Violet
J’ai les ongles violets, vraiment, regarde, ils deviennent violets, là, tu vois, si, si ils deviennent violets, je le vois, je le vois, pourquoi tu ne me crois pas ? Pourquoi tu ne m’écoutes pas ? Pourquoi tu ne me regardes pas ? Regarde-moi ? Mais regarde-moi je te dis ! Qu’est-ce qu’il y a je te dégoûte ? C’est parce que mes ongles deviennent violets ? Ah, non, je sais, je te fais peur. Tu as peur de moi ? Tu as raison, mais tu devrais avoir peur pour moi au lieu d’avoir peur pour toi, toujours ne penser qu’à toi ! Toi, toi, toi, toi ! Tu me tues ! Tu me tues ! C’est moi qui devrais avoir peur, regarde ! Mais regarde ce que je deviens ! Mes ongles, violets. Tu sais pourquoi ? C’est une maladie ? Peut-être que je suis malade ? Ça va grandir, ça va se propager, il faut arrêter maintenant, les arracher, arracher mes ongles avant que tout mon corps ne devienne violet à son tour, puis mon esprit, puis mon cœur, le monde, le monde tout violet, et toi, toi violet, comme moi, violet. Et alors ? Si tout est d’une seule couleur ce n’est plus une couleur, elle ne vaut plus rien, une couleur seule n’existe pas. Plus aucune nuance, plus aucun relief, plus aucune douleur. Finit. Le violet n’existe plus. Toi non plus, et moi ? Tu as peur ? Dis-moi si tu as peur ? Je ne veux pas que tu aies peur, tu sais, je ne fais pas exprès, ce n’est pas moi je te jure, c’est mes ongles, ils deviennent violet, c’est un engourdissement au bout des doigts, comme si je pressentais que je ne les contrôlais plus vraiment. Ils se libèrent, ils appellent le reste de mon corps à se libérer avec eux. C’est une très étrange maladie tu sais. J’aimerais bien que tu l’aies aussi. Tu les verrais, tes ongles violets, et tu verrais les miens, violets aussi, le même, exactement la même nuance de violet. Peut-être que ça variera parfois, violet plus sombre en cas d’orage, mais si lumineux par instant. C’est cet instant, tu comprends, cet instant où toute couleur est éclatante, où tout semble plus vrai, plus douloureux, plus fort, c’est cet instant que je recherche et c’est cet instant qui te fait peur. Je ne comprends pas pourquoi tu as peur ? Tu as peur de souffrir ? La souffrance c’est beau. Regarde, mes ongles violets, comme ils sont beaux. Tu les aimes comme ça ? Tu veux les embrasser dis ? Moi je les trouve beaux comme ça, violet. J’aime le violet. Pourquoi tu n’aimes pas le violet ? Ce n’est pas compliqué d’aimer le violet. Regarde, regarde-moi, laisse-moi te montrer. Moi aussi j’ai peur. Ce n’est pas grave. S’il-te-plaît, dis-moi que tu aimes le violet ? Que tu aimes mes ongles ? Je n’ai pas choisi, tu sais, la couleur, mais c’est comme ça, alors ça me va. Pourquoi ça ne te va pas à toi ? Tu devrais me croire. Regarde, regarde, le violet, il se propage, mes doigts, mes doigts ils deviennent violet aussi. C’est toi qui fais ça ? C’est de ta faute, je le sais. Si tu arrêtais d’avoir peur aussi, non je ne t’accuse pas, mais tout ça n’est pas nécessaire, oui j’aime mes ongles, même violets, mais dis-moi à quoi ça sert ? Ce n’est pas utile, je t’en supplie crois-moi, ça fait trop mal, il n’est pas nécessaire que tout soit violet, on peut faire sans. N’aie pas peur. Arrête. Regarde, regarde mes ongles, ils vont tomber s’ils deviennent trop violet, je vais les perdre, tu vas me perdre si tout est trop violet, non, je n’aime plus le violet, ça doit cesser. Regarde, regarde mes ongles, pourquoi tu ne me crois pas ? Crois-moi, crois-moi. Mes ongles, mes ongles, ils sont devenus violets.
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