[A1] Scène 4 : Aliane

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Aliane Wickley, Édouard Warfler


V 3889 – cal. LXXVII


À midi, l’équipe qu’Édouard avait rassemblée pour retourner chez Dorian était revenue à L’Harkoride, rapportant avec elle les dernières prises du Chasseur. En revanche, aucune trace de ce dernier. Tout ce qu’avait trouvé le néantide en pénétrant dans la demeure désertée de son ami, c’était un trou dans le plafond de l’entrée, d’où des débris du carrelage de la salle d’eau, visible juste au-dessus, étaient tombés. Les poutres qui soutenaient la pièce devaient être en mauvais état… ou bien avaient-elles été traversées par quelque chose ? Rien ne disait si c’était à cause de cela que Dorian avait soudainement disparu en laissant derrière lui sa maison ouverte aux quatre vents.

Les jours suivants, Édouard avait voulu organiser des battues dans la forêt de Baelfire et des tours de garde du côté de la maison. Si plusieurs néantides s’étaient portés volontaires pour la première expédition, motivés par les victuailles du Chronologue, personne n’avait répondu à l’appel pour ces nouvelles recherches. Dorian n’était pas suffisamment apprécié pour faire l’objet d’un tel dévouement, qui frôlait d’ailleurs la prise de risque pour certains. C’était même plutôt le contraire : de par sa caste et son antipathie, personne n’avait vu l’intérêt d’aller le chercher. On comptait plutôt sur Édouard et quelques vaillants pour poursuivre la chasse et ramener quotidiennement du gibier, surtout maintenant que le Chasseur n’était plus là pour garder son territoire. Mais l’ancien combattant de la Croix de Worgan n’avait pas voulu renoncer pour autant. Il était parti chaque jour de bonne heure pour la forêt, seul, afin d’inspecter la maison et de quadriller le territoire à la recherche de son ami. Il était rentré tard tous les soirs mais sans plus d’information que la veille. Hortense avait plusieurs fois répété qu’elle pouvait venir l’aider mais il avait calmé ses ardeurs, arguant que c’était trop dangereux. Il était persuadé qu’un ennemi rôdait dans la zone.

Aliane, elle, se faisait une tout autre idée de l’événement : Dorian avait emporté l’héritage de ses semblables enterré dans son jardin et avait changé d’air, voilà tout. Elle suspectait même que cette disparition soudaine eût été causée par son conjoint, qu’elle savait brusque et sans aucune modération dès qu’il perdait son sang-froid. Peut-être les deux hommes s’étaient-ils disputés ? Les choses auraient mal tourné, ils en seraient venus aux mains et… Édouard aurait-il pu tuer son ami dans un accès de colère ? Le reste aurait-il été une mise en scène pour déguiser sa faute ? Recroquevillée dans sa couche, la Chronologue se laissait lentement convaincre par cette histoire lorsqu’elle entendit du bruit. On était au beau milieu de l’après-midi, Édouard rentrait plus tôt que d’habitude. Elle se leva, intriguée, et le trouva qui partait chercher quelque chose dans une autre alcôve de la caverne, où de vieilles caisses étaient empilées. Les enfants étaient chez Mariel.

« Que se passe-t-il ? hasarda-t-elle. Tu as retrouvé Dorian ?

— Non. »

Sa voix, grave et rocailleuse, avait les accents de la contrariété. Il devait y avoir du nouveau pour qu’il rentrât si tôt de ses recherches, mais ce n’était en rien des bonnes nouvelles. Il dut voir qu’elle l’épiait toujours, car il lui accorda enfin des explications :

« Y a des gars de l’Inkorp’ de notre côté de la dimension.

— Quoi ?

— Un groupe d’éclaireurs. Je les ai tous tué, sauf un. Je lui ai demandé comment ils s’étaient retrouvés ici, comme le coin n’est plus accessible à la Société. Apparemment, ils auraient ouvert un passage quelque part dans la forêt. Il donne sur l’autre côté du gouffre, au nord. »

Aliane écarquilla les yeux, en proie à une soudaine angoisse. L’Inkorporation, ici. Cet organisme fondateur de la Société avait été créé lors de la guerre contre sa caste, dont il avait causé la déroute. Ils avaient mis au point des machines capables d’absorber le Sens des néantides pour alimenter d’autres machines. Leur présence représentait une réelle menace pour tous ceux réfugiés de ce côté de la faille.

« Évidemment… Ça devait arriver un jour… Qu’est-ce que… »

Son compagnon sortit un vieux lance-harpons de gros calibre, des munitions et des brassards équipés de longues lames crochetées rétractables. Aliane n’avait plus vu tout cet attirail depuis longtemps. Tout cela ne lui disait rien qui vaille.

« Qu’est-ce que tu as l’intention de faire, avec tout ça ?

— Casser ce portail, dans la forêt. J’irai seul. Et s’il le faut, j’irai de l’autre côté, faire passer l’envie à ces drôles de venir nous voir.

— Ce n’est peut-être pas très prudent. Du moment que le portail est détruit, cela devrait…

— Non, ça suffira pas. Tu l’as dis toi-même : ça devait arriver. Ils ont réussi à venir une fois. Si on ne les refroidit pas, ils recommenceront…

— Et tu comptes faire quoi ? Les arrêter tout seul ? Tu es inconscient, Édouard ! »

Il parut surpris par tant d’aplomb. Elle crut qu’il se mettrait en colère mais, à sa grande surprise, il voulut la prendre dans ses bras. Elle le repoussa sans ménagement :

« Arrête ! Je te dis que c’est stupide d’aller tout seul au devant de ces gens, tu m’entends ? Si tu te fais prendre, c’est toute la colonie qui pourrait être menacée !

— Vous n’avez qu’à partir, marmonna-t-il.

— Ah oui ? Et pour aller où ? Tu penses vraiment que j’ai une quelconque option de refuge qui m’attend quelque part ? On me rejettera, où que j’aille ! Et les enfants ? Tu as pensé aux enfants ? On les traquera, eux aussi ! Si on n’est pas en sécurité ici, on ne le sera nulle part ! »

Édouard inspecta les lames sur ses brassards avant de les rétracter et de les cacher sous ses manches. Il ne l’écoutait plus. Il lui adressa juste un dernier regard – gris et tranchant comme ses lames – et sortit. Restée seule, les bras serrés autour de sa poitrine, Aliane sentit le monde s’assombrir.

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