait avec Goran, le roumain. Sergio a pris la succession. Je doute que vous puissiez lui parler, il croupit en prison, ricana-t-elle d'une voix éraillée par l'excès de tabac.
— Merci, je ne vous embête pas plus.
La rue était calme. De nombreuses voitures ralentissaient, les conducteurs baissaient la vitre, abordaient une des filles, discutaient du prix puis faisaient monter la prostituée dans le véhicule.
Marielle vit un petit groupe de prostituées qui discutaient, une cigarette dans une main, un café dans l'autre. L'éclat de la clope mettait en valeur leur lèvres rouges, ravivait un peu leur regard.
L'une d'entre elles l'interpella :
— Ma jolie, qui t'a dit de tapiner ici, dégage !
— D'accord, mais avant est-ce que je peux vous montrer une photo, c'est celle de ma mère que je recherche.
— Putain, elle va nous faire pleurer celle-là, dit méchamment une rousse plantureuse.
— Montre toujours, lâcha une petite brune à lunettes.
— Merci madame, la voilà.
La fille siffla entre ses dents.
— Belle gonzesse. Ce ne serait pas la meuf à Andres ?, demanda-telle à ses comparses, peu enclines à participer à la conversation. Une blonde s'approcha et jeta un coup d'oeil au portrait.
— C'est bien possible, il la cache, mais elle ressemble à ça. Je l'ai vue une fois dans sa voiture.
— Merci, vous m'aidez beaucoup.
— Dans notre secteur, il faut dire "Merci les lucioles".
— Ah oui, répondit Marielle, surprise, c'est vous les lucioles ?
— Oui, on nous repère dans la nuit grâce à nos cigarettes, c'est pour ça, expliqua la blonde, d'un ton où transperçait la fierté.
— Alors, merci mesdames les lucioles, dit Marielle en s'éloignant rapidement.
Inquiète de la suite des événements, elle se répéta mentalement tout ce qu'elle venait d'apprendre, pour qu'ensuite Romain puisse axer ses recherches plus efficacement. Elle était plutôt satisfaite de ces premiers éléments. Elle avait hâte de tout raconter au flic. Si la fille disait vrai, sa mère était la protégée d'un des souteneurs. Elle se demandait où étaient les deux policiiers. Heureusement, elle reconnut dans la rue la grosse cylindrée de Fred, le copain de Romain.
Depuis le début de son enquête dans le milieu, il la suivait assez discrètement, de façon à ne jamais être loin, au cas où elle aurait besoin de lui. Justement, elle aperçut un gros SUV noir dont les occupants faisaient de grands gestes en direction des prostituées. Certaines, très à l'aise, s'accoudaient à leur portière pour leur parler et leur donnaient quelque chose au passage. De l'argent, peut-être. Aucune fille ne monta avec eux, c'était sans doute le fameux Sergio.
Marielle s'immobilisa dans l'entrée d'un immeuble, pour ne pas être repérée. Un homme sortit alors d'un appartement situé au rez-de-chaussée et lui tira violemment le bras pour la faire rentrer chez lui. Surprise par la violence du geste de l'inconnu, elle se retrouva au sol, dans le hall d'un meublé assez cossu. L'homme en costume trois pièces l'aida à se relever et lui dit :
— Vous l'avez échappé belle.
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