Effondrement.
- Chut, ne dis plus rien.
- Quoi ?
- Chut, je te dis.
- Mais pourquoi ?
- Mais tu vas te taire.
- Oh, écoute ça suffit. Je déteste que tu me donnes des ordres. Surtout sans raison.
- Je veux juste du calme.
- Tu peux juste le demander plus gentiment.
- S'il-te-plaît est-ce que tu pourrais te taire ?
- Pardon ?
- Excuse-moi. Est-ce que s'il-te-plaît on peut ne pas parler pendant quelques minutes.
- Pourquoi as tu tant besoin de silence ?
- Pour entendre les choses qu'on ne se dit jamais.
Temps.
- Tu penses qu'il y a des choses qu'on devrait se dire et qu'on ne dit pas ?
- Je le sais.
- Tu le sais ?
- Oui.
- Et tu le sais depuis combien de temps ?
- Longtemps.
- Longtemps combien de temps ?
- Des années peut-être.
- Combien d'années ? Une ? Deux ? Cinq ? Dix ?
- Six, presque sept.
- Six, presque sept ?
- Oui.
- Tu le sais depuis tout ce temps, et tu as attendus six, presque sept ans pour dire qu'il y a des choses qu'on ne se dit jamais ?
- Oui.
- Mais, mais… pourquoi ?
- Je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu'on ne s'écoute pas assez. On est tombé dans le quotidien, on fait moins attention à l'autre. Tu sais c'est classique dans une relation, au bout d'un temps…
- Non, pourquoi as-tu attendu six, presque sept ans pour le dire ?
- J'avais peur de ta réaction. Je me disais que ça changerait les choses entre nous.
- Oui. Tu as sûrement raison mais s'il y a des choses à changer, alors il faut les changer.
- Je n'en suis pas si sûr. On est bien comme ça. D'accord, il y a des choses qu'on ne se dit pas et beaucoup de choses qu'on dit qu'on ne devrait pas dire. Mais on est bien ensemble. Enfin, je nous aime bien. C'est pas mal notre vie comme ça.
- Pas mal ? C'est tout ce que notre vie t'inspire. Parce que si c'est le cas alors oui, il y a des choses à changer et tout de suite là maintenant !
- Mais enfin, calme toi.
- Tu penses que je parle trop pour ne rien dire. C'est ça ? Mais dis-moi, réponds-moi, explique-moi.
- Écoute, je n'aurais pas dû dire ça. Je le savais.
- Mais non, mais non, je veux comprendre, tu vois, j'ai besoin de comprendre. Qu'est-ce que tu veux dire par des choses qu'on dit et qu'on ne devrait pas dire ? Et par des choses qu'on ne dit pas ?
- Je ne sais pas exactement. C'est un peu compliqué. Peut-être devrait-on aller plus à l'essentiel et parfois juste profiter simplement de ce qu'on vit, ensemble, tous les deux, simplement comme ça, éprouver ce qu'il se passe entre nous, sans parole, juste en ressentant, le lien, tu sais, le lien ? Celui qui fait qu'on s'est marié ? Qu'on s'est aimé ?
- Ça n'est pas du tout compliqué, en fait c'est même très simple, tu penses qu'on ne s'aime plus ?
- Oui.
- Je vois.
- Et toi ? Qu'en penses-tu ?
- Je ne sais pas. Je ne sais plus. Il y a quelques minutes je t'aurais dit que c'est n'importe quoi. Je t'aurais juré que bien sûr on s'aimait, je l'aurai hurlé. Mais toi, avec tes insinuations tu arrives à me perturber, et à remettre en cause l'essentiel. Tu te rend compte de ce que tu fais ? Tu te rend compte que tu renverses des piliers ? On fait comment si on ne s'aime plus ?
- Je ne sais pas. Calme toi. Ça va aller. Ce n'est pas non plus dramatique. Le monde ne s'effondre pas.
