Interlude [2]

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On nous avait prévenus qu'il y aurait toujours des agents en civil dans les parages pour s'assurer qu'on ne profiterait pas de notre premier jour de sortie – si tant est qu'on puisse appeler ça comme ça – pour se faire la belle. Évidemment, on ne nous avait pas présenté ces agents : ç'aurait été une formalité que de les étaler avant de filer. Ces gars devaient tenir leur rôle pendant toute la durée de notre « débarquement » et seraient ensuite régulièrement remplacés au cours de la « mission ». Tancred avait quand même eu la présence d'esprit de demander ce qu'il adviendrait si, à tout hasard, l'un de ces agents venait à disparaître mystérieusement.

« Un autre prendra sa place, lui avait-on simplement répondu. Et si l'on prouve que vous êtes derrière tout ça, vous passerez un sale quart d'heure, Sieur Warel. Pire si c'est l'affaire de votre protégé. »

Regard entendu dans ma direction. Au moins, nous étions fixés.

Expérience un peu singulière que de prendre le train pour la première fois après des cycles de captivité mais avec la certitude qu'il y a toujours quelqu'un pour te coller au cul. Nous sommes arrivés à Vambreuil lors de la cinquième calende d’Autumnus 3893 ; peu de temps après vous et juste avant les premières chutes de neige suspectes. Ce climat était précoce pour la saison, paraissait-il, mais pour nous, à ce moment-là, ce n’était qu’une bizarrerie parmi d’autres, le tapis qui cache la misère. En deux cycles à peine, cette station-ville avait connu bien des galères, avant de voir arriver la plus belle ainsi que la plus énigmatique fémine du multivers et, bientôt, l’élection légèrement suspecte d’un tyran déchu à sa tête. Qu’est-ce qu’un peu de neige, dans tout cela, sinon une autre raison donnée à la foule de garder les yeux rivés sur cet endroit ? Paradoxalement, cette débauche d’événements nous a permis, à Tancred et moi, d’arriver en douce et de nous établir au fond de cette petite rue encaissée, où presque personne n’allait. Notre Patronne, qui avait pris connaissance des lieux avant nous, était persuadée que ce coin pourri était la meilleure planque dont on puisse rêver. Loin d’être enclavée, cette rue – dont le vrai nom était pourtant si prometteur, n’est-ce pas ? – était la porte d’entrée des fameux « Bas-Fonds » de Vambreuil, dont elle avait malheureusement pris le qualificatif alors qu’ils étaient en réalité situés sous terre : dans les Égouts. Le Comté de l’Enfer.

On a donc posé nos valises dans cette espèce d’entre-sol – dont tu te souviens sûrement aussi bien que moi – ouvert sur la cour d’une vieille maison de maître. Sa tourelle sordide, où on a fini par élire domicile, faisait un pied de nez aux maisons cossues qui la surplombaient, du haut de la Butte Beddington. Va savoir comment Tancred est tombé amoureux de cet endroit. Lui vivait tout cela comme ses vraies retrouvailles avec la liberté, en grand niais qu’il était. Rien à faire des agents qui nous pistaient, des ordres de la Patronne, de la neige et des aragnes. Ce vieux cinglé, qui avait l’habitude de courir le monde avec quelqu’un dans son ombre, était convaincu qu’il concrétiserait enfin son rêve, ici : ouvrir une taverne. Quand on connaissait Tancred, on savait pourquoi un désir aussi hors de saison lui tenait tant à cœur : toutes les occasions étaient bonnes pour s’en jeter une, avec lui. J’irai où le Nektär coule à flot, yo ho ho !

La tête qu’a tiré la Patronne en apprenant notre choix de couverture n’a pas de prix, je t’assure. Il faut dire que le vieux Tank avait bien choisi le nom de son tripot : Au Trou. Un sort qui nous aurait sûrement attendus, si les circonstances n’avaient été telles : il valait mieux finir dans notre Trou que dans le vrai, celui que les officiels appelaient « Puits du Vide » et où la Société balançait les individus dont la prison n’avait pas redressé les torts ; et comment l’aurait-elle pu ? Ce n’était qu’une boîte, après tout ! La Patronne le savait, évidemment - elle était bien placée pour le savoir, cette petite peste - et notre clin d'œil à cette « solution de dernier recours » lui a donc un peu fait grincer des dents. Elle nous a quand même accordé le bail et les contrats qui allaient avec en nous rappelant que « le vrai Trou » nous attendrait en cas d’échec.

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