Promesse d'un rocher à une falaise.
- Tu vas partir ?
- Pourquoi je partirai.
- Parce que tu es comme ça.
- Je ne suis pas comme ça et je ne partirai pas.
- Ça ne sert à rien d’essayer de me rassurer, je te connais.
- Et alors ?
- Alors je devrais te laisser, je vais te faire souffrir.
- Pourquoi ?
- Je suis trop opaque, trop fissurée, trop instable. Tu ne pourras jamais te reposer sur moi. Tu seras fatigué. Je préfèrerais t’éviter tant de peines.
- Tu n’as pas besoin.
- Mais tu vois, j’y arrive pas, j’ai tellement peur de pas y arriver.
- A quoi ?
- A vivre.
- Alors reste. Je suis fort. Je suis là.
- Je ne peux pas.
- Je voudrais te demander pourquoi, mais il n’y a pas de réponse, n’est-ce pas ?
- Oui. Juste, je ne peux pas. J’ai peur. Depuis toujours j’ai peur. D’habitude je m’en fous, c’est ma peur, elle ne concerne pas les autres, mais là, ça commence à te concerner je le sens et je ne peux accepter ça.
- Mais moi je peux l’accepter.
- Non.
- Si.
- Non.
- Pourquoi tu ne me crois pas quand je dis que je suis fort ?
- Être fort ne suffit pas à accepter la peur. Au contraire, les forts la renient en pensant la vaincre. C’est faux, ils ne font que rejeter au loin les angoisses qui reviennent un jour, plus fortes, toujours plus fortes.
- Alors je serai faible.
- Je ne veux pas que tu sois faible. Je veux que tu sois un roc, un rocher solitaire, loin de moi, au large et je t’apercevrai de la rive, comme on regarde une carte postale d’un lieu où l’on a passé nos plus belles vacances. Et en pensée, ou à voix basse, je te remercierai pour ce voyage en mer qui pendant quelques instants m’a éloigné de ma falaise qui s’écroule.
- C’est égoïste.
- Oui, complètement.
- Peut-être que tu ne peux pas rester mais moi je ne peux pas te laisser partir.
- Vraiment ?
- Comment dire, j’en ai connu des filles. Tu es la seule à qui je n’arrive pas à dire je t’aime. Tu es la seule à qui je ne peux pas mentir. Tu es la seule à qui j’aurais envie de le dire. Mais tu veux partir, mais tu t’écroules, et mes mots arrivent après la chute et dégringolent avec les pierres que sèment tes pas en courant sur le bord de ta falaise en ruine.
- C’est égoïste.
- Oui. Tu es égoïste.
- Oui, je suis égoïste. Je suis égoïste, versatile, possessive, butée, je ne sais pas exprimer ce que je ressens alors je ne dis rien et je me braque et je suis désagréable avec les gens sans qu’ils comprennent pourquoi parce que je suis émotive et que je le cache, j’ai du mal à dire les choses et quand ça sort je blesse les autres, je te déteste reconnaître que j’ai tort, je suis intransigeante, maniaque, je ne fais pas confiance, je ne pardonne pas, je suis même rancunière, je ne communique pas, je suis pleines d’angoisses, transis par la peur et probablement un peu toquée, je ne ménage pas les gens et je ne me ménage pas.
- Tu es belle.
- Ce n’est pas une qualité. Et je suis sûrement chiante.
- Sûrement. Est-ce que ça t’empêche d’aimer ?
- Un peu.
- Est-ce que ça t’empêche d’être aimée ?
- Je ne sais pas.
- Non. Je te le dis, non, ça ne t’empêche pas d’être aimée.
- Et comment peux-tu le savoir ? Tu as croisé ma vie un jour, tu es beau, attirant, enivrant, tu le sais, tu en joues, tu débarques, tu amadoues, tu vis. Puis quand il n’y a plus rien à vivre tu pars. Tu en a laissé des filles à souffrir derrière toi, tu es un dragueur, un solitaire, tu ne t’amarres pas, je le sais, je ne t’en veux pas. Pars. Je ne serai pas une de ce filles, je ne souffrirai pas derrière toi parce que je souffrais déjà avant. J’avais juste besoin de prendre l’air du large, de sentir le vent marin me fouetter le visage, ton rocher a été une belle occasion. Pars. Mais ne me dis pas ce genre de choses, ne fais pas semblant d’aimer, laisse tomber ton masque pour une fois, avec moi ce n’est pas la peine. Pars. Juste rappelle-toi la falaise en miette parce que je n’oublierai pas le rocher solitaire. Pars. Mais ne fais pas ton beau parleur, ne crée pas des espoirs qui crèveront demain. Je n’en ai pas besoin, tu n’as pas à m’embobiner, à me rassurer, je sais que tu vas partir et c’est pour ça que je t’ai laissé m’amadouer. Tu ne peux pas savoir si ça m’empêche d’être aimée, tu ne sais pas aimer, tu ne sais que faire semblant, juste pour qu’on te tombe dans les bras.
- Je ne porte pas de masque. C’est toi qui l’as dit, avec toi pas besoin de faire semblant. Je ne veux pas que tu souffres derrière moi, je ne veux pas partir, je ne pas besoin que tu me dises de ne pas oublier, je n’oublierai pas et pour une fois je veux m’amarrer. Je le redis, non, ça ne t’empêche pas d’être aimée.
- Et bien je le redis aussi, comment peux-tu le savoir ?
- Parce que je t’aime.
- Je ne te crois pas et je ne te croirais jamais. Et même si je te croyais, une falaise en éboulis et un rocher perdu ne peuvent pas être ensemble, entre il y a un océan de flots, de vent et de récifs.
- Arrête avec ça. Tu n’es pas une falaise et je ne suis pas un rocher. Tu es une fille et je suis un garçon.
- C’est aussi simple que ça alors ?
- Oui.
- Il n’y a pas de vagues, de falaise, d’éboulements, de rocher, tout ça perdus dans des profondeurs abyssales ?
- Rien de tout ça. Juste toi et moi.
- Alors c’est vraiment simple.
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