- Comment ce n'est pas dramatique ? Mais bien sûr que si ça l'est. Ça l'est pour moi. Et ça devrait l'être pour toi. C'est notre monde qui s'effondre. Et maintenant tu l'as dit et tu ne peux plus revenir en arrière, maintenant ça s'effondre et on ne peut plus le retenir.
- Non. Tu te trompes, mon monde s'est déjà effondré il y a six ans, presque sept. Cela fait six ans presque sept que je sais qu'un jour je ne pourrais plus revenir en arrière.
- Ça fait six ans que tu ne m'aimes plus ?
- Presque sept.
- Presque sept.
- Oui.
- Et tu ne disais rien ?
- Non. Que voulais-tu que je dise ?
- Et tu ne faisais rien ?
- Comment ça je ne faisais rien ?
- Je veux dire, comme tu ne m'aimais plus, tu aurais pu …
- Non.
- Non. Tu ne m'aimais plus depuis six ans, presque sept et tu n'as rien dit, rien fait pendant tout ce temps.
- Non.
- Je suis soufflée.
- Je suis désolé.
- Pourquoi ?
- De casser les piliers.
- Apparemment ces piliers n'existaient plus.
- Oui.
- Mon monde s'est effondré il y a six ans, presque sept et je n'ai rien vu. Rien sentit. C'est effrayant. Comment je pouvais ne rien voir ? Pourquoi je ne me suis pas aperçue que tu n'allais pas bien, que nous, ça n'allais plus. Je ne pensais qu'à moi, je te parlais tout le temps de tout, et je n'écoutais pas, et je ne voyais pas, parce que j'étais bien comme ça moi, avec nous. Alors tant que ça allais pour moi, ça allais pour nous. J'ai été un peu égoïste. C'est pour ça que tu ne m'aimes plus ?
- Mais non. Ce n'est pas toi. Tu n'as rien fait.
- Alors c'est qui ? Hein ? Dis-moi. Si j'ai rien fait pourquoi tu ne m'aimes plus ?
- Je ne sais pas. C'est comme ça.
- C'est comme ça.
- Oui.
- Et c'est tout ?
- Oui.
- Mais ce n'est pas possible, ça ne peut être tout. Tu ne peux pas juste dire je ne t'aime plus point et on passe à autre chose sans explication, sans que je comprenne.
- Ces choses-là ne se comprennent pas.
- Ah non, ah non. Ne sors pas ce genre de phrase, c'est trop facile, trop lâche, tu n'as pas le droit, tu ne peux pas, c'est odieux, si tu ne sais pas t'exprimer reconnais-le, ne dis pas juste que c'est comme ça et qu'il ne faut pas chercher à comprendre ne me donne pas cela en plus à porter, ne me fait pas culpabiliser, c'est trop dur, ne me fait pas croire que je suis bornée parce que j'essaie de trouver une explication, je veux bien dire que je parlais trop, ou que je n'écoutais pas, ou je ne sais plus, mais je ne veux pas que tu me dises de ne pas chercher à comprendre, je ne veux pas que tu me dises de passer à autre chose parce que de toute manière c'est comme ça. Et que parce que tu ne m'aimes plus, il n'y a plus rien, plus rien de nous, plus rien à faire, plus rien à vivre. Parce là, là toi aussi tu serais égoïste. Et je ne veux pas, tu m'entends, je ne veux pas que tu sois égoïste. Parce que toi tu ne m'aimes plus, mais je ne veux pas salir ton image, parce que moi je t'aime encore, et que c'est peut-être pour ça que je n'écoutais pas. Parce que je préférais t'aimer que savoir.
- Tu as dit tout ce que tu avais dire ?
- Oui. Je pense.
- Réfléchit bien. Tu as vraiment tout dit ? Tu n'as plus rien que tu veux me dire ?
- Si.
- Quoi ?
- Je t'aime.
- Tu me l'as déjà dit. C'est tout ?
- Oui, je t'aime.
- Bien, laisse-moi partir maintenant.
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