Interlude [1]

3 minutes de lecture

On dit souvent de moi que je n'ai pas eu d'enfance.

Je dis, moi, qu’on n'est jamais vraiment adulte. Autrement, la prison n'existerait pas.

Je ne sais pas trop, d'ailleurs, qui est le clampin qui a trouvé le concept d'enfermement salvateur pour l'humanité. Qui croyait-il changer, en foutant les gens en taule ? Quand la claustrophobie a-t-elle été décrétée remède officiel contre la délinquance et le crime ? Des foutaises ! De la poudre aux yeux ! Du déni, s'ils veulent ! Mais une solution, jamais. « Mettons le Mal dans une boite et faisons comme s'il n'existait pas » : c'est là le seul principe directeur de cette institution. Mais le Mal fait des petits et les boîtes finissent bien souvent par être ouvertes.

Ai-je été plus sage en sortant de prison qu'en y entrant ? Je te laisse en juger.

Une des clés du problème était que je ne serai pas vraiment libre à ma sortie. Quand on nous a évité le Trou, à Tancred et moi, on l’a fait à dessein. D’abord, parce qu’on n’était pas des types banals et que c’est évidemment mal vu, quel que soit le camp où tu te trouves, de balancer des choses potentiellement « utiles » par-dessus bord, surtout des choses humaines. Ensuite, on se devait d’être utiles quoiqu’il arrive si on voulait regagner notre liberté. Il fallait rendre un petit service, quoi. Oh, pas pour faire croire que la prison rend utile, ça non, mais... C’était tout le sel de la Société, si tu vois ce que je veux dire. « Tu veux la liberté ? Viens la chercher. »

J’avais eu l’occasion de rencontrer la Patronne peu de temps après notre incarcération. Elle avait pas dit les choses de cette façon mais on sentait, à sa manière de parler de l’avenir, que ça nous pendait au nez. Quand on nous a appris qu’on devrait travailler pour elle pour nous racheter, j’étais donc pas très surpris. Tu penses bien que j’étais pas particulièrement partant non plus pour leur servir de larbin, mais va dire ça à Tancred qui avait pas bu une goutte depuis presque deux cycles et qui attendait la première occasion de sortir pour rincer son gosier aride. Quand on lui a accordé de pouvoir ouvrir une taverne en guise de couverture, ce vieux con a pas mis longtemps à signer. Il s’est jeté sans réfléchir dans cette bataille-là comme il a pu se lancer dans la quête du lac Nektär auparavant : sans trop s’inquiéter de savoir si ça mitraillait sur place, pourvu qu’il y ait à boire. Mais il m’en voudrait de parler comme ça de lui d’autant que je sais, maintenant, qu’il avait d’autres raisons, si futiles qu’elles aient pu paraître, d’accepter la mission sans discuter.

Ça parait fou, rétrospectivement, mais quand on nous a annoncé qu'on rejoindrait Vambreuil à notre « sortie », personne n'avait encore fait le lien entre l’attaque des aragnes et ce qu'on allait y faire. C’était la venue de certains « acteurs » du spectacle à venir qui avait mis la puce à l’oreille. C’était là que leur affrontement devait avoir lieu ; là qu’il faudrait les coincer ou périr entre leurs mains. Le bazar du Vivarium et leur arrivée avaient transformé cette pauvre petite station-ville éreintée en véritable arène.

Certes, la mauvaise réputation de Vambreuil n’était pas nouvelle. Pour autant, ça n'a pas toujours été une station-ville mal famée, mais ça tu le sais. Entre ses hôtels particuliers réinvestis à la sauvage ; les belles demeures de ses quartiers perchés ; les rumeurs sous ses pavés ; le chant du bistanclaque de son Vivarium ; il subsistait des traces de ce que cette station-ville aura toujours failli devenir : le sanctuaire des arts. En témoignaient ses peintres, irréductibles et désabusés, qui croquaient les places Angora et Beddington à longueur de journée, ou encore son école des Beaux-Arts en friche, ses bouquinistes discrets - ceux qui te filaient des livres sous le manteau sans s'inquiéter de ce qu'il y avait d'écrit sur ton contrat de travail. Et puis… son théâtre. Le Brigadier. Témoin des plus tordantes comédies comme des pires drames. Et des tragédies, dont on sait qu'elles vont mal finir avant même de les avoir jouées.

Je sais que tu as détesté cette ville pour ça.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Vi Portal ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0